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chevenement jean-pierre, le monde - 12 ottobre 1994
Chevènement sur le document CDU-CSU

A L'ALLEMAGNE, PARLONS FRANC

par Jean-Pierre Chevènement

SOMMAIRE: Chef de file de l'opposition de gauche au traité de Maastricht, Jean-Pierre Chevènement répond aux récentes propositions des chrétiens-démocrates allemands sur la construction européenne. A l'opposé de Jean-Louis Bourlanges, qui proposait de » dire oui aux Allemands (Le Monde du 29 septembre), l'ancien ministre socialiste estime qu'il s'agit d'un projet défavorable aux intérêts de la France.

(Le Monde, 12-10-1994)

La proposition de la CDU, c'est-à-dire du chancelier Kohl, qui ne l'a pas reniée, visant à la création d'une Europe à cercles concentriques autour d'un » noyau dur franco-allemand a d'abord le mérite de la clarté. Elle a un second mérite: elle va obliger la France à choisir et à inventer.

Le texte de la CDU pose le problème de l'ordre continental futur

face aux menaces qui pèsent sur l'avenir de la construction européenne (blocage institutionnel, chômage massif, divergences des intérêts et des priorités selon les pays, nationalismes récurrents, etc.). Ce document affirme sans ambages l'intérêt national de l'Allemagne: la stabilisation du continent autour d'elle, non plus par la méthode traditionnelle - la conquête de l'hégémonie - mais par » une modification profonde du système étatique .

A vrai dire, la stabilité du continent - en particulier de sa partie orientale - n'est pas seulement de l'intérêt de l'Allemagne. C'est l'intérêt de toute l'Europe et par conséquent aussi celui de la France. Il ne s'en déduit pas, à l'inverse, que les solutions considérées comme bonnes pour l'Allemagne le soient automatiquement pour le reste de l'Europe. On peut légitimement se demander si l'instauration en 1996 d'un Etat fédéral européen, par une révision » quasi constitutionnelle du traité de Maastricht et la création en son soin d'un » noyau dur franco-allemand auquel s'ajouterait le Benelux, constitue bien une approche réaliste de l'Europe européenne à construire.

Une union monétaire à cinq serait le résultat mécanique de l'application des critères de Maastricht, mais l'idée de transformer la Commission de Bruxelles en gouvernement responsable devant le Parlement européen, et le Conseil européen en » seconde Chambre ne peut que susciter en France un formidable éclat de rire. Cette idée manifeste, hélas, la profondeur du fossé culturel qui sépare encore l'Allemagne et la France.

Les dirigeants de la CDU, à force de ne voir celle-ci qu'à travers le miroir que leur tendent les démocrates-chrétiens français, espèce peu nombreuse mais vivace, croient l'heure venue de mettre notre pays au pied du mur, pour l'obliger à » sortir de son indécision et à choisir enfin la voie du fédéralisme. L'objectif affirmé par la CDU est » d'empêcher un développement divergent entre un groupe Sud-Ouest plus enclin au protectionnisme et dirigé en quelque sorte par la France, et un groupe Nord-Est favorable au libre-échange mondial, et dirigé en quelque sorte par l'Allemagne .

Je ne rejetterai pas par principe qu'un jour, dans un avenir lointain, une Fédération européenne démocratique puisse prendre forme. Mais c'est de toute évidence, aujourd'hui, une idée creuse. Pour qu'une Fédération démocratique puisse voir le jour, il faut qu'au préalable se soit constitué un sentiment d'identité suffisamment puissant. Il faut une claire conscience des intérêts communs à défendre et surtout un sentiment de solidarité assez vif pour fonder l'idée d'un intérêt général supérieur à l'intérêt des parties. A défaut, comment naîtrait cet » espace public de débat sans lequel il n'est point de démocratie véritable? Or un tel projet heurte trop aujourd'hui le sentiment national de nombreux peuples européens pour pouvoir donner le jour à une construction viable et équilibrée.

