Interview de Marco Pannella
par Hanna Szallay
Magyar Hirlap - Budapest, 30 Mars 1990
1. Pourquoi le Parti Radical transnational propose l'entrée de la Hongrie dans la Communauté Européenne le plus tôt possible?
- Parceque nous voulons les Etats-Unis d'Europe. Voyez-vous, nous avons ce petit défaut d'être réalistes, de manière consécutive, cohérente, avec ce que prêchent sans arrêt depuis quarante ans, d'éminents scientifiques, de prestigieux hommes politiques, de droite comme de gauche, de l'Ouest mais également de l'Est et du Centre de l'Europe. Parcequ'il n'est plus possible de donner de réponses satisfaisantes aux grandes questions politiques, sociales, économiques, aux questions de la défense de notre environnement, de notre société, de nos valeurs, dans le cadre limité des frontières nationales. Cela a été reconnu comme principe (et non seulement comme principe) par l'Allemagne, la France, l'Italie, c'est à dire de la part de Pays d'une certaine dimension, depuis les années cinquante. Même la Grande Bretagne, qui a cru pendant un moment pouvoir se passer de cette vérité désormais éclatante, a fini, comme vous le savez, par se rendre à l'évidence.
Par conséquent il est clair qu'au moment-même où la Hongrie rompt avec un héritage, avec des traditions et des pratiques dont certaines, comme par exemple, l'appartenance au Comecon, ont depuis longtemps démontré, aux yeux-mêmes des "tenants de l'Ancien Régime", leur faillite totale, qu'au moment-même où elle reprend les rapports avec l'économie de marché, il ne serait pas réaliste, mais incohérent et suicidaire, de croire (ou faire croire) qu'il existe une voie hongroise, nationale, à la perestroïka hongroise. Voilà pourquoi, logiquement et en toute simplicité, nous pensons qu'il faut que la Hongrie, et non seulement la Hongrie, du reste, adhère le plus vite possible à la Communauté Européenne.
2. Que signifie "le plus tôt possible"?
- Cela signifie avant tout le choix d'une méthode. La CEE doit devenir immédiatement et unilatéralement le tableau de référence de l'ensemble des réformes, des lois, des mesures, des règlements qui attendent le prochain gouvernement hongrois. Contrairement à ceux qui croient que l'adhésion à la CEE puisse être, à la limite, la conclusion d'un long processus de réforme, nous pensons qu'elle doit en être l'instrument fondamental, central, constitutif. Et si c'est cette méthode qui est choisie, la requête officielle d'adhésion devient de façon toute naturelle, la première manifestation de ce choix. La deuxième, si l'on décidait de renforcer ce choix aux yeux des citoyens hongrois, comme ceux de la CEE en le soumettant à un référendum.
3. On sait qu'il existe plusieurs incompatibilités économiques entre la Hongrie et la CEE, incompatibilités invoquées par les "communautaires" pour dire "non" à l'adhésion des Pays de l'est. Selon vous, les idées de confédération de Monsieur Mitterrand ou les idées de fédération de Monsieur Delors, représentent-elles un changement dans cette attitude négative?
- Il existe sûrement, comme on le répète continuellement, des grandes différences, entre les économies des Pays de la CEE et l'économie Hongroise. Et il ne fait aucun doute que, dans l'hypotèse de négociations pour l'adhésion, les experts et les responsables politiques auront un sérieux travail à faire. Mais les experts existent et l'histoire prouve que lorsqu'il y a une réelle volonté politique, les difficultés de ce type peuvent-être résolues.
Quant à Jacques Delors, sa position actuelle représente incontestablement un changement. Il dit, et j'espère être fidèle aux paroles qu'il a prononcé, que face aux évènements incroyables survenus en Europe Centrale et Orientale, la Communauté européenne telle qu'elle existe aujourd'hui, est incapable de donner des réponses satisfaisantes. Il faut donc qu'elle se renforce, qu'elle se transforme en une véritable fédération politique. C'est de son côté, l'affirmation ultime, sans appel, du fait que la construction européenne fondée sur l'intégration économique, a fait son temps. Et s'il dit, aujourd'hui encore, que la Communauté doit, avant de s'élargir, se renforcer, je crois qu'il ne faudrait que très peu de choses, pour le convaincre que l'adhésion de la Hongrie, et probablement de la Tchécoslovaquie et de la Yougoslavie, pourrait constituer justement le catalysateur indispensable pour le renforcement de la Communauté, le facteur "X" qui provoquerait la décision de la part des Etats-membres de passer à
la phase constituante des Etats-Unis d'Europe.
Mais le problème n'est pas seulement "communautaire" comme on veut bien trop souvent le faire croire. Je constate en effet qu'en Europe Centrale, on est en train de constituer, au niveau politique et institutionnel, des Etats nationaux démocratiques. Cela est, tant au niveau de l'instinct, qu'au niveau historique du droit et de la liberté, suicidaire. Je suis en effet étonné par l'idéologie partitique, par l'introversion nationale de ceux qui s'apprêtent aujourd'hui à s'emparer en Europe Centrale et Orientale, de l'héritage des régimes appelés socialistes. Par leur refus de voir qu'aux formes de la démocratie, l'histoire a rajouté la partitocratie, une forme de démocratie qui risque de devenir ce que le socialisme réel a été par rapport aux idéaux de l'humanisme socialiste et libéral. En Italie, le Parti Radical a souvent dénoncé que les héritiers post-fascistes "antifascistes" ont été en réalité, les héritiers du fascisme de ces antifascistes.
