UNE ANNEE COMMENCE
de Emanuele Gazzo
(Agence Europe, Luxembourg, le 2 janvier 1963)
N'interrogeons pas les astres ou autres augures et n'essayons pas de faire des prophéties, mais considérons tout simplement les lignes de force suivant lesquelles les événements qui nous préoccupent se sont déroulés pendant les dernières semaines et essayons, sur la base des renseignements que nous possédons, d'établir dans quel sens elles vont pouvoir se développer au cours des prochains mois.
Nous constaterons tout d'abord que les problèmes de la défense et des armes appropriées pour rendre efficace cette défense, vont avoir dès maintenant un impact croissant sur l'évolution de la politique d'intégration européenne. Cela n'est pas nouveau: le problème de l'armement atomique, la question de savoir qui doit le posséder, qui peut l'employer et comment cet emploi pourrait se faire, n'est qu'un aspect nouveau du problème que les idéateurs du Traité de la C.E.D. avaient cherché à résoudre. L'instrument qui assure la défense est le propre de l'Etat et il n'y a rien d'étonnant à constater que l'Etat ne veut pas s'en dessaisir. La construction d'un ensemble cohérent d'Etats, d'une communauté d'Etat, ne peut pas, à un moment donné, ne pas exiger que ce problème de la défense commune soit abordé, épuisé, puis résolu. C'est ce que pensaient les idéateurs de la C.E.D.: à ce moment-là c'était peut-être trop tôt. En tout cas, éluder le problème n'est pas le résoudre; il est par conséquent souhaitable que les év
énements poussent vers une solution: on y verra plus clair après. Nous nous limiterons ici à une considération tout à fait marginale, mais qui nous semble digne d'être notée: il n'est pas étonnant de voir que la Grande-Bretagne a accepté une solution (celle des Polaris) qui est strictement conforme à sa vocation et à sa tradition de puissance maritime, voire océanique. De même, il est conforme à la logique des choses que cette solution soit considérée avec quelque suspicion et méfiance de la part d'une puissance traditionnellement continentale, comme la France. La géographie a ses impératifs et entre généraux et amiraux l'harmonie n'a pas toujours régné ...
Sans changer pour autant de cadre, passons à un autre thème... Une chose nous paraît certaine: dans un sens ou dans l'autre, le problème de l'adhésion britannique à la Communauté devra recevoir une solution dans les tout prochains mois. L'état de la négociation, la nature des questions qui doivent recevoir une réponse, le degré de préparation de l'opinion publique, tout porte à conclure qu'il n'est guère possible de prolonger encore indéfiniment cette opération et que les risques de la rater vont en augmentant au fur et à mesure que le temps passe. Dans ce contexte on peut se demander quelle est la signification du passage qu'a consacré à l'Angleterre le Général de Gaulle dans sa dernière allocution. L'Europe est "prête à accueillir dans l'avenir une Angleterre qui pourrait et qui voudrait se joindre à elle sans réserves et définitivement". Est-ce à un avenir lointain que l'on fait allusion ici ou à des réserves réelles que nous tous estimions depuis longtemps définitivement levées? Là aussi, l'avenir nous d
onnera une réponse.
Il y a ensuite l'union de l'Europe dans le domaine plus strictement politique. Nous Nous avions, oh combien exactement, prévu qu'il ne serait pas possible d'en reparler jusqu'à ce que l'entrée de la Grande-Bretagne ne soit un fait accompli, ou du moins un élément acquis. Maintenant il est légitime de penser que des initiatives nouvelles soient amorcées. A qui de faire le premier pas? Là est le problème. L'institutionnalisation de la coopération francoallemande, à laquelle on assistera très prochainement, a le but évident de fonctionner comme catalyseur: si elle y parviendra est une autre affaire: on peut en douter. Certains préfèrent attendre le concours de circonstances plus favorables, Toujours est-il que la déclaration solennelle de juillet 1961 reste lettre mode et qu'au moins un de ses signataires n'a déjà plus l'espoir d'en signer les instruments qui la traduiront en réalité..."