FAUDRA-T-IL S'HABITUER A COMPTER JUSQU'A 10 ?
de Emanuele Gazzo
(Agence Europe, Jeudi 25 février 1993)
John Major se trouve aux Etats-Unis. On ne sait pas si dans son dialogue avec Bill Clinton, John Major jouera le rôle du "nice guy" qu'un nombre croissant de ses amis lui attribue, ou s'il parlera stratégie et expliquera le contenu réel du slogan selon lequel le Royaume-Uni entend se placer "au coeur de l'Europe". Cela intéressera les Américains, mais surtout les Européens qui, pour le moment, sont comme "suspendus" au choix que doit faire l'un de leurs principaux partenaires: le Royaume-Uni. Les propos qu'a tenus le chancelier Kohl à New Delhi le 22 février expriment très clairement l'urgence de ce choix. Voici le texte exact de ces propos tel qu'il nous a été confirmé officiellement: "Dans le cas où le Danemark ou le Royaume-Uni ne ratifieraient pas (le traité de Maastricht, NDR), la Communauté européenne, à ce moment-là, embrayerait immédiatement le train européen avec onze ou dix pays, et continuerait sa course. Ceci aurait certaines conséquences, y compris juridiques, mais je suis fermement décidé, ense
mble avec mes collègues, à ne pas m'arrêter un seul jour, et au contraire, au cas où cela devrait arriver, nous accélérerions le rythme".
Ces propos, jugés à Londres presque "humiliants" et en contradiction avec les déclarations antérieures du Chancelier, méritent quelques réflexions. La première est précisément qu'ils ne sont pas le fruit d'une improvisation, mais s'inscrivent dans le contexte d'une continuité caractérisée par la cohérence. Il est vrai que Kohl a toujours confirmé sa ferme volonté d"'avancer à Douze". Il l'avait dit notamment lors de sa rencontre avec Major à la mi-novembre, mais toujours à la condition que les partenaires en retard maintiennent les engagements pris et confirmés. Lors du "sommet" d'Édimbourg, Kohl appuya la proposition belgo-espagnole d'insérer dans les "Conclusions" de la Présidence un paragraphe par lequel le Conseil européen inviterait les Etats membres qui n'avaient pas encore ratifié le traité "de le faire dans les meilleurs délais afin que le traité puisse entrer en vigueur le 1er juillet 1993". Ce texte ajoutait: "Si tel ne devait pas être le cas, il conviendrait de trouver les moyens de permettre à ce
ux qui l'auront ratifié à cette date de mettre en oeuvre les objectifs de l'Union". En d'autres termes, d'aller de l'avant sans eux. C'est exactement ce que Kohl vient de dire. Une deuxième réflexion permet de constater que si le Danemark, où le référendum aura lieu le 18 mai, semble s'efforcer de faire aboutir le processus de ratification avant le 1er juillet, ce qui se passe au Royaume-Uni est caractérisé par une évidente absence de "leadership" de la part du Premier ministre face à son propre parti. Tout le monde sait, à Londres, que Major (aidé dans cette tâche par les Travaillistes) a la possibilité d'obtenir un vote positif en temps voulu pour que le Royal Assent intervienne avant le 30 juin. Pourquoi traîne-t-il les pieds, arguant éventuellement de prétextes liés au calendrier parlementaire?
Cette tactique dilatoire justifie que quelqu'un perde patience. Si ce quelqu'un est M. Kohl, tant mieux. Parce que c'est précisément le Chancelier allemand qui a le plus grand intérêt à ce que le Royaume-Uni soit présent, sans réserves et arrière-pensées, dans l'Europe organisée, dont il constituerait un important facteur d'équilibre économique et politique. En confirmant que la RFA est disposée, tout en le regrettant, de le laisser au bord de la route, Kohl rend un dernier service à son partenaire d'outre-Manche: il ne le rejette pas, mais il lui offre une dernière chance.
On peut certes se demander si le peuple britannique était conscient, il y a vingt ans, d'être entré dans une "communauté de destin", ou s'il n'a pas cru qu'il s'agissait de participer à un "marché commun" dont il aurait tiré des avantages substantiels quitte à en payer le coût le plus bas possible. Lorsqu'on entend ce que disent nos concitoyens européens du Danemark ou du Royaume-Uni, on a le sentiment qu'ils ont été trompés par leurs gouvernements qui les ont induits en erreur. Malheureusement, ces gouvernants persistant. Savez-vous ce que M. Hurd (réputé être bon "européen") vient de déclarer? Que le rejet du traité de Maastricht saperait la confiance des investisseurs internationaux qui y verraient une marginalisation de la Grande-Bretagne au sein de l'Europe". Le malentendu demeure entier.