LA NOUVELLE COMMISSION EUROPEENNE
de Emanuele Gazzo
(Agence Europe, Jeudi 13 décembre 1984)
Nous avons publié lundi la composition de la Commission qui prendra ses fonctions le 7 janvier 1985 sous la présidence de Jacques Delors et les détails des tâches confiées à chacun des 14 membres.
Deux remarques préliminaires semblent s'imposer:
1. Ayant résolu, en pleine indépendance comme il s'était engagé à le faire (ce qui n'empêche qu'il ait tenu compte de certaines réalités), le problème délicat de la répartition des attributions, Delors peut inscrire à son actif le gain d'un mois de temps, ce qui lui permettra de démarrer le 7 janvier avec une Commission en mesure de s'attaquer de front à tous les dossiers qui sont sur la table.
2. Ce gain est précieux, non seulement parce que, parmi ces dossiers, certains sont particulièrement difficiles, mais aussi parce que la nouvelle Commission est formée presqu'entièrement de néophytes. Trois membres seulement sur quatorze de l'équipe Thorn vont se retrouver dans l'équipe Delors, et parmi ces trois, Lorenzo Natali est le seul ayant l'expérience de deux mandats (8 ans), alors que Andriessen et Narjes bénéficient d'un premier renouvellement. Certes, la nomination de Claude Cheysson marque le retour d'un homme qui, après avoir été Commissaire de 1973 à 1980, a été confirmé dans ses fonctions en 1981, et a quitté en mai la Commission pour devenir Ministre des relations extérieures. Il y a donc, entre la Commission qui s'en va et celle qui arrive une certaine "rupture", qui n'a pas de précédent dans son histoire. Cette rupture n'est certainement pas un mal en soi. Il reste que la présence de quelques personnalités qui ont vécu la Commission et ses multiples péripéties est toujours utile. elle peut
éviter entre autres que quelqu'un prétende d'un coup qu'il a inventé le parapluie.
Nous nous abstiendrons par contre de toute tentative d'évaluation "en clé nationale" de la répartition des tâches. Ceci peut intéresser (satisfaire ou décevoir) l'opinion des différents pays et c'est tout. Les médias pourraient saisir l'occasion pour expliquer aux dites opinions que les Commissaires ne sont pas les "représentants des gouvernements" et par conséquent ne doivent pas gérer leurs tâches en fonction d'un prétendu intérêt national: ils sont comptables de leur actions vis-à-vis de l'Europe toute entière.
Le même raisonnement vaut à l'égard des différentes personnalités. Nous constatons qu'elles viennent toutes de la politique, plus ou moins militante, ce qui semble aller de soi dans une Commission dont la vocation est précisément de "faire politique", sans fausse modestie, et plus précisément d'"inventer chaque jour la politique européenne qu'il faut mettre en oeuvre pour faire face aux problèmes qui préoccupent les peuples. Nous dirons par conséquent qu'en l'état des choses, chacun des Commissaires a beaucoup de travail à faire. Il s'agit de le faire et, si possible, de le faire bien.
Le dosage politique de cette Commission n'est pas très différente de celui de celle dont le règne va bientôt se terminer. L'équilibre n'est pas profondément changé: il y a 6 socialistes (sur 14 membres) dans la Commission Delors, alors qu'il y en avait 7 (sur 13) dans la Commission Jenkins et 5 (sur 14) dans la Commission Thorn. Ils pourraient devenir 7 ou 8 dans la Commission à 17 après l'élargissement.
Ce qui nous parait de loin plus important que tous ces calculs d'apothicaire, c'est que Jacques Delors ait assumé une tâche supplémentaire cruciale, celle des Affaires monétaires, de la Coordination des Fonds Structurels et conséquence logique (mais significative en ce moment) des P.I.M... Ceci vaut tout un programme. L'engagement personnel du Président pour le SME évoque dans notre mémoire, l'engagement analogue dans la substance sinon dans la forme - de Roy Jenkins en vue du même objectif, le SME.
Nous réservons tout commentaire sur le programme au moment où celui-ci sera exposé au Parlement. Nous constatons que si la Commission Delors prend ses fonctions dans une époque de très grande incertitude, pour l'immédiat comme pour l'avenir plus éloigné, elle bénéficiera aussi de quelques atouts, y compris la prise de conscience désormais généralisée de la nécessité d'un "saut de qualité" dans l'organisation de l'Europe et du rôle essentiel que la Commission doit y jouer. Il ne s'agit pas de chercher des conflits, mais de savoir faire face aux conflits qui sont parfois imposés de l'extérieur. Il est important que l'on sache partout que la Commission ne tolèrera jamais que la plénitude de ses prérogatives soit mise en question, plus ou moins ouvertement. C'est ainsi qu'elle gagnera le respect. De tous."