La fin des années '80 et le début des années '90 ont été pour l'Europe une période de grands bouleversements, qui a vu l'effondrement de l'empire soviétique, la réunification de l'Allemagne et l'éclatement de la Yougoslavie et de l'Union soviétique elle-même. Malgré les problèmes et les dangers qu'ils suscitent, ces événements sont globalement positifs pour le développement de la démocratie parlementaire et de l'économie de marché.
Ces événements historiques surviennent à un moment où la Communauté européenne connaît elle-même une évolution fondamentale.
Après avoir été prise d'une forme de sclérose au début des années 1980, la Communauté a retrouvé son dynamisme grâce à une série d'initiatives audacieuses : l'Acte unique européen et le principe du vote à la majorité qualifiée, la reconnaissance mutuelle et l'imposante stratégie de 1992.
Le rôle de la concurrence
Dans les domaines qui relèvent de ma compétence, la politique de concurrence et les services financiers, nous avons accompli une part très importante des tâches qui nous sont imparties au titre de l'objectif 1992 et nous poursuivons notre effort. Nous avons été confortés dans notre détermination à ouvrir les marchés en mettant en application les principes de concurrence par les nouveaux instruments que sont le règlement sur les concentrations et la décision de la Cour de justice des Communautés européennes qui prévoit très clairement que l'article 90 peut être utilisé comme base juridique pour les directives adressées aux Etats qui contraignent des entreprises à enfreindre les règles de concurrence ou qui se dissimulent derrière des entreprises apparemment indépendantes.
La création d'un marché unique sans frontières est en soi la plus grande aide que la Communauté puisse fournir à son industrie et à ses consommateurs. Pourtant, plus nous nous rapprocherons d'un marché intégré, plus la pression de la concurrence se fera sentir et plus la tentation sera forte pour les gouvernements de donner un coup de pouce à "leurs" entreprises et pour celles-ci d'adopter des pratiques restrictives pour tenter de prendre l'avantage sur leurs concurrents. La Communauté devra redoubler de vigilance pour que, dans le cadre du marché unique, la concurrence soit loyale et s'exerce sur la base de l'avantage comparatif et non sur celle de l'accès au financement public ou de l'aptitude à évincer le concurrent.
Le principe de la cohésion
Un autre aspect essentiel du grand bond en avant réalisé par la Communauté européenne est la concentration sur le principe de la cohésion. La
Communauté européenne ne sera considérée comme une réussite que si elle améliore les conditions de vie et de travail de tous ses citoyens, où qu'ils vivent. La Communauté peut aider les régions de plusieurs manières : en premier lieu en finançant le développement sur une échelle que les petits
Etats membres ne peuvent atteindre. En second lieu, elle doit, géographiquement et en volume, concentrer les dépenses structurelles sur les zones qui en ont le plus besoin. Je pense que nous devons axer l'aide structurelle avant tout sur les régions de l'objectif I. En troisième lieu, les aides d'Etat accordées dans les régions riches de la Communauté doivent faire l'objet d'un contrôle très strict, afin d'éviter qu'elles aient pour effet de neutraliser les mesures d'aide existant dans les régions plus pauvres.
Pour accompagner sa politique régionale, la Communauté doit mettre en oeuvre des programmes de formation, soutenir la recherche et le développement et encourager la création de petites et moyennes entreprises. Elle doit adopter à cet effet une approche de portée générale. Si je reconnais les mérites des aides ciblées destinées à financer des technologies clés de manière que de nombreuses entreprises en bénéficient dans un large éventail d'industries et de secteurs, je suis opposé à celles qui visent à financer de façon sélective certaines grandes sociétés européennes, même si elles sont destinées à la R&D.
La logique de l'ouverture
La logique de l'ouverture s'applique aussi à l'extérieur. La Communauté doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour que l'Uruguay Round du GATT
aboutisse à un accord viable, même si cela suppose une réforme fondamentale de la politique agricole commune. En ce qui concerne la politique de concurrence, des progrès énormes doivent être accomplis au plan international. A mon avis, la meilleure démarche consiste à conclure une série d'accords bilatéraux, dont l'efficacité peut être mise à l'épreuve du temps. Lors du prochain round de négociations du GATT, nous devrions également proposer d'ouvrir des discussions multilatérales sur la politique de concurrence internationale. La première étape du processus est le pas en avant historique franchi dans le cadre de l'accord CE-Etats-Unis de 1991 sur la politique de concurrence. C'est en développant ce type de coopération, et non en recourant au protectionnisme, qu'il convient de répondre aux stratégies commerciales du Japon.
