NIGER: L'ACCORD ENTRE LA REBELLION TOUAREGUE ET LE GOUVERNEMENT DE NIAMEY PARAIT AUSSI FRAGILE QU'AU MALI.
par Marie-Pierre Subtil
SOMMAIRE: Un accord de paix a été signé, dimanche 9 octobre, à Ouagadougou, capitale du Burkina, entre le gouvernement nigérien et les mouvements de rébellion touaregs. Cet accord risque de se heurter à des difficultés de mise en oeuvre, comme au Mali, où le Pacte national de paix signé en avril 1992 n'est jamais entré en application, et où les » accrochages entre l'armée et les rebelles touaregs se multiplient.
(Le Monde, 12-10-1994)
Les jeunes démocraties malienne et nigérienne sauront-elles mettre un terme aux rébellions touarègues, qui constituent l'un des plus épineux problèmes dont elles aient hérité lors de leur avénement (en 1992 au Mali, en 1993 au Niger) ? L'accord de paix signé dimanche entre le gouvemement nigérien et la Coordination de la résistance armée, qui regroupe les quatre mouvements de rébellion nigériens, représente, certes, une avancée. Mais il restera bien du chemin à parcourir avant que les deux parties ne soient réellement d'accord.
Cet accord, négocié sous les auspices du Burkina, de l'Algérie et de la France, ne prévoit qu'une trêve de trois mois » renouvelable par tacite reconduction . Les deux parties se sont en outre donné six mois pour parvenir à un règlement définitif de leurs différends et la résolution des questions les plus délicates a été différée - » notamment la question des forces de sécurité et de défense ainsi que celle du développement économique, social et culturel .
Une loi de décentralisation devrait permettre de satisfaire les revendications autonomistes des Touaregs nigériens. Encore faudra-t-il que le Parlement adopte cette loi, qui n'en est qu'au stade de projet. Or, depuis fin septembre ( le Monde du 30 septembre), le président nigérien, Mahamane Ousmane, ne dispose plus d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale. Le vote de cette loi est donc loin d'être acquis. Son éventuel rejet ne serait d'ailleurs qu'une manifestation supplémentaire du fossé qui sépare les populations noires, au pouvoir, des populations blanches, en rébellion dans le nord du pays.
Ce fossé est plus que jamais une réalité au Mali, où des mouvements d'autodéfense noirs sont apparus sous prétexte de pallier les défaillances de l'Etat. En avril, un ancien militaire a pris la tête d'un mouvement, Ghanda Koy (Maîtres de la Terre), qui a reçu le soutien de tous les partis - dont l'ADEMA, au pouvoir - et qui, selon Amnesty International, » aurait à son passif des massacres de civils, commis à titre de représailles . Dans son dernier rapport sur la question, paru le 21 septembre, l'organisation note que depuis quelques mois » les meurtres de civils se sont multipliés dans les deux camps et relève la mort de » 50 civils, des Maures pour la plupart, tués par des soldats en juin, à Tombouctou et dans les environs, et d'» au moins 40 civils tués par balle par un groupe maure le 25 juillet.
Au Mali, les derniers accrochages entre l'armée et des Touaregs ont fait, les 5 et 6 octobre, 24 morts, dont, pour la première fois, un étranger, un membre de la mission de coopération suisse. Le Pacte national de paix signé en avril 1992 est plus que jamais caduc depuis qu'en juin trois des quatre mouvements touaregs ont appelé leurs combattants à quitter les casernes qu'ils avaient intégrées dans le cadre du Pacte. A l'époque, les Mouvements et fronts unifiés de l'Azawad (MFUA) se sont scindés, le Mouvement populaire de l'Azawad demeurant le seul interlocuteur du gouvernement. Aucune des mesures prévues par le Pacte n'est entrée en application : les patrouilles mixtes, composées de militaires et d'anciens rebelles, n'ont jamais été opérationnelles; les 160.000 Touaregs réfugiés en Mauritanie, en Algérie et au Burkina, ne sont pas revenus au Mali; l'intégration des rebelles dans l'armée est restée lettre morte malgré un nouvel accord, en mai, entre le gouvernement et les mouvements de rébellion.
Que ce soit au Mali ou au Niger, le bilan des affrontements est lourd. Les bilans officiels font état de 150 morts depuis novembre 1991 (date du début de la rébellion) au Niger - un chiffre sans doute en deçà de la réalité. Au Mali, certaines sources évaluent à 300 le nombre de disparus au cours des seuls mois de juin et juillet. Dans un cas comme dans l'autre, le pouvoir central, pris en étau entre bonne volonté et démagogie - les populations étant hostiles aux Touaregs -, semble bien démuni. D'autant que la faillite économique de ces Etats du Sahel ne leur permet pas d'accorder à une minorité (les Touaregs représentent environ 7 % de la population au Mali, 10 % au Niger) ce qu'ils doivent refuser aux autres.
Marie-Pierre SUBTIL