EDMUND STOIBER: LES REGIONS D'ABORD!
propos recueillis par Xavier Gautier
SOMMAIRE: Allié d'Helmut Kohl, poids lourd de la CSU et patron de la Bavière, Edmund Stoiber réfute l'idée d'un Etat fédéral européen.
(Le Figaro, 13-10-1994)
Les thèses sur l'Europe publiées cet été par la CDU, dans le rapport Schaüble, ne sont pas passées inaperçues en Allemagne et chez ses voisins. En réalité, le débat sur l'avenir de l'Europe a été lancé à l'automne 1993 par le chef du gouvernement (ministre-président) bavarois, Edmund Stoiber (CSU). Dans une lettre au chancelier Kohl, M. Stoiber réfutait la construction d'un » Etat fédéral européen . Il répond aux questions du Figaro.
LE FIGARO. - Vous réclamez l'abandon de la politique européenne telle qu'elle a été menée de Konrad Adenauer à Holmut Kohl. Pourquoi ?
Edmund STOIBER. - Ce que J'ai dit, c'est que l'Europe ne doit en aucun cas se transformer en un Etat fédéral. Un tel Etat, que, pour ma part, j'appelle centralisé, signifierait abandonner à une instance européenne le droit de fixer des compétences déléguées à ses Etats membres. Or l'Europe doit rester fidèle à ses principes de base : laisser les Etats décider des droits qu'ils concèdent à Bruxelles, et non l'inverse.
- Quelle Europe doit naitre du traité de Maastricht ?
- Une fédération d'Etats européens. Je vous rappelle que le Saint Empire romain germanique a bien fonctionné pendant un millénaire. Cette organisation autour de pays de taille petite ou moyenne permettait une saine concurrence et un développement assez harmonieux. Aujourd'hui, un Etat décentralisé comme la RFA dispose d'une infrastructure plus équilibrée que les pays centralisés, telles la France ou la Grande-Bretagne.
- Le grand homme d'Etat bavarois Franz-Josef Strauss, décédé en 1988, était pourtant un fervent partisan des Etats unis d'Europe..
- Certes, mais il n'avait pas étudié toutes les conséquences que ce changement entraînerait. De plus, depuis l'entrée en vigueur du traité de Maastricht, le processus d'intégration européenne a été considérablement accéléré sur le plan qualitatif. Imaginons que la France et l'Allemagne forment le pilier d'un nouvel Etat européen prétendument fédéral, que resterait-il de la spécificité de l'Allemagne et de ses régions ?
- Vous répétez que la Bavière ne doit pas être reléguée au rang de » province européenne . Que signifie de nos jours cette identité bavaroise ?
- L'histoire et la culture de la Bavière ont plus de mille cinq cents ans d'âge. Pendant sept cent cinquante ans, notre pays a été régi par la famille royale des Wittelsbach. Le principe de nation, perverti sous le IIIe Reich, a pris une connotation négative en Allemagne. Le sentiment régional a été renforcé, surtout dans notre Land, où l'on est bavarois avant de se sentir allemand. Or une Europe trop puissante risquerait d'étouffer ces particularismes.
- Le processus d'intégration européen doit-il être ralenti ?
- L'Europe doit progresser en suivant un rythme différencié : accélération et approfondissement de son action dans les domaines de la sécurité intérieure ou de la politique extérieure, d'une part, et ralentissement dans le domaine des réglementations, d'autre part. L'Europe étouffe aujourd'hui sous les réglementations tatillonnes. Je ne vois aucune raison pour que les lois concernant les secteurs de la viande, de la sécurité sur le lieu de travail, de la qualité des eaux, soient décidées à Bruxelles.
- Et au-delà de ces critiques ?
- Il est impossible d'accélérer le processus d'intégration tous azimuts en ouvrant l'Europe à de nouveaux membres. Si nous n'offrons pas aux pays d'Europe de l'Est, dont je soutiens la candidature, les moyens réels d'adhérer à l'Europe, toute chance leur est retirée d'en devenir un jour membres à part entière.
Un rapport positif
- Une large part de vos préoccupations est défendue par Wolfgang Schaüble à Bonn. Soutenez-vous son appel à une constitution d'un » noyau dur , autour de la France, de l'Allemagne et du Benelux ?
- Globalement, le rapport Schaüble est positif. Il évoque, en effet, clairement le principe de subsidiarité, réclame une nouvelle répartition des compétences et prône une réforme des institutions ainsi que l'intégration de l'Europe centrale. Et puis, ce texte a déclenché une discussion de fond sur l'Europe, ce dont on ne peut que se féliciter. Il est toutefois malheureux d'avoir employé le terme de » noyau dur , en excluant notamment l'Italie. L'Europe ne doit pas se diviser en différentes classes.
- Souhaitez-vous la constitution d'une Europe à géométrie variable ?
- Le concept d'Europe à deux vitesses n'est pas une nouveauté. Mais les Allemands doivent faire particulièrement attention à ce qu'ils disent. Il est bon, je le répète, d'entamer un débat, mais tout en se gardant d'employer des termes prêtant au malentendu, surtout au moment où la Suède et la Finlande votent par référendum sur leur adhésion à l'Union européenne.
- Ces thèses sont-elles aujourd'hui partagées à Bonn ?
- Largement. La ratification allemande du traité de Maastricht n'a pu être entérinée qu'après la réforme de l'article 23 de notre Constitution. La nouvelle mouture de cet article - et c'est très important de le savoir - interdit la participation de l'Allemagne à un Etat fédéral européen. Le chancelier Kohl, qui a longtemps prôné la construction d'Etats unis d'Europe, a lui-même pris ses distances avec ce concept. Qui ose envisager que les particularismes français ou britanniques soient un jour écrasés par une identité européenne globale ?
Propos recueillis à Munich, par Xavier GAUTIER