AU COMMENCEMENT FUT LE PARLEMENT
de Emanuele Gazzo
(Agence Europe, Lundi/Mardi 11 et 12 juin 1979)
Le Parlement Européen a été élu. Ne le jugeons pas avant qu'il n'ait agi. Souhaitons lui de se souvenir toujours qu'il représente le peuple européen, tout le peuple. Malheureusement la plupart des commentaires des hommes politiques et des politologues ont été centrés sur l'alchimie des effets que pourrait avoir l'élection européenne sur les situations de politique interne et sur les rapports de force entre les formations et leurs nuances. Pas un mot sur l'Europe et son avenir. Cette manière d'aborder le problème permet de comprendre pourquoi il y a eu tant d'abstentions, et aussi que les personnages en question n'ont pas encore appris à faire une distinction entre élections nationales et élections européennes. Comment seraient-ils en mesure de "conduire", de "guider", d"'éclairer" les électeurs sur l'enjeu véritable de leur vote européen ?
Nombreux sont les électeurs, même parmi ceux qui se sont rendus aux urnes, qui ont été submergés, pendant la campagne électorale, par des analyses subtiles de politique politicienne, dont ils ne veulent rien savoir. Ils se sont demandés pourquoi devaient-ils voter pour celui-ci ou pour celui-là. Et souvent ils ont réagi, en votant "différemment" qu'aux élections nationales. Est-ce que cela n'a pas eu beaucoup d'effet ? N'y croyez pas: attendez et vous verrez ensuite. Ce que l'on voit déjà est que, malgré les votes exprimés par fanatisme de parti, il y a eu une certaine personnalisation, valorisant ceux qui ont parlé un langage simple et clair, et qui ont cherché à faire comprendre que l'Europe se place à un autre niveau, et qu'elle nécessite d'autres moyens, dont le Parlement élu en est un. En revanche, les électeurs se sont méfiés de ceux qui ont visiblement cherché à brouiller les cartes pour en tirer un profit politique personnel, et ils ont désavoué ceux qui leur ont dit: votez pour cette Assemblée: nous
vous promettons quelle ne pourra rien faire, et si jamais elle voulait faire quelque chose, nous veillerons ...
Parlons donc avant tout, pour aujourd'hui, de la participation électorale, dont certains souhaitaient dans leur coeur qu'elle soit ridiculement exiguë. Eh bien, nous sommes tentés de dire, avec un politologue lucide comme le Prof. Grosser, qu'il est "presque miraculeux" qu'il y ait eu autant de votants. Certes, nous ne sommes pas satisfaits. Certes, nous savons qu'une consultation de type nouveau est toujours accueillie avec méfiance. Nous savons également que dans certains pays la proportionnelle a exercé un effet dissuasif (impossibilité de "choisir" son propre candidat). Nous savons que pour les Britanniques c'était pénible de devoir revenir aux urnes après un mois (alors que pour les Italiens, le décalage d'une seule semaine a été "mobilisant").
Le fait important est que, malgré le résultat désastreux de la Grande-Bretagne, la barre de 60% de participation dans l'ensemble de la Communauté a été dépassée. Nous ne savons pas encore exactement de combien elle a été dépassée. C'était l'objectif. Rappelons que l'"Euro-Baromètre" avait prévu 65%, taux qui aurait été dépassé si les Britanniques et les Français avaient voté selon les prévisions, à savoir 51% et 68%, au lieu de 32 et 60,8%. Heureusement, le score a été meilleur que prévu en Italie et en Allemagne.
Non moins remarquable le fait que, si nous isolons les six pays fondateurs de la Communauté, nous constatons qu'ils ont voté en moyenne au-delà de 71%. La lanterne rouge est la Hollande avec 58%: un phénomène qu'il faudra étudier.
Il y a donc une situation "spéciale" des "nouveaux pays". Sir Christopher Soames, avec beaucoup de sagesse et de chaleur a bien défendu son pays rappelant que celui-ci d'abord s'était tenu à l'écart, puis avait été écarté, et finalement est entré mais au mauvais moment, en pleine crise. C'est une explication, mais il faudra en tirer certaines conséquences. Un grand nombre d'abstentionnistes britanniques ont déclaré qu'ils n'avaient pas voté parce qu'ils n'étaient pas assez au courant des problèmes communautaires. C'est un peu la conséquence de ce que Sir Christopher a dit. Mais Madame Barbara Castle, qui a risqué de perdre son siège dans l'hécatombe travailliste, a affirmé que ce score si bas est dû essentiellement au fait que la Grande-Bretagne rejette son appartenance à la Communauté. Dès lors: qui a raison? Si les Britanniques sont contre par manque de connaissance, il y a un problème d'information qui' se pose, et chacun devrait faire là-dessus un examen de conscience. Si par contre il S'agit d'un problè
me d"'incompatibilité", il faudra également réfléchir, car il n'est pas tolérable dans une société démocratique qu'un pays tout entier soit astreint à faire ce qu'il ne peut ou ne veut pas faire. Cependant, jusqu'à quel point Mme Barbara Castle exprime le sentiment profond et les intérêts véritables de son pays? Ce n'est pas à nous de répondre.
Terminons sur le problème de la légitimité. Il y a naturellement quelqu'un qui insinue que l'Assemblée élue par une partie relativement limitée de l'électorat n'aurait pas de légitimité suffisante. C'est une sottise. Qui oserait contester cette légitimité? Les Etats membres, qui s'appuient sur le suffrage universel? L'un ou l'autre parlementaire en veine d'auto-castration? Ceux qui ne se sont pas exprimés n'ont fait que laisser aux autres la faculté de décider pour eux. Les absents ont toujours tort.
Mais une chose, hélas ! a échappé à tout le monde, à savoir que l'événement s'est produit aujourd'hui. C'est aujourd'hui que des millions de citoyens ont appris qu'ils avaient eux mêmes donné naissance à une Assemblée, expression de leur volonté populaire et dont personne ne fera taire la voix. C'est le commencement."