LES FEMMES ET LA CONSTRUCTION DE L'EUROPE
de Emanuele Gazzo
(Agence Europe, Bruxelles, jeudi 2 mai 1968)
La presse périodique qui s'adresse plus particulièrement au public féminin dans les six pays de la Communauté, et dont le tirage global dépasse, nous dit-on, les soixante millions d'exemplaires, tient actuellement une réunion à Bruxelles, pour discuter, avec les "experts" des Communautés, de certains problèmes que pose à leur activité d'information le fait historique que nous vivons, à savoir la construction progressive d'une Europe unie.
Il va de soi que la construction de l'Europe, sous tous ses aspects économiques, sociaux, politiques, concerne au même titre les citoyens, qu'ils soient hommes ou femmes, et que tous les citoyens ont le droit et le devoir d'y contribuer dans la mesure de leur capacité, et du rôle qu'ils jouent dans la société. Or, c'est bien là que le problème se pose. Cette égalité de droits et de devoirs reste du domaine de la théorie. Et cela non seulement parce que, comme cela est naturel, les individus sont différents et leur participation à la vie sociale est différente, mais parce que toute une moitié de ces citoyens se trouve "automatiquement" en retard par rapport à l'autre moitié. Toutes les enquêtes le révèlent et le confirme (mais y-a-t-il besoin d'enquêtes pour s'en apercevoir ?) les femmes sont "en retard" par rapport à l'ensemble de la société dans la capacité, dans la possibilité d'apprécier la profonde transformation du monde qui est en train de se produire, et dont la construction de l'Europe est un élément
important, transformation qui est appelée à avoir de si profondes répercussions sur leur mode de vie et sur toutes les activités, individuelles ou collectives. Ce retard est nuisible à la collectivité dans son ensemble, car il n'est pas sain qu'une partie seulement prenne une part active à l'élaboration des décisions et à leur application. "Où sont-elles, s'est demandé M. Rabier, Directeur au Service d'information des Communautés en ouvrant le Congrès, où sont-elles ces 72 millions de femmes de plus de 15 ans; que savent-elles de l'Europe qui se fait pour elles aussi? "Et pourtant, sur trois personnes "actives" dans la société européenne, une est une femme et sur cinq salariés, de l'industrie, du commerce ou de l'agriculture, une est une femme. Il est donc assez normal de se demander si une participation plus active, plus directe (bien que celle, indirecte, de la mère ou de l'épouse ne soit pas moins importante et efficace) de la femme dans l'élaboration quotidienne, à tous les échelons, n'apporterait pas d
es solutions meilleures à certains problèmes, ou ne faciliterait les adaptations inévitables et parfois douloureuses que comporte la construction de l'Europe. Pensons, par exemple au problème du dépeuplement de la campagne, à la mobilité des travailleurs, à l'égalité des salaires, etc. Il s'agit aussi, et surtout, de la contribution qu'elle peut donner au choix de civilisation que fait inévitablement une société soumise à des changements extraordinaires et prenant de nouvelles dimensions. La femme est peut-être meilleur juge que l'homme, et elle a peut-être plus d'influence que l'homme, dans le choix entre une civilisation qui se préoccupe uniquement de la consommation, et une civilisation qui considère les équipements collectifs comme un devoir primordial, qu'il s'agisse des écoles, des hôpitaux, des transports en commun, et plus en général de l'organisation des loisirs et de la retraite.
Tout effort pour mieux informer la femme, pour l'aider à se rendre compte "de la manière dont on l'utilise à son insu et souvent à ses dépens" (comme l'a dit Mme Pierette Sartin) est donc une contribution à un fonctionnement plus correct de l'oeuvre européenne."