La démocratie exige des acteurs responsables: sans les nations, point d'Europe qui vaille. Et c'est là que le bât blesse: le document de la CDU met à juste titre l'accent sur l'importance décisive d'un renforcement de la coopération franco-allemande, mais pose comme principe que la France doit renoncer à la souveraineté de l'Etat-nation » qui ne constitue plus depuis longtemps qu'une enveloppe vide . Il est vrai que depuis quinze ans la France a, en fait, renoncé à son indépendance économique et monétaire. On en voit les résultats en termes de chômage. Faut-il consacrer en droit cette renonciation ?

Que la forme fédérale convienne à l'Allemagne, à cela rien d'étonnant, c'est sa forme traditionnelle d'organisation depuis les origines du Saint-Empire. Mais la France n'est pas un peuple (Volk), c'est une nation éminemment politique. C'est une communauté de citoyens, ou ce n'est rien. Qu'est-ce qu'un Français ? C'est un citoyen français. Rien de plus, rien de moins.

L'idée d'une Fédération ne menace en aucune manière l'identité culturelle de la nation allemande. Par contre, elle agirait comme un puissant dissolvant de l'identité politique de la nation française, tant du moins qu'une République européenne n'aurait pas, en quelque sorte, sublimé la citoyenneté républicaine à la française.

A chaque page du document de la CDU, l'intérêt national allemand est présent. Ce n'est pas un reproche: qu'il s'agisse d'une meilleure prise en compte de la démographie dans la pondération des voix au sein du Conseil comme dans la composition du Parlement, de l'abandon programmé du principe de l'unanimité, de l'adoption de politiques monétaire, budgétaire, fiscale et sociale communes au sein du noyau dur à cinq, tout cela est dans la logique d'une fédération dont l'Allemagne sera, par un effet de gravité naturel, l'élément fédérateur. Aussi bien, à travers le traité de Maastricht, a-t-elle déjà imposé au reste de la Communauté son mode de régulation: Banque centrale européenne indépendante et mise en conformité de toutes politiques publiques avec le » principe d'une économie ouverte où la concurrence est libre .

Les véritables intérêts de la France

De même, la difficile conciliation prônée par le document de la CDU entre l'adhésion des pays de l'Europe centrale et orientale à l'OTAN et une politique de partenariat avec la Russie, qui peut paraître la quadrature du cercle, répond-elle aux exigences de la sécurité nationale allemande. Elle implique naturellement la mise sur pied prioritaire d'une défense européenne commune, destinée à garantir aux futurs Etats membres de l'Europe centrale et orientale une protection conventionnelle, la garantie nucléaire étant l'affaire des Etats-Unis, et la décision relevant du Conseil de l'OTAN (et donc prise avec la participation américaine).

Tout cela est parfaitement cohérent avec les intérêts de l'Allemagne aujourd'hui, mais un tel projet de » noyau dur à cinq, dont l'Allemagne serait elle-même le noyau, répond-il à l'intérêt national français? Ou faut-il dès maintenant en appeler à l'» intérêt européen qui sublimerait tous les autres, selon le principe posé par François Mitterrand : » La France est notre patrie. L'Europe est notre avenir ?

Le projet fédéral - ou postnational - est pour l'Allemagne un projet raisonnable: l'Europe est pour l'Allemagne un habit plus seyant. Quand on interroge le chancelier Kohl sur le partenariat stratégique proposé par le président Clinton à l'Allemagne, il répond » Europe : » La garantie durable de la liberté de la démocratie et de l'économie de marché est un objectif commun des Américains et des Européens (1). Nous voilà ainsi » embarqués , au nom de l'Europe, derrière l'Allemagne. La France est invitée à dépouiller, fût-ce au prix du chômage et de l'exclusion, la défroque désormais périmée de l'Etat-nation. Le projet fédéral est ainsi, pour la France, un pari pascalien sur l'au-delà des nations.

Quant à la réintégration de l'OTAN par la France, pour fournir des corps expéditionnaires destinés à dissuader préventivement une menace russe qui n'existe plus - ou pas encore -, je crains qu'elle nous enlise, nous mette à la remorque d'intérêts extérieurs, et nous détourne, en définitive, du soin de notre sécurité véritable. Il y a d'autres moyens d'assurer la stabilité et la paix en Europe centrale et orientale (objectif en soi hautement désirable).

