REFLEXIONS SUR LA POLITIQUE EUROPEENNE
SOMMAIRE: Le document "réflexions sur la politique européenne" approuvé le 1er septembre 1994 par le groupe parlementaire de la CDU-CSU allemande (chrétiens-démocrates/sociaux-chrétiens) fait tout d'abord le point sur la situation dans laquelle se trouve le processus d'intégration européenne en général, de l'Union européenne en particulier. Le document met en évidence trois problématiques: le risque croissant d'une dilution de l'Union européenne dans une association limitée à quelques aspects économiques, composée de divers sous-groupes et incapable de mener à bien les tâches énoncées par le Traité de Maastricht; la nécessité d'envisager une intégration croissante des pays d'Europe centrale et orientale dans l'Union européenne pour assurer sécurité et stabilité à toute l'Europe; l'intérêt primordial de l'Allemagne pour une Europe qui ne soit pas victime des forces centrifuges - ce qui confinerait à nouveau la République d'outre-Rhin dans la position instable de "milieu" entre l'Est et l'Ouest - et par conséq
uent la priorité accordée au processus d'approfondissement de l'intégration, condition préalable à l'élargissement à l'Est de l'Union.
Pour atteindre ce triple objectif, les parlementaires de la CDU-CSU proposent cinq mesures interdépendantes: le renforcement de la capacité d'action de l'Union, en mettant en place un système institutionnel à la fois démocratique et efficace, clairement défini dans un texte de nature constitutionnelle; le renforcement du noyau dur de l'Union - comprenant les pays qui veulent et qui peuvent aller de l'avant dans le processus d'intégration - afin d'opposer un centre consolidé aux forces centrifuges qui résulteraient d'un élargissement constant et, donc, de concilier approfondissement et élargissement de l'Union; intensification qualitative des relations franco-allemandes; renforcement immédiat de la capacité d'action de l'Union en matière de politique étrangère et de défense; élargissement de l'Union à l'Est devant intervenir autour de l'an 2000.
(CDU/CSU-Fraktion des Deutschen Bundestages. Bonn, le 1 septembre 1994.)
REFLEXIONS SUR LA POLITIQUE EUROPEENNE
1. Situation
Le processus d'unification européenne a atteint un stade critique de son développement. Si, au cours des deux à quatre années qui viennent, aucune solution n'est trouvée aux causes de cette évolution inquiétante, l'Union risque de s'engager inexorablement non pas sur la voie d'une plus grande convergence telle qu'elle est énoncée par le Traité de Maastricht mais d'une formation plus lâche, limitée essentiellement à quelques aspects économiques etcomposée de divers sous-groupes. Une telle zone de libre-échange "améliorée" ne saurait permettre aux sociétés européennes de surmonter les problèmes existentiels et les défis externes auxquels elles sont confrontées.
Les causes principales sont:
- surextension des institutions, créées pour 6 Etats mais appelées à fonctionner avec 12 et bientôt (vraisemblablement) 16 membres;
- divergence croissante des intérêts reposant sur un degré de développement socio-économique différent et risquant d'occulter la communauté fondamentale d'intérêts;
- perception différente des priorités internes et surtout externes (p. ex. Maghreb, Europe de l'Est) au sein de l'Union européenne s'étendant du Cap Nord à Gibraltar;
- une profonde mutation économique structurelle caractérisée par un chômage massif - impossible à surmonter à court terme - et qui menace les systèmes sociaux déjà rudement éprouvés et la stabilité de la Société. La crise est une partie seulement de la crise de civilisation générale des pays occidentaux;
- renforcement du nationalisme "régressif" dans (presque) tous les Etats membres, causé par les problèmes internes du développement des sociétés modernes et des menaces externes telle la migration. Les craintes profondes conduisent à chercher sinon des solutions du moins un refuge par un retour au nationalisme et à l'Etat-nation;
- forte mise à contribution et faiblesses évidentes de certains gouvernements et parlements nationaux face aux problèmes évoqués;
- question ouverte du moins en ce qui concerne la date et les modalités - de l'intégration dans l'Union européenne des Etats d'Europe centrale et (orientale), défi lancé aux Etats membres actuels et mise à l'épreuve non seulement en ce qui concerne la contribution matérielle qu'ils sont désireux et capables d'apporter mais aussi en ce qui concerne leur auto-définition morale et spirituelle. La réponse de l'Union sera révélatrice de sa capacité et résolution à devenir, à côté d'une Russie démocratique et à nouveau stabilisée, et tout en maintenant l'alliance avec les Etats-Unis, le pilier principal de l'ordre du continent.
