LES EXECUTION CAPITALES SE MULTIPLIENT EN CHINE
L'application de la peine de mort s'étend à des crimes de plus en plus anodin.
Le Monde, jeudi 20 Juin, 1996
La campagne de répression de la criminalité en Chine semble atteindre, voire dépasser, le record en peines capitales mises à exécution, établi en 1983. Ainsi, la presse locale vient-elle d'annoncer l'exécution de vingt-cinq personnes, mardi 18 juin, dans la seule province de Guangdong, située dans le sud du pays.
En un jour, à la mi-juin, les journaux de province parvenus au bureau de l'AFP à Pékin ne recensaient pas moins de cent neuf peines capitales à travers tout le pays, la quasi-totalité suivies d'exécutions. Et Amnesty International arelevé 650 peines de mort annoncées en un mois et demi après que le régime eut donné, en avril, consigne d'intensifier le mouvement dit Frapper fort. En outre, les crimes imputés aux suppliciés, note-t-on, ont tendance à être de moins en moins graves, et sont désormais loin de se cantonner aux crimes de sang ou d'atteinte à la dignité humaine. Si sept trafiquants de femmes ont fait partie d'une charrette, au début de juin, dans la province de l'Anhui, située au centre du pays, huit voleurs de bétail ont subi le même sort au même moment dans le Heilongjiang, au nord-est de la Chine. Les annonces officielles fournissent de sordides précisions sur l'état de la société chinoise: on apprend ainsi que le rapport d'une demoiselle à marier dans la traite des femmes en question était d'une
moyenne de 2 000 yuans (1 300 francs) sur 119 personnes ainsi vendues. Des voleurs de bétail, eux, s'étaient mis 300 000 francs en poche dans le trafic qui porte sur plusieurs centaines de têtes. Non sans candeur, le président de la Haute cour de Pékin a fait l'apologie de cette sévérité accrue à l'encontre des criminels de droit commun, en indiquant que la gravité du forfait s'accroissait avec la récidive. Celle-ci ne semble pas freinée par l'alourdissement des peines. Plus de 20 % des criminels condamnés récemment dans la province du Guangdong étaient d'anciens prisonniers. Selon Amnesty, 3 612 peines de morts ont été prononcées en 1995, et 2 535 mises à exécution, au lieu de 2 783 et 2 050 respectivement l'année précédente. En 1983, on avait recensé environ 3ooo exécutions annoncées, et l'organisation humanitaire estime que le chiffre réel a pu atteindre 10 000. Le cortège des groupes de condamnés, montré quotidiennement à la télévision, jusqu'à la minute qui précède leur mise à mort, ne choque pas franc
hement la population. S'il n'effraie pas la population criminelle, il rassure dans une certaine mesure les petites gens qui n'avaient pas été accoutumés, dans le passé, à vivre avec la violence à mobile crapuleux. Des avocats n'en ont pas moins appelé timidement le régime, dans un journal officiel, le Quotidien des fois, à respecter les procédures d'application de la peine de mort, traitées de manière manifestement expéditive par la justice. Le régime n'a toujours pas donné d'indication sur les motivations politiques qu'on soupçonne derrière cette énergique campagne de nettoyage social. La démonstration que la justice esten train d'apporter au discours des autorités est en effet celle d'une distorsion croissante du tissu social, qu'il n'est pas difficile à certains d'attribuer à l'enthousiasme avec lequel les Chinois ont suivi le conseil de Deng Xiaoping les exhortant à s'enrichir. Tout ceci n'a pas empêché le ministre de la justice, Xiao Yang, d'affirmer, sans ironie, que la Chine serait, pour l'essentiel,
un Etat de droit en l'an 2000 grâce, notamment à un plan quinquennal de popularisation du droit en zones rurales dont il a annoncé la mise en oeuvre.
