UNE DEFENSE EUROPEENNE
de Emanuele Gazzo
(Agence Europe, Luxembourg, le 22 février 1963)
La question nous est posée parfois de savoir pourquoi on a accepté pendant de longues années et pourquoi on accepte encore le "leadership" sinon l'hégémonie des Etats-Unis en matière de défense nucléaire de l'Occident, alors qu'on se montre tellement chatouilleux vis-à-vis d'un éventuel "leadership" français, limité, celui-ci, au continent européen.
La réponse est cependant très simple et il n'est pas nécessaire d'aller la chercher dans des complexes plus ou moins imaginaires d'infériorité ou de reconnaissance ou autres. La réponse est que le déterrent américain devait remplir le vide énorme, le grand trou qu'était l'Europe en matière de défense (cela on l'oublie un peu trop facilement) et que le résultat a été extrêmement positif (autrement on ne serait pas ici à causer) et que, malgré tout ce que l'on nous dit, on a des raisons fondées pour estimer que le vide qui se reformerait ne serait pas tout à fait rempli par le nouveau deterrent que l'on nous propose. Non seulement il vaut mieux un tiens que deux tu auras, mais il faut ajouter que l'allié américain est éloigné et qu'il s'agit d'un allié, alors que dans la deuxième hypothèse il s'agit d'un partenaire très proche et auquel on est lié par une "communauté de destin".
Il s'agit donc de voir si aujourd'hui, la situation mondiale ayant changé, il est possible de trouver un moyen plus proprement européen pour remplir ce fameux vide, pour le remplir avec efficacité, de sorte que la sécurité de l'Europe en soit garantie, moyennant une coopération, bien entendu, avec le deterrent américain. Or, la seule solution de raison, dictée par la logique et par une vision à long terme de l'évolution politique, semble être, comme nous l'écrivions hier, la création d'une force nucléaire véritablement européenne et qui n'est donc ni une force purement nationale, ni une juxtaposition de forces nationales. Car le secret de l'efficacité réside dans ce caractère unitaire de cette force envisagée. C'est d'ailleurs parce qu'il dépendait pratiquement d'une seule volonté, tout en tenant compte d'intérêts multiples, que le deterrent américain a été et continue à être efficace. La notion de multilatéralisme, en matière de défense, nous paraît douteuse... "