II. L'intérêt de l'Allemagne
En raison de sa situation géographique, son étendue et son histoire, l'Allemagne a particulièrement intérêt à ce que l'Europe ne subisse pas l'effet de forces centrifuges la confinant à nouveau dans sa position inconfortable du milieu.
Cette position entre l'Est et l'Ouest l'a empêchée dans le passé de donner à son ordre intérieur une orientation sans équivoque et de trouver un équilibre stable et durable dans ses relations extérieures. Les tentatives de l'Allemagne de surmonter par laconquête de l'hégémonie cette situation au centre de tous les conflits européens se sont soldées par un échec. La catastrophe militaire, politique et morale de 1945, conséquence de la dernière de ces tentatives, non seulement a fait prendre conscience à l'Allemagne de l'insuffisance de ses forces mais a fait naître la conviction que sa sécurité ne peut être réalisée qu'au moyen d'une modification profonde du système étatique en Europe rendant toute aspiration hégémonique inconcevable et la privant de tout attrait. Cette conviction est devenue la maxime dont s'inspire désormais la politique allemande. C'est ainsi que le problème de la "sécurité à l'égard de l'Allemagne" fut résolu par la "sécurité avec l'Allemagne". Ce nouveau système alliant le contrôle de l'
Allemagne par ses partenaires au contrôle de ceux-ci par l'Allemagne ne fut rendu possible que parce que la partie occidentale de l'Allemagne est devenue indispensable à la sauvegarde de la sécurité de l'occident vis-à-vis de l'Union soviétique et parce que, dans la domaine militaire, l'OTAN, sous la direction des Etats-Unis, se déclarait prête à assumer cette double tâche de l'intégration de l'Allemagne. Sur le plan économique et de plus en plus sur le plan politique, la solution a consisté à intégrer l'Allemagne dans la CE/UE. D'où la nécessité d'établir des institutions communes pour gérer l'imbrication croissante des relations en Europe (de l'Ouest). A l'intérieur de ce système, la supériorité économique relative de l'Allemagne ne se traduisait pas par une prédominance de l'Allemagne mais s'avèrait bénéfique pour tous. Ainsi, pour la première fois de son histoire, l'Allemagne - du moins sa partie la plus grande - devient partie intégrante de l'occident, tant en ce qui concerne son ordre intérieur que son
orientation extérieure. Pour l'Allemagne, il n'y a pas d'autre alternative que ce système d'après-guerre extraordinairement stable et ayant fait ses preuves, puisqu'en raison de la confrontation Est-Ouest et de la défaite totale de l'Allemagne en 1943, il ne pouvait être question pour elle d'une politique à l'Est autonome, voire d'une orientation vers l'Est.
Aujourd'hui, le conflit Est-Ouest étant surmonté, il importe de trouver un ordre stable pour la partie orientale du continent également. Ceci est de l'intérêt de l'Allemagne en particulier : étant donné sa situation, elle serait la première à subir directement les effets de l'instabilité à l'Est. La seule solution pouvant empêcher le retour au système instable d'avant-guerre confinant l'Allemagne dans une position inconfortable entre l'Est et l'Ouest, consista à intégrer les voisins centre- et est-européens de l'Allemagne; dans le système d'après-guerre (ouest-) européen, tout en établissant un large partenariat avec la Russie. Il faut veiller à ce qu'il n'y ait jamais plus de vide au centre de l'Europe, menaçant la stabilité. Si l'intégration (ouest-) européenne ne devait pas évoluer dans ce sens, l'Allemagne pourrait, sous l'effet de contraintes de sécurité, être amenée ou incitée à établir seule et par les moyens traditionnels, la stabilité en Europe de l'Est, ce qui dépasserait largement ses forces et en
traînerait l'érosion de la cohésion au sein de l'Union européenne, d'autant plus que le souvenir du passé où la politique à l'Est consistait essentiellement pour l'Allemaqne à coopérer avec la Russie, au détriment des pays situés entre ces deux pays est encore présent partout. L'Allemagne a par conséquent un intérêt fondamental àvoir l'Union s'élargir à l'Est mais aussi à s'approfondir, l'approfondissement étant la condition même de l'élargissenent. Sans consolidation interne, l'Union ne serait pas en mesure de faire face aux tâches immenses résultant de l'extension à l'Est et risquerait de s'effriter pour redevenir un groupement lâche d'Etats incapable de répondre au besoin de stabilité de l'Allemagne. C'est seulement si l'on réussit à développer davantage le nouveau système mis sur pied après 1945 en vue de régler les conflits, assurer l'équilibre des intérêts, encourager le développement mutuel et l'autoaffirmation vers l'extérieur et à l'étendre aux voisins centre- et est-européens de l'Allemagne, que ce
lle-ci aura une chance de devenir un pôle de stabilité au centre de l'Europe. Cet intérêt de stabilisation qui est celui de l'Allemagne est, en principe, identique à celui de l'Europe dans son ensemble.
