L'UNITE DE L'EUROPE A UN COUT QUE TOUS DOIVENT PAYER
de Emanuele Gazzo
(Agence Europe, Vendredi 11 mars 1994)
Nous rappelions hier les attitudes de Spaak et de Monnet au sujet de l'appartenance du Royaume-Uni à la Communauté. Leur attitude était manifestement d'inspiration strictement européenne, n'étant motivée par aucune position idéologique ou nationale. Le général de Gaulle avait lui aussi une attitude personnelle à ce sujet: elle se traduisit, en pratique, en 1963 et en 1967, par le double veto qu'il opposa à la poursuite des négociations d'adhésion. L'histoire a montré que l'opposition de de Gaulle obéissait elle aussi à la perception de la très grande différence d'approche qui divisait les "continentaux" des "insulaires" à l'égard de l'unité de l'Europe. Mais son opposition à l'entrée du Royaume-Uni avait également une forte connotation "nationale": la crainte de voir menacé le "leadership" français en Europe. En revanche, de Gaulle partageait la méfiance sinon l'hostilité des Britanniques à l'égard du principe même de l'"intégration" et des institutions "supranationales" qui devaient la mettre en oeuvre. On
en eut la preuve lorsqu'en février 1969, dans le fameux entretien (destiné à demeurer secret) avec Christopher Soames, à l'époque ambassadeur à Paris, de Gaulle expliqua les conditions auxquelles il aurait consenti à l'entrée du Royaume-Uni dans la Communauté. Ces conditions étaient, en bref, les suivantes: - la Communauté se serait transformée en une zone de libre-échange, à l'exception de l'agriculture qui devait demeurer objet d'une politique commune; - les quatre "grandes" puissances européennes auraient constitué une sorte de "directoire politique" dont l'objectif principal aurait été de souligner l'"indépendance" de l'Europe vis-à-vis des Etats-Unis. Ces suggestions furent rejetées par Harold Wilson, mais certains Britanniques les avaient trouvées intéressantes. Quelqu'un s'en souvient et s'imagine qu'elles pourraient être réactualisées: ce qui aurait même été suggéré à des personnalités politiques françaises que la nostalgie rend sensibles dans ce domaine.
Quoi qu'il en soit, déchirés entre le souvenir, la crainte de la persistance des tendances fédéralistes, et les soucis que leur donne la préparation des élections européennes du 9 juin, les Conservateurs britanniques ne parviennent pas à résoudre leurs contradictions internes; la lutte acharnée pour le pouvoir prévaut alors sur les débats d'idées. C'est le moment choisi par l'ineffable Douglas Hurd, qui a assumé la tâche difficile de "conciliateur" et "pacificateur" des différentes factions, pour se soumettre à des contorsions verbales dont le résultat apparent est de rendre encore plus visibles les querelles internes. En essayant de ménager la chèvre et le chou et d'éviter une issue catastrophique des élections européennes dont le parti et M. Major subiraient les conséquences, M. Hurd est venu prononcer à Bruxelles un discours pour répéter ce qu'il avait déjà dit à Bologne et ailleurs, c'est-à-dire pour "conseiller" aux Européens, ou plutôt aux Institutions communautaires, d'adopter un profil bas, d'appliqu
er calmement ce qui a été décidé sans sortir d'autres initiatives, en somme de se consacrer aux "affaires courantes" plutôt qu'aux affaires importantes, qui exigent des choix politiques. Une attitude dérisoire à un moment où, justement, la Communauté doit prendre des décisions vitales pour son avenir dans un contexte en changement rapide. Une exhortation très suspecte au moment où Londres a tenté de faire passer "en douceur" l'idée-boomerang de garder, dans les votes au Conseil d'une Communauté élargie, une minorité de blocage très basse afin de limiter autant que possible "la capacité de Bruxelles (c'est-à-dire, dans ce cas, du Conseil, donc des gouvernements, NDR) de légiférer", comme l'a avoué avec candeur le "Times".
Tout cela, pourrait-on dire, c'est leur affaire. La vérité est que l'intérêt commun" (et le bon sens) doit prévaloir. Il finira par prévaloir. Parce que bien des Européens "continentaux" ont toujours pensé et continuent de penser que les Britanniques peuvent et doivent apporter une contribution importante au bien commun, ce qui est aussi dans leur intérêt. Qu'ils s'inspirent de ce que Vaclav Havel a dit devant le PE plutôt que des mesquineries d'une "petite clique d'étroits nationalistes" (Fred Catherwood dixit)!"