Et aujourd'hui, au moment-même où Delors dit -ce que personne n'écrit- qu'en Mai, la Communauté risque, par manque de conscience et de volonté fédéraliste, de connaître la crise la plus grave qu'elle ait jamais connu, nous sommes beaucoup plus touchés par l'hostilité à notre égard, par la "mise au rancart", par la censure de notre existence de la part des nouveaux sujets du pouvoir ou sur le point de le devenir, que lorsque nous étions totalement interdits, dénoncés, combattus par les régimes précédents.
4. Quel est l'infrastructure internationale ou inter-européenne de votre raisonnement?
- Il n'y a pas d'infrastructure. Il n'y a que ce que nous voyons tous les jours. La tension croissante entre Roumains et Hongrois, entre Hongrois et Slovaques, entre Allemands et Polonais, entre Bulgares orthodoxes et Bulgares musulmans, entre Slovènes et Serbes, entre Serbes et Albanais, etc... Il y a l'Afrique, le Tiers-Monde à l'égard duquel nous sommes incapables d'agir de façon responsable. Il y a la vie de notre planète qui est en péril, il y a le fléau prohibitionniste sur les drogues, avec son cortège de maux qui minent les gens, les Etats, les lois, et qui se fichent des frontières. Le choix est clair. Ou bien nous optons pour le "fractionnement", pour un nouveau "Versailles", avec tous les risques et toutes les impuissances que cela comporte, ou bien nous essayons d'inventer quelque chose de nouveau, en mesure de répondre aux défis de notre temps: les Etats-Unis des citoyens d'Europe.
5. Existe-t-il, sur la proposition d'adhésion de la Hongrie, une entente entre Vous et d'autres hommes politiques de la CEE? Et avec Qui?
- Je suis convaincu qu'il existe dans la CEE un potentiel de compréhension et d'adhésion à une proposition d'un genre vraiment énorme, claire. Dans l'opinion publique comme dans le monde politique. Il faut, comme à chaque fois qu'il s'agit d'un pari important, quelque chose qui peut impliquer également certains sacrifices et par conséquent, transformer notre vie de tous les jours, il faut que les gens soient informés. Et je saisis l'occasion pour vous remercier de donner cette possibilité aux lecteurs du "Magyar Hirlap".
Mais puisque je crois comprendre que ce sont des noms que vous me demandez, je pense pouvoir vous dire, sans trop de risques, que des hommes et des femmes comme Giulio Andreotti, Valéry Giscard D'Estaing, Helmut Schmidt, Felipe Gonzalez, Gioffrey Howe, Otto Habsbourg, Mark Eyskens, Simone Veil, Oskar Lafontaine, Achille Occhetto, Michel Noir, François Mitterrand peut-être, Jacques Delors sûrement, peuvent dès à présent comprendre l'importance d'un tel objectif.
6. L'unification de l'Allemagne revêt-elle un rôle moteur dans l'élaboration de vos propositions actuelles?
- Nous avons commencé à parler d'adhésion de la Hongrie à la CEE, bien avant la renaissance du monstre sacré de l'unité allemande.
En ce qui concerne la Yougoslavie, les annales du P.E. témoignent qu'il s'agit d'une question que j'essaye de mettre à l'ordre du jour de la CEE depuis dix ans. Que d'autres aient pensé que le mur aurait été, sinon éternel, du moins, dur (beaucoup plus dur) à faire écrouler, est incontestable. Qu'ils aient souhaité "à leur coeur défendant" qu'il en serait ainsi, c'est même probable. Cela explique probablement le fait que le problème les a pris à l'improviste, en les trouvant très mal préparés. En ce qui me concerne, je crois que seule une rapide création des Etats-Unis d'Europe puisse représenter une réponse forte et plausible face au risque énorme constitué par cette recrudescence des tendances national-démocratiques, qu'elles soient allemandes ou bien hongroises.
C'est pourquoi il faut créer d'urgence des sujets politiques qui ne soient pas nationaux, qui ne soient pas des internationales de partis. Et je constate qu'aujourd'hui le Parti Radical est l'unique réalité qui agit et qui pense dans ce sens-là. Au Conseil fédéral que je préside, il y a des radicaux de 14 Pays, de toutes familles politiques. En ce qui concerne les membres italiens, par exemple, nous avons des députés, des sénateurs, des leaders des Partis Social-Démocrate, Libéral, Vert, Communiste. Le Parti Radical est l'unique internationale fédéraliste, Européenne, à adhésion directe, individuelle. L'unique organisation nonviolente, gandhienne, qui, depuis cinquante ans fait face à ce qu'ici on semble dramatiquement ignorer.
Une organisation qui "coûte", à ceux qui en sont les membres, deux florins par jour, le quart d'un billet de métro; une organisation qui, à Budapest, a son siège à Tanacs Krt, 11.