Sa situation, son étendue et ses relations étroites avec la France, confèrent à l'Allemagne une responsabilité particulière en ce qui concerne l'intégration de la partie orientale de l'Europe et l'opportunité de jouer un rôle déterminant dans la promotion d'un développement qui lui serait bénéfique aussi bien qu'à l'Europe.
L'accession de l'Allemagne à la présidence de l'Union, le Ier juillet 1994, marque pour elle le point de départ d'immenses efforts nécessaires à long terme pour atteindre cet objectif.
III. Que faut-il faire ? Propositions
L'objectif susmentionné ne peut être atteint que par une combinaison de diverses mesures tant dans le domaine institutionnel que dans nombre de domaines politiques. Sont proposées les cinq mesures suivantes interdépendantes, formant un tout :
- développement institutionnel de l'Union, réalisation du principe de subsidiarité comprenant aussi le retransfert des compétences aux niveaux inférieurs;
- renforcement du noyau dur de l'UE;
- intensification qualitative des relations franco-allemandes:
- renforcement de la capacité de l'Union à agir en matière de politique étrangère et de sécurité;
- extension de l'Union à l'Est.
Il va de soi que la lutte contre la criminalité organisée, l'établissement d'une politique commune en matière de migration, la lutte contre le chômage, une politique sociale commune, la compétitivité de l'Europe et la protection de l'environnement sont d'une importance décisive en particulier pour la perception de l'Union par les citoyens de l'Europe.
1. Développement institutionnel
Le développement institutionnal de l'UE par la Conférenceintergouvernementale de 1996, doit se fonder sur les principes suivants :
- L'objectif doit être de renforcer la capacité d'action de l'UE et d'aménager ses fondements démocratiques et fédéraux.
- A cet effet, il importe de trouver une réponse au problème constitutionnels, c'est-à-dire à la question de savoir qui doit faire quoi. Cette réponse doit faire l'objet d'un document quasi-constitutionnel, délimitant clairement les compétences de l'Union européenne, de ses Etats membres et celles des régions tout en définissant les idées fondamentales sur lesquelles reposent l'Union.
- Ce document doit s'inspirer du modèle de la construction d'un Etat fédéral et du principe de subsidiarité non seulement en ce qqi concerne à la fois la délimitation des compétences mais également la question de savoir si certaines tâches doivent être assumées par les pouvoirs publics, et donc aussi l'Union, ou être réservées à des groupements de la société. L'Allemagne, qui a demandé l'insertion du principe de subsidiarité dans le traité de Maastricht et jouit d'une certaine expérience à cet égard, est appelée à soumettre des propositions concrètes non seulement quant à l'application du principe de subsidiarité aux futures mesures de l'UE mais aussi quant à l'adaptation des réglementations existantes à ce principe.
- Toutes les institutions existantes, Conseil, Commission, Présidence et Parlement européen, doivent être réformées. De nombreuses propositions ont déjà été faites à ce sujet entre autres par le groupe parlementaire CDU/CSU. Les réformes doivent tendre vers une nouvelle conception de la pondération des institutions conférant progressivement au Parlement le caractère d'un organe législatif à égalité de droits avec la Conseil, ce dernier étant appelé à assumer, à côté d'autres tâches relevant essentiellement du domaine intergouvernemental, le rôle de seconde Chambre, c'est-à-dire de Chambre des Etats, la Commission exerçant les attributs d'un gouvernement européen.
