LA JEUNESSE, L'UNIVERSITE, L'EUROPE
de Emanuele Gazzo
(Agence Europe, Lundi 13 mai 1968)
Les informations et les commentaires sur les agitations estudiantines de ces derniers temps sont abondants en même surabondants, mais en général confus et souvent tendancieux. Chacun peut cependant essayer de mieux comprendre ce qui se passe, en tirer certaines conclusions, et placer ces événements dans la perspective de l'avenir de notre Continent. Car en effet, ce qui est en train de se passer - et quel que soit le jugement que chacun peut porter sur les formes et sur les moyens employés - est trop important pour ne pas avoir une influence sur l'évolution future de la vie politique et sociale en Europe et dans le monde. Même si on fait la part de ce qui est occasionnel, accessoire et épisodique, on peut déceler dans ces mouvements divers auxquels nous assistons, des motivations profondes, et des éléments de caractère permanent qu'il faut retenir.
Constatons en premier lieu, une coïncidence, qui de notre point de vue est intéressante, et une contradiction, qui doit nous faire réfléchir. Un des plus fougueux parmi les leaders de cette jeunesse estudiantine, interrogé par quelqu'un qui s'étonnait de le voir, lui citoyen allemand, mener la lutte à la tête d'un des groupes revendicatifs dans une université française, a répondu tout simplement: "Je ne comprends pas pourquoi on me pose cette question, pendant qu'on parle tout le temps d'Europe: c'est parfaitement indifférent de savoir d'où je suis". Cette coïncidence est frappante, surtout parce qu'elle est spontanée et naturelle: le mouvement revendicatif dans les Universités refuse les limites nationales et les "discriminations dues à la nationalité". Le libre exercice du droit d'établissement, si peu cher à certains gouvernements, est ici appliqué d'instinct, c'est une chose acquise, dont on ne parle même pas. La contradiction est cependant frappante. Pour ce même étudiant, comme pour un très grand nombr
e de ses collègues, le fait de se mouvoir dans un contexte européen n'a pas une grande signification. Si on leur parle de cet espace européen, de la nécessité de se battre pour que cet espace mythique devienne une réalité, ils changent de discours, ils sont peu intéressés ou indifférents. Il ne s'agit pas pour eux d'un "objectif" pour lequel une lutte mérite d'être engagée. Bien sûr, ils sont tous d'accord - depuis les plus extrêmes qui contestent globalement la société et l'Université, expression de cette société, jusqu'aux plus modérés, qui souhaitent une adaptation de l'Université aux conditions nouvelles de l'économie et de la technique - ils sont tous d'accord pour reconnaître que les thèmes qu'ils agitent sont exactement les mêmes, à Berlin comme à Rome, à Paris comme à Amsterdam, mais ils ne semblent pas voir qu'il y a là tout de même un problème et que tout ne va pas de soi même, comme ils le croient peut-être.
Une des premières choses qui mériteraient d'être mises au clair, est donc l'intérêt que présente pour ces actions de revendication ou de contestation, l'existence d'un cadre qui constitue, par sa nature même, une mise en question des structures traditionnelles, lesquelles d'ailleurs s'efforcent d'empêcher ou de retarder sa mise en oeuvre. Il y a là matière de discussion en commun et éventuellement d'action en commun."