Tibetan Reception Center, Katmandou. 3 septembre 1996.

Ils sont 72 à être arrivés hier. Une forte odeur de peau de yack. Des visages un peu perdus qui s'illuminent d'un grand sourire quand les regards se croisent. Déjà, l'émotion d'une rencontre. Un mois pour venir de Lhassa, dans le froid et la neige, des dizaines de kms par jour à plus de 5000 mètres d'altitude. Des torrents glacés traversés de nuit la peur au ventre.

Tashi et Nyima racontent leur voyage calmement. Elles étaient nonnes au couvent de Shugseb, à quelques heures de Lhassa. 18 et 15 ans, si fortes et si fragiles à la fois. Elles disent le manque de liberté religieuse, les séances de rééducation, passées de 1 à 3 ou 4 par mois, racontent comment leur couvent se vide petit à petit. La moitié des nonnes (environ 150) ne sont pas "accréditées" par le Bureau des Affaires Religieuses. Elles parlent des pressions de ce même bureau: "Si vous manifestez ou si vous tentez de fuir, nous arrêterons votre lama et nous fermerons le couvent". Elles sont tristes. Mais que faire d'autre ?

La goutte qui a fait déborder le vase est l'interdiction des photos du Dalaï Lama. C'est à ce moment là qu'un groupe s'est constitué et a décidé de fuir, a économisé pour les passeurs.

Puis le groupe s'est agrandi avec des moines de Drepung et de Sera. Des laïcs aussi. Et puis elles parlent de "l'autre". Comment s'appelle-t-il déjà ? Gyaltsen Norbu, le Panchen Lama nommé par les Chinois. Elles racontent le tirage au sort truqué, et malgré tout cela, l'espoir des Tibétains de voir leur pays redevenir libre.

Je leur demande des nouvelles des leurs qui sont en prison. Tsering Chokyi, arrêtée en décembre 94, a été battue et peut à peine marcher depuis. Les autorisations de visite se font de plus en plus rares. C'est derrière une glace en demi-teint que cela se passe désormais, avec une ouverture de 15 cm2 pour passer un bol de thé.

Je leur dis que nous essaierons de les aider. Et Tashi reprend la parole: "Moi, j'ai 18 ans, ça va, mais Nyima a 15 ans. Elle a perdu tous les ongles de ses orteils (à cause du froid en traversant l'Himalaya). Les autres aussi sont très jeunes. Et puis il faut partager avec les moines !"

Elles disent merci, les larmes aux yeux. Les mains sont serrées très fort, comme nos coeurs d'ailleurs. Ce serait plutôt à moi de les remercier pour leur sourire, pour m'avoir donné un peu de leur courage et de leur force.

Les mots ne valent rien..." CB (Cf "Appel urgent-Népal" plus loin) (TIBET INFO - 8 Septembre 1996)