A côté de l'accroissement de l'efficacité, la démocratisation de l'Union doit constituer le principe central, applicable aussi et surtout au Parlement européen, qu'il faudrait du reste inviter d'emblée à collaborer étroitement et en toute confiance à la préparation de la Conférence intergouvernementale de 1996. Parallèlement, et non pas en priorité, il convient d'accorder une importance de premier ordre à la participation des parlements nationaux à la formation de la volonté politique en Europe. S'agissant du Conseil, démocratisation est synonyme de meilleur équilibre entre le principe de l'égalité de tous les Etats membres, d'un côté, et le partage des voix en proportion du nombre d'habitants, de l'autre.
Le développement futur des institutions de l'UE doit allier à la fois cohérence et consistance, élasticité et flexibilité.
Les institutions de l'Union doivent être développées de manière à atteindre une élasticité capable de compenser les tensions inhérentes à une Communauté s'étendant du Cap Nord à Gibraltaret une différenciation suffisante pour tenir compte des capacités (et volontés) d'intégration différentes des pays. D'un autre coté, elles doivent être suffisamment stables pour permettre un
renforcement de la capacité d'action de l'Union face à des défis particulièrement importants.
En dépit de difficultés juridiques et pratiques considérables, l'idée de "géométrie variable" et d'une Europe "à plusieurs vitesses" devrait être autant que possible entérinée et institutionnalisée dans le Traité sur l'Union ou le document quasi-constitutionnel mentionné plus haut. Sinon, l'Union restera limitée à une coopération intergouvernementale favorable à "une Europe à la carte". La question de savoir si, en cas d'amendement du Traité de Maastricht, le principe de l'unanimité enoncé à l'article N devrait être remplacé par un quorum à spécifier, s'inscrit également dans ce contexte. Il est essentiel qu'aucun pays ne puisse opposer son veto et bloquer ainsi les efforts d'autres pays plus aptes et décidés a accroître leur coopération et intégration.
Le développement d'une approche flexible de l'intégration, telle que la prévoit le Traité de Maastricht pour l'Union monétaire et qui est déjà mise en oeuvre en dehors du Traité, dans le cadre de l'Accord de Schengen, paraît d'autant plus nécessaire que les difficultés du développement institutionnel mentionné plus haut, dejà immenses dans la présente constellation, ne devraient pas diminuer à l'avenir comme l'ont montré les négociations sur l'adhésion à l'Union des Etats de l'AELE. Ce serait déjà considérable si l'on pouvait absolument éviter le sur place, et donc un recul du processus d'intégration.
2. Renforcement du noyau dur de l'UE
A côté de l'accroissement de l'efficacité décisionnelle au sein de l'Union européenne et de la démocratisation de la formation de la volonté politique, le noyau dur déjà constitué par les pays axés sur l'intégration et prêts à coopérer, doit être renforcé encore davantage. Actuellement, ce noyau dur comprend cinq ou six pays, mais il ne doit pas être fermé, il doit au contraire être ouvert à tout Etat membre désireux et capable de répondre à ses exigences. Le noyau dur a pour tâche d'opposer un centre consolidé aux forces centrifuges dues à un élargissement constant, afin d'empêcher un développement divergent entre un groupe sud-ouest plus enclin au protectionnisme et dirigé en quelque sorte par la France, et un groupe Nord-Est favorable au libre-échange mondial et dirigé en quelque sorte par l'Allemagne.
Les pays du noyau dur doivent à cette fin non seulement participer à tous les domaines de la politique, ils doivent par ailleurs orienter d'un commun accord plus résolument leur action dans un sens communautaire et lancer plus d'initiatives communes visant à promouvoir le développement de l'Union. La Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas doivent être par conséquent associés plus étroitement à la coopération franco-allemande, d'autant que les Pays-Bas ont révisé leur scepticisme quant à la fonction de ces deux pays en tant que force motrice de l'intégration européenne. La coopération entre les pays du noyau dur doit se concentrer en particulier sur les domaines ajoutés aux Traitésde Rome par la Traité de Maastricht.
