EUROPE IMPUISSANTE ? DONNONS-LUI UNE CONSTITUTION FEDERALE
de Emanuele Gazzo
(Agence Europe, Lundi/Mardi 7 et 8 février 1994)
Nous ne savons pas encore, à l'heure qu'il est, Si le Parlement européen va débattre en session plénière, le Rapport Herman, qui explique les raisons pour lesquelles l'Union européenne doit se doter d'une Constitution, et qui introduit le texte d'un projet dont le but principal est d'entamer le processus constituant dont le point de mire est la création d'une fédération réunissant la grande majorité sinon la totalité de ses Etats membres. Nous avons signalé en effet qu'au niveau des Groupes politiques, des actions de barrage ont été entreprises, pour des raisons de fond et d'opportunité, et ce malgré l'appel lancé par le Mouvement Européen, auquel se sont jointes les "Jeunesses Européennes Fédéralistes" qui se disent extrêmement préoccupées d'un éventuel renvoi en commission qui aboutirait à laisser le dossier en héritage au Parlement qui sera élu en juin. Parmi ceux qui hésitent, nombreux sont ceux qui disent craindre que l'adoption éventuelle par une majorité exiguë en affaiblirait l'impact sur l'opinion.
Rappelons toutefois que le 2 décembre 1990, ce même Parlement adopta à une très grande majorité le Rapport Colombo sur "les bases constitutionnelles de l'Union européenne". On ne voit pas pourquoi ce cheminement devrait être interrompu. Quoi qu'il en soit, si vote il y a, il s'agira sans doute, dans un souci de transparence, d'un vote par appel nominal, dont EUROPE publiera le résultat détaillé. Ce qui est sans doute utile au moment où on commence à clôturer les listes des candidats aux élections européennes de juin prochain.
Dans l'état actuel des choses, et en vue des prochaines échéances, l'actuel Parlement doit transmettre à celui qui lui succédera un message sans équivoques, dicté à la fois par l'expérience de ce qui s'est passé pendant ces cinq années et la conscience du rôle charnière qu'aura la prochaine législature, ne fût-ce que du fait de la réforme institutionnelle qui aura lieu en 1996. Un des thèmes privilégiés de ce message devra être précisément celui de la mise en route d'un "processus constituant", dont l'aboutissement permettra seul d'attribuer à l'Europe l'"identité politique et de sécurité" qu'elle prétend de se voir reconnaître mais qui ne peut avoir d'autre origine que la volonté et la capacité des peuples.
Quelqu'un prétend que, face aux crimes perpétrés devant sa porte, l'Europe ne doit pas se permettre le luxe d'avoir des débats (jugés "académiques") sur sa constitution. Cela est faux. Ce qui se passe dépend de l'incapacité du monde civilisé de réagir. L'une des causes de cetteincapacité est l'absence de cadres institutionnels permettant la décision. Rappelons-nous 1914: la sécurité était confiée à la politique des alliances. Résultat, la première guerre mondiale.
Après laquelle on créa la Société des Nations. Jean Monnet, qui en était un des fonctionnaires, la quitta ayant constaté qu'elle était "impuissante à régler les problèmes les plus simples comme à sanctionner les agressions les plus odieuses". Résultat, la deuxième guerre mondiale. Après laquelle on créa les Nations Unies, où les délibérations du Conseil de Sécurité sont conditionnées par le droit de veto attribué à quelques grandes puissances: on voit comment ses "résolutions" sont appliquées. La paix en Europe a été maintenue, transformée en "guerre froide", grâce à l'"équilibre de la terreur" garanti par la plus grande "alliance" qui n'ait jamais existé: l'Alliance Atlantique. En 1948, les Européens réunis à La Haye préconisaient quand même la création d'une "identité européenne". Celle-ci se matérialisa d'abord par la création du Mouvement Européen et ensuite par celle du Conseil de l'Europe dont Spaak présida l'Assemblée parlementaire. Mais le 11 décembre 1951, il quittait cette présidence car, déclara-t
-il à l'Assemblée ébahie: "J'ai fait une constatation qui m'a rempli d'une grande tristesse: j'ai été étonné de la somme de talents que l'on dépense dans cette Assemblée pour expliquer qu'il ne fallait pas faire quelque chose".
Par cela nous ne disons pas que quelqu'un devrait quitter le fauteuil qu'il occupe: mais lorsqu'on a des convictions, on les défend avec dignité et cohérence.