LE P.E. ET LA CONSTITUTION: REFUS D'UN DEBAT
de Emanuele Gazzo
(Agence Europe, Vendredi 11 février 1994)
Personne ne peut prétendre donner des leçons de démocratie, mais personne ne peut refuser d'en recevoir. Malheureusement, le discrédit dont souffre de manière notoire la démocratie parlementaire (sauf de la part des élus ou des candidats à l'élection) n'est pas seulement le résultat des changements de la société, qui ne vont pas toujours et nécessairement dans le sens souhaité, mais il a son origine aussi dans l'usage désinvolte qu'en fait la classe politique. Il serait vraiment dommage si le prestige fragile qui entoure le Parlement européen, était ultérieurement compromis et détruit par le comportement des Parlementaires eux-mêmes, et plus spécialement de ceux qui jouent le rôle de chef d'orchestre et provoquent parfois d'insupportables cacophonies.
Le "non-débat" dont a fait l'objet le projet de "Constitution européenne" contenu dans le Rapport Herman n'est pas une page qui brille dans les annales parlementaires. Pour comprendre ce qui s'est passé, il faut être des spécialistes connaissant plus ou moins ce qui se passe chez eux qui tirent les ficelles sans se soucier tellement de l'avenir de l'union de l'Europe, mais poursuivant les objectifs de la politique politicienne, mais aussi faisant passer, dans la plupart des cas, l'intérêt de leur parti ou l'intérêt supposé de leur pays, avant l'intérêt de l'Europe. Il est à craindre que les citoyens de l'Europe, les électeurs qui devraient se rendre aux urnes en juin, préféreront aller à la pêche, ne sachant pas à quoi ou à qui leur vote servira.
Il est normal que l'on puisse être pour ou contre l'adoption d'une Constitution d'inspiration fédérale ou pas - de l'Union européenne. Il est normal aussi que l'on ait des idées différentes sur l'une ou l'autre des dispositions contenues dans les projets de texte soumis à l'approbation du Parlement. Ce qui n'est pas normal, c'est que l'on décide de ne pas décider. En agissant comme si la proposition déposée sur la table par la commission institutionnelle était une surprise, un fait nouveau inattendu, alors que personne n'ignore que depuis des années, par phases successives, et suite à de très larges consultations, y compris auprès des Parlements nationaux, les textes soumis à la plénière ont été élaborés, discutés, dégraissés.
Surtout que les honorables parlementaires européens auraient pu employer un argument de taille pour justifier leur prise de position positive: il était clair - et cela pouvait être confirmé solennellement - que le projet était, selon la proposition du rapporteur lui-même, "une base de discussion". Il s'agissait donc pour le Parlement d'enclencher le processus constituant, en donnant, dès le départ, ses propres idées. Il vaut évidemment mieux prendre l'initiative que subir celle d'autrui. Le Parlement n'a pas eu ce courage: tant pis pour lui.
Certes, tout n'est pas perdu, et M. Herman, qui a eu tout de même la satisfaction de voir son rapport adopté, même vidé de son contenu, affecte un certain optimisme car, pour dorer la pilule, on lui a expliqué que même déclassé au statut d'"annexe" le projet "existe" (comme ceux qui l'ont précédé). M. Herman a expliqué à la presse, aujourd'hui même, quels sont les mérites principaux de ce texte (simplicité, conformité avec les critères du droit constitutionnel moderne, pas de double emploi avec les constitutions nationales qui subsistent, etc.), en ajoutant que si la Communauté ne se dotait pas d'une Constitution, il n'y aurait même plus de Communauté (sans parler de l'Union) mais une association européenne à la carte, une zone de libre-échange. Tout cela est vrai, et M. Herman a bien fait de rappeler aux eurosceptiques que l'Europe s'est toujours faite "contre les Etats" et qu'en ce qui concerne la Grande-Bretagne (rempart de ceux qui sont hostiles au type de constitution que le Parlement européen n'ose pas
"proposer"), elle a toujours "dix ans de retard".
Pour le moment, constatons que c'est le Parlement lui-même qui est en retard et qui adopte une solution de facilité, celle de laisser à d'autres un héritage qui était peut-être pour lui trop lourd à porter.