Dans le domaine monétaire on discerne également les signes d'une émergence d'un noyau dur de ces cinq pays. Avec le Danemark et l'Irlande, ce sont ces pays qui se rapprochent le plus des critères de convergence stipulés dans le Traité de Maastricht. Ceci est d'autant plus important que l'Union monétaire constitue le noyau dur de l'Union politique (et non pas un élément supplémentaire de l'intégration, comme on le croit souvent en Allemagne). Si l'Union monétaire doit être établie selon le calendrier prévu, elle ne s'appliquera tout d'abord qu'à un petit groupe de pays - conformément à l'alternative prévue par le Traité de Maastricht. Et même dans ce cas, elle ne sera achevée que si le noyau dur des Cinq s'y attache systématiquement et résolument. A cette fin, ils devraient veiller à établir dans les
domaines suivants:
- Politique monétaire
- Politique fiscale et budgétaire
- Politique économique et sociale
une plus grande coordination dans le but d'établir une politique commune, et ainsi - indépendamment des décisions formelles de 1997 et 1999 - jeter les bases d'ici là d'une union monétaire au sein du groupe.
Le groupe du noyau dur en Europe doit convaincre tous les membres de l'UE - en particulier l'Italie, membre fondateur, mais également l'Espagne et bien évidemment la Grande-Bretagne - de leur volonté de les intégrer aussitôt qu'ils auront résolu certains de leurs problèmes actuels et dans la mesure où ils ont eux-mêmes la volonté de prendre les engagements mentionnés. La formation d'un noyau dur n'est pas un objectif en soi, mais un
moyen de concilier des objectifs contradictoires - approfondissement et élargissement de l'Union européenne.
3. Nouveau stade qualitatif des relations franco-allemandes
Les relations franco-allemandes doivent être portées à un nouveau stade qualitatif si le processus historique de l'unification européenne doit, non pas marquer le pas, mais atteindre son objectif politique. C'est pourquoi, aucune action significative dans les domaines de la politique étrangère et européenne ne doit être engagée sans concertation franco-allemande préalable. Le conflit Est-Ouest étant surmonté, la coopération franco-allemande n'est pas devenue moins importante mais plus importante encore que par le passé.
La France et l'Allemagne constituent le centre du noyau dur. Dès le début, les deux pays formaient le moteur du processus d'unification européenne. Leur relation privilégiée est maintenant mise à l'épreuve; en effet, elle laisse aussi transparaître les signes d'une divergence d'intérêts et de perception susmentionnée et donc le danger d'un développement divergent. En France, on craint que le processus d'élargissement vers le Nord, mais surtout l'adhésion de l'Autriche, puis plus tard le processus d'élargissement vers l'Est n'aboutissent à un lâche groupement d'Etats, où l'Allemagne jouirait d'unaccroissement significatif de pouvoir et occuperait ainsi une position centrale. Pour la France, l'approfondissement de l'Union avant son élargissement est, par conséquent, d'une importance vitale. Désormais, alors que l'Allemagne est unifiée, et - ce qui est encore plus important dans ce contexte - alors qu'elle peut engager à nouveau une politique active à l'Est et jouir de la même liberté d'action que ses partenair
es à I'Ouest, l'ancienne question qui s'était posée au début du processus d'unification européenne - limité tout d'abord à l'Europe de l'Ouest - de savoir comment intégrer une Allemagne puissante dans les structures européennes se pose sous une forme nouvelle, en fait sous sa forme réelle.
Il est important tout particulièrement pour les relations franco-allemandes que cette question soit posée clairement afin d'éviter malentendus et méfiance.
Soulignons tout d'abord, et ceci est également d'importance pour l'Allemagne, que la volonté des voisins de l'Est de l'Allemagne (tout comme les Etats de l'AELE) d'adhérer à l'UE, est inspirée de manière non négligeable par leur souhait de ne pas être trop dépendants de l'Allemagne, ce qui ne peut se réaliser que dans une communauté qui soit davantage qu'une zone de libre-échange.
