LE VOTE SUR LE TRAITÉ D'UNION: UNE VICTOIRE DE L'EUROPE
de Emanuele Gazzo
(Agence Europe, Vendredi 17 février 1984)
Le vote de mardi soir, par lequel le Parlement Européen a définitivement approuvé le texte du projet de Traité d'Union Européenne et celui de la résolution qui l'accompagne (et qui contient des dispositions importantes au regard de la procédure de ratification) constitue à la fois un aboutissement et un point de départ.
Nos lecteurs ont été en mesure de suivre pas à pas les péripéties de cette entreprise qui au début était jugée par certains, selon leur attitude, dérisoire, velléitaire, téméraire. Aujourd'hui, cette entreprise a été portée à terme, tout au moins pour ce qui concerne le travail "constituant" accompli par les parlementaires, au sein de la Commission Ferri et des sessions plénières. De par elle-même, elle qualifie et, en un certain sens, elle justifie et donne une signification historique à la première législature du Parlement Européen élu. C'est ainsi qu'on peut dire maintenant que ces élus du peuple ont rempli le mandat qu'ils avaient reçu.
Elle prouve en outre que la volonté tenace d'un seul homme Altiero Spinelli auquel se sont joints naturellement ceux qui ont la vision politique nécessaire - employée pour la bonne cause avec compétence, adresse et continuité, peut triompher d'obstacles qui paraissaient insurmontables. C'est le même enseignement que Monnet nous a laissé. C'est une leçon pour ceux dont le courage vacille.
Nous avons dit un aboutissement parce que désormais, les textes sont approuvés, et ils l'ont été par une majorité imposante et non contestable. Les oui ont été en définitive (selon les comptages définitifs sur lesquels nous reviendrons) 238, les non 31, les abstentions 43. Mais nous avons dit aussi qu'il s'agit d'un point de départ parce que, comme l'indique la Résolution qui accompagne le projet de traité, il appartient maintenant au Président du Parlement de remettre celui-ci directement aux gouvernements et aux Parlements nationaux, et de faire comprendre aux uns et aux autres que cette Charte est l'expression de la volonté des peuples européens, telle qu'elle s'est exprimée dans les formes classiques de la démocratie représentative, celle-là même sur laquelle se fonde la légitimité des Etats nationaux. Ceux-ci oseront-ils l'ignorer et la bafouer? Point de départ aussi parce que ce texte, ou plutôt l'idée innovatrice qu'il contient, constituera inévitablement une référence fondamentale pour la campagne él
ectorale européenne qui va bientôt s'ouvrir. D'autant plus que c'est au Parlement élu qu'il appartiendra, de manière impérative, d'entreprendre immédiatement tout ce qui est nécessaire pour en assurer l'aboutissement final.
Il ne faut pas se cacher que le chemin est tout en montée: il faudra avoir du souffle, des muscles et de la patience. Mais il n'y a aucun obstacle infranchissable. Entretemps, on peut enregistrer des auspices excellents. Le premier vient de Rome, où la Chambre des Députés a voté à une très grande majorité, simultanément à Strasbourg, une résolution qui demande au gouvernement italien de faire sien le projet de Traité d'Union Européenne.
Le deuxième est venu aujourd'hui même, et dans ce même hémicycle ou on avait voté mardi soir. La Reine Beatrix des Pays-Bas a donné au Parlement un appui total et surtout fondé sur une analyse politique lucide et clairvoyante. Ce qui pouvait être un simple discours de circonstance est devenu une prise de position solennelle du Chef d'un Etat membre, fondateur de la Communauté Européenne, qui explique pourquoi celle-ci "ne sera jamais plus forte que la plus faible de ses institutions". Une évidence sans doute, mais qui conduit à en tirer des conclusions appropriées. C'est-à-dire que ceux qui veulent affaiblir un des maillons de la chaîne, une des institutions, ne font qu'affaiblir et finalement détruire l'ensemble. Symétriquement, tout ce qui renforce les institutions renforce la Communauté. Equilibre entre compétences nationales et compétences communautaires a souhaité la Reine, et c'est un des points forts du projet. "Acceptation des décisions majoritaires, dans le respect des intérêts de la minorité". Et c
'est ce que le projet organise avec beaucoup de soins. La Reine des Pays-Bas n'est pas le seul Chef d'Etat qui regrette la néfaste pratique de l'unanimité. A-t-on remarqué que le président Mitterrand, s'exprimant à la télévision, vient de dire: "... et comme les décisions sont prises aujourd'hui, malheureusement et contrairement au Traité de Rome, à l'unanimité ou pas du tout, les risques restent grands...". Ne nous décourageons surtout pas."