Les prochaines étapes du développement de la Communauté européenne ont été franchies aux conférences intergouvernementales de Maastricht. Les Etats membres ont adopté un calendrier pour l'union monétaire et sont parvenus à un accord sur l'union politique, qui prévoit une politique étrangère et de sécurité commune, le renforcement de la coopération dans plusieurs domaines, ainsi que l'extension de la portée du Traité, du vote à la majorité qualifiée et des pouvoirs du parlement européen.
Préparer l'élargissement
La Communauté européenne répond à l'évolution de la situation en Europe. Il y a tout lieu de se féliciter des perspectives d'élargissement, mais toute nouvelle adhésion ne peut être dans l'intérêt du pays concerné, et dans celui de la Communauté, que si le candidat est économiquement en mesure d'apporter sa contribution à la Communauté et de tirer un avantage de son adhésion. En outre, si la Communauté veut rester dynamique, son développement nécessitera inévitablement d'ici quelques années des réformes institutionnelles. Il est clair dès à présent que de nouvelles conférences intergouvernementales seront nécessaires à cet effet. La Communauté a également négocié avec les pays de l'AELE la création d'un Espace économique européen. Ensemble, la Communauté et l'AELE représentent près de la moitié du commerce mondial. En 1990, elles ont réalisé 47,2% des exportations et 46,6% des importations. Ces échanges s'effectuent pour l'essentiel entre ces deux groupes de pays : en 1990, ce sont 68% des échanges qui ont
eu lieu au sein de l'EEE. Si l'on arrive finalement à un accord, auquel je crois fermement, dès la date d'entrée en vigueur de cet accord, l'EEE constituera un marché de quelque 380 millions de consommateurs, de l'Arctique à la Méditerranée, où les libertés fondamentales de circulation de la Communauté seront mises en oeuvre le plus largement possible et où l'AELE sera étroitement associée à toute nouvelle initiative de la Communauté.
Pour certains pays de l'AELE, devenir membre de l'EEE est un pas vers l'adhésion à la Communauté. D'autres y voient, pour le moment, une solution de rechange, mais qui n'exclut pas d'autres possibilités.
La Communauté n'approfondit pas seulement ses liens avec l'Europe occidentale, mais aussi avec l'Europe orientale. Elle a encouragé la réunification de l'Allemagne et offre aide, assistance technique et conseils économiques et juridiques aux pays de l'ancien bloc soviétique, dont certains ont déjà bien progressé sur la voie d'une économie de marché viable.
La Communauté européenne: une construction unique
La Communauté européenne est une construction unique. C'est un modèle de la façon dont il est possible de pallier les inconvénients d'un système constitué d'Etats nationaux sans en perdre les avantages. C'est une construction qui peut être, et est effectivement, utilisée par les gouvernements nationaux comme bouc émissaire commode pour imposer des décisions impopulaires mais nécessaires. Ce phénomène est inévitable, et même souvent souhaitable, à condition de ne jamais perdre de vue à quel point la Communauté est primordiale pour la prospérité de ses membres. Aujourd'hui plus que jamais, c'est l'existence de la Communauté qui permet aux nations européennes de jouer un rôle dans le monde, notamment sur le plan économique, aux côtés des Etats-Unis et du Japon. La Communauté est également un facteur de stabilité le long de ses frontières, même si elle ne réussit pas toujours à régler sur-le-champ des conflits pronfondément enracinés. La Communauté peut également, le moment venu, servir de modèle pour l'établi
ssement de relations économiques entre les anciennes républiques soviétiques, devenues membres de la Communauté des Etats indépendants, aussi lointaine que puisse paraître cette perspective à l'heure actuelle.
A l'intérieur de la Communauté, de nombreux problèmes restent forcément à résoudre. Des aspirations au régionalisme et au fédéralisme s'opposent à la conception plus traditionnelle d'une Europe des patries. Les opinions divergent sur la question de savoir si la politique industrielle doit encourager des Euro-champions séléctionnés par les gouvernements en leur accordant de substantielles aides spécifiques ou si elle doit permettre aux marchés de sélectionner les vainqueurs et fournir des aides à tous. Il n'est par surprenant que le débat se poursuive.
Il ne faut cependant pas que ce débat affecte les progrès énormes que nous avons accomplis et que nous continuons d'accomplir. Les changements structurels que j'ai décrits préfigurent l'avenir du continent européen, avec comme pôle central une Communauté de plus en plus unie et bénéficiant de l'énorme avantage d'un vaste marché prospère et sans entraves.
Sir Leon Brittan