Il est décisif naturellement que l'Allemagne démontre par sa politique qu'elle adhère indéfectiblement et plus que jamais à l'objectif d'une Europe forte, capable d'agir et intégrée. (L'Allemagne estime en avoir apporté la preuve depuis longtemps
mais, comme la montrent les critiques exprimées sur son attitude lors de l'adhésion des pays scandinaves et de l'Autriche, ce n'est pas l'avis unanime). L'Allemagne doit fournir cette preuve
dans ses propositions tendant à développer l'Union sur le plan institutionnel et politiquement avant même l'élargissement mais aussi dans la perspective de l'élargissement.
Si l'Allemagne doit présenter sa position clairement et sans équivoque, la France, à son tour, est appelée à en faire autant. Elle doit corriger l'impression donnée : s'il n'y a aucun doute en effet sur son désir fondamental de poursuivre l'intégration européenne, elle se montre souvent indécise lorsqu'il s'agit de prendre des mesures concrètes à cet effet, l'idée ayant toujours cours qu'il est impossible de renoncer à la souveraineté de l'Etat-nation, alors que celle-ci ne constitue depuis longtemps plus qu'une enveloppe vide.
Etant donné l'importance de l'Union monétaire particulièrement pour les relations franco-allemandes, il importe - à côté des travaux préparatoires du noyau dur - de surmonter les divergences d'opinion entre la France et l'Allemagne sur des questions politico-économiques essentielles, p. ex. en ce qui concerne la "politique industrielle" et le droit en matière de concurrence. Dans ce contexte, il serait hautement souhaitable d'aboutir à un accord sur la création d'un office des cartels de l'Union. Par ailleurs, une discussion est également nécessaire sur les objectifs à long terme de la PAC et sur les caractéristiques principales de l'organisation financière à venir de l'Union.
Il en est de même pour les fréquentes divergences entre la Franceet l'Allemagne sur la question centrale de la défense européenne et de sa relation avec l'OTAN (comme c'est le cas dans la discussion actuelle sur les moyens de mettre en oeuvre la décision relative au Groupe de forces interarmées multinationales prise au sommet de l'OTAN de janvier 1994).
Concernant deux questions aussi fondamentales, les conseils franco-allemands correspondants (Conseil économique et social et Conseil de la Défense) devraint servir de forum pour une discussion de principe, objective et échappant à toute doctrine précise.
Plus que jamais, la relation avec la France constitue pour l'Allemaqne un indicateur de son appartenance profonde à la culture politique de l'Ouest, en opposition à la tendance, qui
gagne à nouveau du terrain surtout dans les milieux intellectuels, favarable à un "Sonderweg", une voie particulière allemande. Ceci est d'autant plus vrai, que les USA ne peuvent jouer leur rôle traditionnel maintenant que le conflit Est-Ouest est surmonté. Un dialogue sérieux et ouvert sur les conceptions favorisant de telles tendances et sur les sentiments et ressentiments mutuels dans les relations franco-allemandes, est tout autant nécessaire que le renforcement de la coopération politique entre les deux pays.
4. Rendre l'Union capable d'agir dans le domaine de la politique extérieure et de sécurité
Accroitre considérablement la capacité d'action de l'Union dans le domaine de la politique extérieure et de sécurité est d'une importance capitale pour l'avenir.
Les États nationaux européens ne sont plus en mesure, chacun pour soi, de garantir leur sécurité, d'autant que l'on a vu ressurgir en Europe des problèmes de sécurité que l'on croyait résolus depuis longtemps et que depuis la fin de l'affrontement Est-Ouest l'assistance des Etats-Unis n'est pas assurée pour tous les types de conflits.
Or la capacité d'assurer sa sécurité, la capacité de se défendre est la condition et l'essence même de la souveraineté des Etats.
C'est donc également vrai pour l'Union européenne en tant que communauté d'Etats, ceux-ci ne pouvant plus assurer leur souveraineté que par le biais de la Communauté. Or, la conscience de leur propre souveraineté étant le facteur déterminant du rapport des peuples à soi-même et vis-à-vis des autres, la capacité de défense commune de cette communauté d'Etats européenne constitue un facteur inaliénable de la stabilisation d'une
identité propre de l'UE ménageant toutefois à chaque Etat membre une place à leur identité propre.