Les véritables intérêts de la France sont ailleurs. La France a d'abord besoin d'une croissance raisonnable, qui conditionne en dernier ressort toute stratégie de lutte pour l'emploi, même si elle ne s'y réduit pas. Pour maîntenir une économie naturellement diversifiée, notre pays a besoin d'une préférence et d'une politique industrielle si possible européennes, sinon nationales. Naturellement ouverte vers la Méditerranée, la France ne peut résumer sa politique à la seule dimension continentale. Le Sud est pour elle au moins aussi important que l'Est. Elle ne peut se couper de l'Europe méditerranéenne et de ces nations soeurs que sont l'Italie, l'Espagne et le Portugal. Pas davantage ne peut-elle se détourner du Maghreb, de l'Afrique et de l'Orient compliqué.

Si la France a intérêt à la stabilité et à la paix en Europe et dans le monde, ce n'est pas forcément en se mettant à la remorque de pays plus puissants qu'elle y contribuera le mieux - voir les guerres d'Irak et de Yougoslavie -, mais en préservant une diplomatie indépendante. Enfin, la France est comptable de sa langue et de sa culture, et surtout d'un riche patrimoine de valeurs. Ces valeurs républicaines, il lui appartient de les faire vivre chez elle et de les favoriser au-dehors, en Europe comme en Afrique. Peut-on s'étonner, trois ans après que notre ministre des affaires étrangères a proclamé l'inexistence de notre politique arabe, d'en voir en Algérie les résultats ?

A Berlin, dans la grande halle d'un bâtiment officiel, "unter den Linden", on lit sur le socle d'une sculpture figurant une femme tenant dans ses bras son enfant mort: » Aux victimes de la guerre et du règne de la violence. Moins de dix ans après la querelle des historiens, les révisionnistes qui justifiaient Auschwitz par le goulag et mettaient Hitler et Staline dans le même sac ont eu le dessus. Faut-il enfin épiloguer sur l'état de la laïcité et de la fraternité dans la République française ? La » modification profonde du système étatique que propose la CDU signifierait la fin de la République française, et donc de la France. Beaucoup s'y sont déjà résignés, l'essentiel étant, à leurs yeux, que cela ne se sache pas.

Contre le nouvel ordre libéral

Cinquante-cinq ans après l'effondrement de 1940, je n'arrive pas à partager cette philosophie de l'Histoire. Les nations resteront longtemps encore le creuset du lien social et le cadre irremplaçable d'une démocratie vivante et proche des citoyens. Une France libre reste nécessaire à l'Europe. Même si l'Allemagne est notre partenaire principal, elle ne peut pas être le passage obligé de notre politique extérieure. Le nouvel ordre mondial, à l'enseigne du libéralisme, qu'elle est chargée par les Etats-Unis de garantir en Europe, n'est pas un projet de société dans lequel la République française puisse accomplir ses valeurs. La France n'a pas à devenir » co-responsable de la gestion de ce nouvel ordre libéral porteur de chômage, d'exclusions et de guerres.

Le document de la CDU peut apparaître comme une discrète mise en demeure aux futurs canIdidats à l'élection présidentielle. Plusieurs d'entre eux en partagent d'ailleurs ouvertement la philosophie: M. Balladur le 30 août 1994, trois jours avant la publication du document de la CDU, avait évoqué » une Europe en trois cercles, autour d'une organisation mieux structurée sur le plan monétaire et militaire (...) déjà en bonne voie à l'initiative de la France et de l'Allemagne, (...) un noyau central efficace (2). On n'imagine pas que des prises de position si voisines aient pu se prendre sans concertation. Quant à Jacques Delors, il a déjà évoqué, parmi les raisons d'une éventuelle candidature, la défense de l'axe-franco-allemand, s'il venait à être menacé. On voit mal par qui: M. Juppé qui soutient M. Chirac n'a-t-il pas admis l'idée d'une différenciation entre pays à solidarité forte (Allemagne, France), et pays qui seront » un peu à la périphérie (3) ? Si, j'ajoute Raymond Barre, on voit, qu'il existe un v

éritable programme libéral-européiste commun aux présidentiables aujourd'hui crédités de pouvoir l'emporter. Il faut dès maintenant les interroger sans relâche sur cette question. Pour autant, je ne crois pas qu'aucun d'eux ait la capacité d'imposer à la France un schéma aussi brutal socialement et politiquement que celui que dessine le document de la CDU.

