Le passage d'une année à l'autre est toujours l'occasion de bilans, de voeux, d'espoirs. Succédant à l'année du Cochon de Feu, qui fut marquée par un assombrissement sensible de la situation au Tibet, l'année du Boeuf de Feu ne semble pas offrir beaucoup de raisons d'espérer. Forte de son taux de croissance économique, aussi inégale qu'en soit la répartition géographique et sociale, et malgré sa fragilité (déficit public record), la Chine en prend à son aise, dicte ses conditions, attise les conflits et se permet de lancer des piques aux systèmes démocratiques dont elle raille la faiblesse, voire la veulerie, qui lui sont pourtant si favorables. L'interview dans "Le Point" du 21 décembre de M. Wang Yingfan, vice-ministre chinois des affaires étrangères, atteint de nouveaux sommets. En voici un extrait:"Si conformément à la loi chinoise, des gens comme Wang Dan sont condamnés, que cela soulève l'indignation et que ces actes compromettent l'image de la Chine, ce n'est pas très grave à nos yeux. Vous savez, dans mes contacts avec des personnalités françaises dans divers milieux, très peu de gens ont soulevé cette question [des droits de l'homme]. Un petit nombre en parle par nécessité politique. Certains nous ont dit qu'ils étaient obligés de le faire, sans quoi la presse ne les aurait pas épargnés. Les journalistes sont très puissants".
Quelle reconnaissance du rôle des médias, et quel hommage du vice à la vertu ! Mais quelle horreur si Monsieur Wang disait vrai. Espérons que nos élus protesteront haut et fort contre cette version des faits. Il nous faut quant à nous (nous, la "nécessité politique") rester vigilant auprès de nos élus et leur rappeler à chaque instant l'urgence de ne pas laisser la Chine poursuivre au Tibet sa politique de répression politique et de génocide culturel. Contrairement à l'indifférence de façade affichée par les autocrates chinois, le regard du monde leur importe. Les conditions de détention de Wei Jingsheng ont changé du jour au lendemain après avoir été dénoncés par des organisations humanitaires et nous avons appris que plusieurs prisonniers tibétains, à Lhassa, avaient bénéficié de remises de peines, après avoir été "adoptés" par des communes de France. La lutte contre l'injustice, l'oppression, l'inhumanité finit toujours par produire ses fruits. L'exemple où, après des années de dictature militaire de la C
orée un régime démocratique a vu le jour, régime dont la politique sociale se trouve aujourd'hui sous la pression des salariés, montre l'inanité des arguments sur la "spécificité" d'une société asiatique qui ne connaitrait ni démocratie ni lutte sociale.
Ce monde qui bouge à l'Est, c'est aussi notre monde, et le libre échangée des idées risque de surprendre parfois les tenants d'un libéralisme limité à l'argent et aux marchandises. Il faut aller vite et parler fort, car de ces injustices répétées naît la violence. Les bombes qui ont explosé à Lhassa n'ont jusqu'à présent fait que des dégâts matériels. Demain, qui sait si elles s'en tiendront là.
Il est incroyable que dans une situation de telle tension, alors que Ngawang Choephel, musicologue tibétain réfugié aux Etats-Unis et en voyage culturel au Tibet est condamné à 18 ans de prison pour espionnage, alors que Ngawang Sangdrol et d'autres de ses compagnes détenues à Drapchi voient leur peine lourdement aggravée pour "indiscipline", alors que la Chine refuse toujours de répondre aux questions sur la disparition du jeune Panchen Lama, Gedhun Choekyi Nyima,
- la communauté européenne ne trouve rien de mieux à faire que d'offrir des millions d'ECUs, notre argent, aux occupants chinois pour un "projet de développement" excluant tout contrôle impartial et toute présence des O.N.G. les plus compétentes.
- il se trouve des alpinistes assez ignorants ou assez vénaux pour échafauder une incroyable opération "d'amitié franco-chinoise" au sommet de l'Everest, avec la complicité et les moyens techniques et financiers de France Télévision.
Ces cadeaux faits aux bureaucrates de Pékin sur le dos du peuple tibétain, en notre nom et avec notre argent, nous devons en démasquer la véritable nature.
En revanche, et ce message nous le répéterons jusqu'à ce qu'il soit entendu, nous souhaitons que nos porte-parole, à commencer par le Président de la République, offrent à la Chine moyens et occasions d'évoluer pacifiquement vers la démocratie, le respect des droits de l'homme, et du droit du peuple tibétain à l'autodétermination. Ce cadeau là, nous le ferons de grand coeur, et beaucoup de Français avec nous.
Une précision pour finir, destinée à M. Wang, la "nécessité politique", au nom de laquelle plus du tiers des élus de notre pays se sont prononcés en faveur du droit à l'autodétermination du peuple tibétain, de l'ouverture de négociations avec le Dalaï Lama, porte ici, en France, un nom bien précis: cela s'appelle la démocratie ! Continuons à nous en servir, c'est aussi le meilleur moyen de la servir ! JP Ribes (Bulletin CSPT n·13 - Février 97)