Au cours des quelques années qui se sont écoulées depuis la fin du conflit Est-Ouest, la définition d'une politique extérieure et de sécurité commune de l'Union s'est avérée beaucoup plus importante et urgente que prévue dans le Traité de Maastricht. Même les pays membres les plus grands ne sont pas capables de faire face aux défis externes. Tous les sondages montrent que lagrande majorité des citoyens réclame une politique extérieure et de sécurité commune. Cependant, leur adhésion au processus d'intégration européenne a nettement faibli à cause de la réaction insuffisante de l'Union aux développements dramatiques dans la partie orientale de l'Europe. La question du statut des futurs membres en matière de politique de sécurité est déterminante pour le caractère politique et l'organisation politique général du continent.
A la base de l'action de l'Union européenne en matière de politique extérieure et de sécurité, il faut un concept stratégique définissant en toute clarté les intérêts et les objectifs communs, fixant les conditions et procédures ainsi que les instruments politiques, économiques et financiers. Les domaines prioritaires de la politique extérieure et de sécurité sont les suivants :
- politique commune visant à stabiliser l'Europe centrale et orientale,
- développement des relations avec la Russie dans le but d'établir un vaste partenariat,
- politique commune dans l'espace méditerranéen dont la stabilité présente un intérêt fondamental non seulement pour les riverains mais aussi pour l'Allemagne,
- mise sur pied d'un partenariat stratégique avec la Turquie,
- nouvelle orientation des relations transatlantiques.
Les relations transatlantiques revêtent une importance particulière car elles incluent l'ensemble des questions relevant de la politique extérieure et de sécurité commune et appellent de ce fait une politique commune de l'Union européenne et des Etats-Unis. En outre, il importe d'engager également une action transatlantique concertée face aux défis globaux à venir.
La mise sur pied d'une défense européenne commune est nettement plus prioritaire que ne le prévoit le Traité de Maastricht. Il y est question d'une définition "à terme", or le moment opportun, c'est aujourd'hui. Les difficultés intérieures entre pays européens de même que les difficultés qui se sont fait jour entre l'Europe et les Etats-Unis à l'occasion de la guerre en ex-Yougoslavie mettent en relief toute l'urgence de ce postulat. Aussi faut-il redoubler d'efforts pour réaliser la défense européenne commune, les Européens étant appelés à assumer une part de responsabilité beaucoup plus large pour leur propre sécurité, à la fois en ce qui concerne les mesures propres à maintenir et rétablir la paix et bien plus encore en ce qui concerne la statut des futurs membres de l'Union en matière de sécurité. Dans une communauté d'Etats qui se conçoit comme une union, tous les membres doivent bénéficier d'un même statut en ce qui concerne la sécurité extérieure. C'est une des conditions préalables à la qualité de me
mbre. Par conséquent, si l'on attend des Etats-Unis non seulement de continuer à honorer leurs obligations sur l'actuel territoire de l'Alliance mais à les étendre (pour le moins) aux pays adhérant à l'Union, l'Europedevrait fournir d'elle-même la contribution la plus importante dans le domaine non nucléaire.
A plus long terme, l'OTAN doit donc être transformée en alliance au sein de laquelle les Etats-Unis et le Canada d'un coté et l'Europe, entité capable d'agir de l'autre, revêtent un poids égal. C'est en ce sens que la conférence de révision 1996 doit refondre les relations entre UEO/UE, conformément à l'article J.4, alinéa 6.
Concernant la question actuelle de la réorganisation des relations entre l'UEO et l'OTAN quant aux tâches échappant à l'article 5 du Traité de Washington (Groupe de forces interarmées multinationales), il importe de trouver une solution autorisant les Européens, sur la base d'une décision ad hoc du Conseil de l'OTAN (et donc prise avec la participation des USA), à engager des actions indépendantes tout en faisant appel aux moyens de l'OTAN ainsi qu'à des éléments de ses états-majors. Comme l'a montré une fois de plus le récent discours du président Clinton à Paris, les USA sont favorables à une identité européenne en matière de défense, ils la réclament même.
Pour être active et fructueuse, la politique extérieure et de sécurité commune ne saurait se passer d'une direction et d'une coordination plus souples et plus efficaces. A cet effet, il faudra notamment instituer une cellule de planification de la PESC hautement qualifiée, chargée exclusivement d'une action prospective et pouvant prendre contact directement avec les organes de décision nationaux.