En effet, celui-ci est paradoxalement à la fois l'aboutissement (via l'Union économique et monétaire) et la négation du traité de Maastricht: comment rendre compatible l'Union politique à douze puis à seize avec le fonctionnement du noyau dur à cinq ? Pour l'un des rédacteurs du document, M. Rinsche, il s'agit d'une véritable » refondation . Le but est de » créer un traité à côté du traité, quitte à faire de la structure existante une coquille vide (4). Un tel changement de cap est inconcevable en dehors de la volonté des peuples. Ainsi, ce que le document de la CDU fait apparaître, c'est moins la force allemande que la faiblesse française. C'est pourquoi, dès maintenant, la France doit dire la manière dont elle envisage de réviser le traité de Maastricht, devenu inapplicable, à partir de ses intérêts qui, pas plus que ceux de l'Allemagne, ne sont dissociables de l'intérêt européen véritable.

Incarner les valeurs de la République

Voici, selon moi, les axes d'une telle redéfinition: maintien des acquis - marché unique à l'intérieur et politique agricole commune; élagage de la réglementation communautaire; transformation de la Commission en un secrétariat général de la Communauté placé sous l'autorité du conseil européen et du conseil des ministres, seules instances politiques responsables; publication des votes au sein du Conseil des ministres, réduction du pouvoir réglementaire à l'émission des directives fixant les objectifs et laissant autant que possible aux Etats le choix des moyens; abandon de la monnaie unique au bénéfice d'une monnaie commune externe, laissant subsister au plan interne les monnaies nationales; émission d'un emprunt destiné à financer une véritable initiative européenne de croissance; élaboration d'une politique commune en matière de commerce extérieur, de manière à préserver le tissu productif européen; concertation franco-allemande renforcée en vue de définir, comme le propose d'ailleurs le document CDU, une

politique industrielle et de la concurrence commune; limitation des compétences de la Cour de justice de Luxembourg; politique commune vers la Méditerranée (évoquée d'ailleurs brièvement par le document CDU, mais qu'il faudrait étoffer afin de créer un cadre de codéveloppement entre les deux rives); enfin, élargissement à l'Est de l'Union européenne.

Cette question est au coeur des préoccupations allemandes. La France doit faire en la matière un choix clair. La faiblesse stratégique de l'Allemagne doit nous préoccuper. Nous devons accompagner l'Allemagne dans sa politique à l'Est car notre intérêt est aussi dans la création d'un ordre de paix stable à l'échelle du continent. Mais il n'y a pas de raison, à long terme, de tenir la Russie à l'écart de l'Union européenne. La Russie par sa civilisation appartient à l'Europe et ne doit pas être tenue en lisière. Il faut le dire dès aujourd'hui car nous devons offrir une perspective à ce grand peuple.

Stabiliser la Russie, l'aider à rejoindre l'Europe développée et démocratique, c'est le meilleur moyen de renforcer la sécurité des pays de l'Europe centrale et orientale. Plutôt qu'une adhésion de ceux-ci à l'OTAN qui serait inévitablement ressentie par la Russie comme une mise à l'écart, sans doute vaudrait-il mieux réfléchir à leur intégration dans l'UEO. Encore faudrait-il que celle-ci émerge des limbes et que la France et la Grande-Bretagne acceptent de garantir cette sécurité par des armes nucléaires. A défaut il n'y aura jamais d'identité européenne de défense, mais seulement une défense américaine de l'Europe. Un tel engagement de la France revêtirait une immense signification. Il manifesterait clairement que, sans renoncer à être elle-même, la République française est prête à prendre sa part aux côtés de l'Allemagne à la défense de la stabilité et de la paix en Europe.

A celle-ci, chaque nation doit apporter ce qu'elle a de meilleur. En incarnant mieux les valeurs de la République et en parlant à l'Allemagne avec la franchise de l'amitié, la France servira mieux que par des palinodies et des non-dits l'intérêt européen véritable et le partenariat nécessaire entre nos deux pays.

Jean-Pierre CHEVENEMENT

 
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