VERS UN GOUVERNEMENT EUROPEEN ? - ASSOCIER ELARGISSEMENT ET
DEVELOPPEMENT CONSTITUTIONNEL
de Emanuele Gazzo
(Agence Europe, Mardi 13 avril 1971)
Nos lecteurs ont peut-être constaté que la semaine passée, en s'adressant à M. Edward Heath avant son départ de Bonn, le Chancelier Brandt a parlé de l'avenir politique et constitutionnel de l'Europe et pour le faire il a employé presque les mêmes mots qu'il avait prononcés, sur ce même sujet, devant le Comité Monnet le 23 février. "Notre but - a-t-il déclaré - est un gouvernement européen raisonnablement organisé, qui puisse prendre les décisions nécessaires dans les domaines de la politique communautaire et dont les activités soient soumises à un contrôle parlementaire". Et il a ajouté: "presque personne dans la Communauté ne doute que ce gouvernement verra le jour".
M. Heath, à son tour, a repris en partie ce qu'il avait dit il y a quelques semaine en faisant allusion à la nécessité de sortir des chemins battus et - au sujet des futures institutions européennes - de faire preuve d'imagination (comme l'avaient fait ceux qui en 1950 avaient posé les fondements de la Communauté).
Il est significatif que, à l'occasion de leur rencontre, dont l'importance apparaîtra sans doute dans un proche avenir, MM. Brandt et Heath aient évoqué un thème, qui, à la rigueur, concernerait uniquement les six, car c'est à eux qu'il appartient de préparer et décider l'évolution institutionnelle de leur Communauté. Le fait d'en parler avec un pays candidat signifie associer les deux actions de l'élargissement et du développement constitutionnel et politique, c'est-à-dire confirmer la primauté du politique sur le technique, et la globalité de l'action entreprise. Nos lecteurs savent que nous avons toujours soutenu cette thèse, tout en étant conscient du fait qu'il ne fallait pas pour autant alourdir le vaisseau fragile de la négociation. Nous avons toujours estimé qu'il était nécessaire que les Six se prononcent clairement, et s'engagent entre eux, pour savoir et faire savoir dans quelle direction ils veulent aller. En effet, il n'était pas possible de demander une adhésion à la Communauté sur une base pur
ement formelle, et en s'en tenant purement et simplement à la lettre du Traité. Déjà l'engagement de construire l'union économique et monétaire va au-delà de cette lettre. L'engagement à procéder à des consultations en matière de politique étrangère ne nous semble pas de nature à dépasser le stade de l'académie. Mais les deux actions conjuguées ont conduit un pays tiers à faire un choix qui était inévitable.
En vérité, entrer dans la Communauté c'est faire un choix politique et, sans transférer dans la négociation les questions institutionnelles, il est évident que, une fois cette négociation achevée, il sera indispensable de procéder en commun à l'examen d'un programme précis pour le développement graduel des institutions. Cela non pas pour poursuivre des buts doctrinaires et gratuits, mais pour assurer l'efficacité du fonctionnement d'un mécanisme qui n'a aucun précédent dans l'histoire et qui par conséquent demande non seulement de la bonne volonté mais également de l'imagination. Ce qu'il faut éviter - et nous l'avons déjà dit - c'est de dépasser le stade de l'orientation et d'essayer déjà de mettre sur pied un nouveau système institutionnel dont on n'aurait pas discuté auparavant avec les nouveaux partenaires.
Dès que leur adhésion aura été décidée, le processus pourra être déclenché."