par Marco Taradash, député au Parlement Européen, élu dans la Liste Antiprohibitioniste, Membre du Parti Radical Que représente aujourd'hui la drogue? Si nous regardons la "Une" des grands journaux du monde entier, si nous nous penchons sur les ruelles de Naples, Los Angeles ou Lisbonne, il est facile de comprendre que ça n'est plus seulement une poudre ou une mixture que d'aucuns utilisent pour se procurer quelque plaisir et d'autres, avec une volonté autodestructive. Et si nous lisons les relations que pondent périodiquement, avec une ponctualité technocratique, les grandes organisations internationales de contrôle et de répression du trafique des stupéfiants, nous comprenons très vite que ce n'est même plus seulement un problème de toxicodépendance, ou de délinquance commune, ou de grande criminalité organisée. Désormais la drogue est un produit historique, un explosif composé de chimie sociale résultant de l'action conjuguée de lois d'Etat et de forces économiques animées par ces lois.
La transformation de l'industrie criminelle de la drogue provoquée par la multiplication vertigineuse des profits a en réalité surpris les gouvernements et les organismes supranationaux dans un état d'assoupissement que l'on serait tenté de définir "narcotique". Une ligne de commerce et de consommation marginale, reconductible à une bande criminelle localisée quoique dangereuse, s'est convertie en dix-quinze ans, en un marché aux mille ramifications internationales, capable de percer toute barrière géographique ou culturelle et de pénétrer dans chaque couche de la société. Aujourd'hui, avec ses 500 millions de dollars de facturation annuelle, le bilan d'une puissance industrielle moyenne, l'industrie de la drogue est désormais en mesure de miner les institutions politiques et d'altérer les processus économiques aux quatre coins du monde.
Et pourtant les gouvernements nationaux, pas toujours à proprement parler démocratiques, ont choisi la politique de l'autruche. Ils répètent les politiques du passé, c'est à dire les erreurs tragiques qui ont produit cette tragédie planétaire. Et ils les aggravent. Des lois toujours plus restrictives sur la consommation, des peines toujours plus lourdes pour les dealers, des organes de répression toujours plus encombrants. C'est vrai: le pouvoir de contrôle des appareils de l'état sur la société s'accroît mais la quantité de drogues interdites en circulation ne se réduit pas pour autant, comme du reste les profits du trafic des stupéfiants, et la sécurité des personnes menacées en permanence de vol ou d'aggression, souvent avec des conséquences graves, n'est pas assurée.
Aujourd'hui la guerre contre la drogue évoquée -comme dans une vision cinématographique- par Reagan, est devenue la sanglante réalité de l'invasion de Panama par les marines envoyés par George Bush pour venger, loin des caméras (interdites elles-aussi!), et au prix de deux-mille morts au moins, les torts portés par le dictateur trafiquant Noriega (pour découvrir après, que le nouveau président Endara, qui avait dirigé pendant des années l'une des banques qu'utilisaient les trafiquants du Cartel de Medellin, s'oppose à toute réforme des lois bancaires du pays); la Colombie est arrivée à la une de tous les journaux du monde comme théâtre de la première guerre civile de la drogue; les Etats-Unis ont lancé un mécanisme répressif complexe qui vomit chaque année dans les nouvelles prisons construites à cet effet des centaines de milliers de personnes et réintroduit la peine de mort même pour les délits autres que l'homicide; les parlements d'une grande partie de pays ont l'intention de suivre l'exemple nord-a
méricain.
Tout cela n'est pas seulement inutile et onéreux. Les dommages pour la société en général, consommateurs (la minorité) et non-consommateurs (la majorité) de drogues sont terribles. Le risque d'une épreuve sans précédents pour les institutions légales s'accroît: aujourd'hui le chantage, demain le défi, de la narcocratie, de l'Etat Criminel.
Alors que faire ? La réponse est très simple: nous devons réaffirmer les anciennes valeurs de la liberté civile: personne ne peut être poursuivi pour un comportement qui ne porte pas atteinte à autrui. Ces valeurs fonctionnent, pas la répression. Les consommateurs de drogues peuvent avoir besoin d'assistance sanitaire ou de récupération psychologique et sociale, mais certainement pas de prison ou d'autres peines. Le commerce des drogues doit-être règlementé et reporté sous le contrôle des institutions légales, le monopole des mafias sur le marché doit-être détruit.