Remarque
Les propositions tendant à dégager un noyau de l'Europe et à
intensifier encore davantage la coopération franco-allemande ne signifient pas que l'on abandonne l'espoir de voir la Grande-Bretagne assumer son rôle au coeur l'Europe et donc de s'intégrer dans ce noyau. Bien au contraire, elles reposent sur la certitude que le développement résolu de l'Europe est le meilleur moyen d'influer favorablement sur la clarification de la position de la Grande-Bretagne à l'égard de l'Europe et sur sa volonté de participer à d'autres progrès dans la voie de l'intégration.
5. Elargissement vers l'Est
L'admission à l'UE de la Pologne, des républiques tchèque et slovaque, de la Hongrie (et de la Slovénie) doit intervenir autour de l'an 2000 et est liée aux quatre mesures proposées ci-dessus; elle est dépendante de leur réalisation mais elle en est aussi le but ultime.
La simple certitude de l'admission en qualité de membre de l'UE et à plus forte raison l'adhésion même sont de nature à mieux promouvoir le développement politique et économique de ces pays
que toute aide extérieure. A côté de cet avantage politico-psychologique manifeste, l'adhésion à cette date comporte pour les nouveaux aussi bien que pour les anciens membres des charges telles sur le plan économique que seule lacombinaison de diverses mesures permettra d'y aboutir. Il en va non seulement du rapprochement des législations des Etats d'adhésion, déjà prévu par les traités européens, mais aussi de réformes dans divers domaines politiques de l'Union, notamment dans l'agriculture. En outre, il faudra prévoir pour l'adaptation économique de très longues périodes de transition sans doute différentes selon les pays et qui seront une application du concept de "géométrie variable". En définitive, il ne devra pas résulter de part et d'autre des coûts plus élevés que dans le cas d'une adhésion plus tardive car il ne faut pas oublier que plus l'adhésion est tardive plus les coûts sont élevés.
L'admission de ces pays devra se faire par étapes et par le biais d'une coopération encore plus étroite. Voici les propositions à cet effet :
- réalisation systématigue de l'ouverture du marché convenue dans les traités européens,
- harmonisation des politiques commerciales,
- promotion du libre-échange et de la coopération entre les pays réformateurs,
- plus large participation des Etats d'Europe centrale et orientale à certains aspects de la PESC, par ex. coopération plus multilatérale,
- transposition de la coopération dans le domaine de la politique de sécurité telle que convenue dans la déclaration de Kirchberg relative au "partenariat associé" avec l'UEO,
- participation à la coopération en matière de politique intérieure et de politique juridique concernant la politique des étrangers, de la migration, de l'asile, des visas et EUROPOL.
La participation des Etats de l'Europe centrale et orientale à l'Union européenne doit s'accompagner d'une politique de partenariat global entre l'Union et la Russie. Il faut que la Russie gagne la certitude - dans la mesure où cela est possible de l'extérieur - qu'elle constitue sur le continent le second pilier politique à côté de l'Union européenne. L'accord de partenariat et la coopération avec la Russie représentent une première démarche importante dans ce sens qui doit être suivie par d'autres accords en matière de politique de sécurité, en rapport avec l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale à l'UE/UEO et à l'OTAN.
La réalisation du programme proposé ci-dessus offre la meilleure chance de surmonter les incertitudes des citoyens concernant le processus d'unification. Contrairement aux déclarations irréalistes et dangereuses à la fois sur le plan de la théorie juridique et sur le plan politique, auxquelles se livrent certains intellectuels - parfois aussi certains politiques - à la parole facile et mal informés, la grande majorité des citoyens est parfaitement consciente de la nécessité d'une Europe unie. Mais elle attend à bon droit plus de démocratie, une plus large publicité et transparence et elle attend surtout que l'Europeenregistre des succès dans les domaines mentionnés. Au fond, les citoyens savent fort bien que les intérêts de l'Allemagne ne peuvent être réalisés que dans le cadre, dans l'espace et par l'intermédiaire de l'Europe. Ainsi, la nation non seulement ne s'expose à aucun danger mais garantit ses fondements, dès lors qu'elle garantit son avenir.