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Naudet Jean-Baptiste, Le Monde - 30 ottobre 1994
L'irrédentisme criméen.

L'EUROPE DES BRASIERS MAL ETEINTS

VI. LA CRIMEE VEUT ETRE RUSSE OU RICHE

par Jean-Baptiste Naudet

SOMMAIRE: Après avoir évoqué l'Italie et son contentieux istrien, la Grèce et ses "dépendances" albanaises, la question des minorités hongroises, la renaissance de l'impérialisme russe, l'impossible indépendance de la Moldavie (le Monde des 25, 26, 27, 28 et 29 octobre), nous terminons notre série sur les irrédentismes en Europe par le cas de la Crimée qui, rattachée à l'Ukraine, ne se pose plus la question de sa "réunification" avec la Russie mais celle de l'amélioration de son bien-être.

(Le Monde, 30/31-10-1994)

Bleu, blanc, rouge: les couleurs de la Russie flottent sur la Crimée pourtant ukrainienne. "La Crimée, c'est la Russie. Je préfère la guerre que de vivre en Ukraine", fanfaronne Vladimir, qui est "russe évidemment!", comme les deux tiers de la population de la presqu'île, "perle de la mer Noire". "Ce n'est pas nous, dit-il, qui commencerons cette guerre, c'est l'Ukraine si elle vient ici." Comme 73 % des électeurs de Crimée, Vladimir Belouasov, un chauffeur de trente-cinq ans, né de mère ukrainienne et de père russe, a voté au début de l'année pour le président Iouri Mechkov et pour son Bloc Russie, très majoritaire au Parlement local.

Pour être élus, ils ont promis que la Crimée (2,5 millions d'habitants) rejoindrait la "mère Russie". Rattachée d'un trait de plume par Khrouchtchev à l'Ukraine en 1954, la Crimée, colonisée par les Russes au XVIIIe siècle et vidée de ses Tatars en 1944, s'est retrouvée, lors de l'effondrement de l'URSS, prisonnière des frontières devenues internationales de l'Ukraine. Plus pour très longtemps, à en croire certains politiciens locaux.

"L'Ukraine peut quitter l'URSS, dit Alexandre Krouglov, député d'une fraction russe radicale au Parlement de Crimée, mais seulement avec ce qui lui appartient !" Sinon ? "Nous riposterons." Lors d'une réunion politique à Sébastopol, port d'attache de la flotte de la mer Noire (rouillée, mais âprement disputée entre Kiev et Moscou), Edouard Limonov, un ancien dissident reconverti dans le "patriotisme", montre la voie. "Nous, les partis radicaux de Russie, nous ne permettrons pas que l'on nous enlève un seul kilomètre carré du territoire russe. Et la nation serbe, qui sait se défendre, peut nous servir d'exemple ", clame-t-il.

Un capital touristique alléchant

En mai, Ludmila Mechkov, la femme du président, a organisé à Yalta, au sud de la Crimée, un Congrès des peuples orthodoxes qui dessinait une sorte de nouveau partage est-ouest, avec des séparatistes serbes de Krajina (Croatie) et de Bosnie, des Russes de Transnistrie (Moldavie), des Arméniens du Haut-Karabakh (Azerbaïdjan) et des nationalistes de Russie. Folklore ? Passant aux actes, Sébastopol a proclamé en août son "rattachement" à la Russie. Même les plus raisonnables des Russes d'ici jurent qu'ils ne subiront pas "l'extrême nationalisme ukrainien". Le scénario yougoslave hante la Crimée. A tel point que la CIA considère que la région - la Russie et l'Ukraine possèdent des armes nucléaires - peut devenir le lieu du déclenchement de la troisième guerre mondiale... Pourtant, en ce début d'automne, le problème n'est pas - n'est plus - de savoir si la Crimée sera ukrainienne ou russe, ni d'arrêter l'épidémie de choléra qui frappe la presqu'île privée d'eau. Les habitants se demandent plutôt qui l'emportera du

Parlement ou du président local, tous deux théoriquement pro-russes. La plus grave accusation que se lancent les deux pouvoirs n'est pas d'avoir "oublié" la promesse de rejoindre la Russie. C'est de vouloir privatiser, chacun à son profit, l'alléchant capital touristique de la "Côte d'Azur" de l'ex-URSS. Le président Mechkov et son gouvernement, formé de Russes venus de Moscou, privilégieraient les intérêts des capitaux "étrangers" russes, qui auraient financé l'ascension inattendue de ce petit juge d'instruction, ancien champion de tir du KGB. Les parlementaires sont, eux, accusés d'être dans les mains des "hommes d'affaires" ou de la Mafia locale.

La question de la "réunification" avec la Russie n'est donc plus à l'ordre du jour, si tant est qu'elle l'ait été réellement un jour. Boris Kizilov, "père spirituel" de l'autonomie de la Crimée, admet que s'il se prononce publiquement pour le rattachement à la Russie ("car la population est pour", dit-il), il y est en fait opposé. "En Russie, nous ne pourrions avoir un statut à part, car le principe des formations étatiques en Russie est fondé sur la nationalité ", explique-t-il. Pour lui, "seule l'indépendance négociée peut assurer la défense des intérêts de la Crimée".

Pour transformer la presqu'île en un "Hongkong" de la mer Noire, les politiciens de Crimée ne feraient que jouer du nationalisme russe ou local, selon les besoins. "Le but, explique à voix basse un journaliste local, est de faire de la Crimée un havre pour l'argent noir, pour rapatrier dans des casinos ou dans le tourisme, avec plus de profit que chez vous, les capitaux volés à l'ex-URSS par les ventes illégales de pétrole ou de matières premières. Pour les nationalistes ukrainiens, Mechkov est manipulé par le KGB. Pour les libéraux, par la Mafia. A mon avis il est utilisé par les hommes de la nomenklatura qui ont de l'argent sale." Les assassinats vont bon train dans la République autonome.

Quant à la population, naturellement pro-russe, elle est aussi avant tout préoccupée par son bien-être matériel. N'a-t-elle pas voté à 54 % pour l'indépendance de l'Ukraine (90 % dans le reste du pays) ? "Nous avons cru que la vie serait meilleure dans une Ukraine indépendante. Mais le résultat a été pire", reconnaît un professeur de Simferopol. Un rouble vaut aujourd'hui 20 karbovanets. C'est presque une devise forte ici. "La Crimée doit être avec la Russie, car c'est une vache à traire", estime franchement un "patriote", ancien combattant de la seconde guerre mondiale, d'abord préoccupé par le montant de sa retraite (équivalente à moins de 50 francs par mois).

Ne plus parler de sécession

Le renoncement au programme de réunification de la péninsule avec la Russie est l'une des causes des déchirements d'une coalition pro-russe privée de boussole. Aujourd'hui, loin de la surenchère, le président du Parlement » nationaliste , Sergueï Tsekov, ne parle plus de sécession mais se prononce pour " un traité entre l'Ukraine et la Crimée pour coordonner les deux Constitutions". Le leader des députés du Bloc Russie veut "améliorer le programme électoral en tenant compte des réalités d'aujourd'hui".

Et la réalité, qui fait que le nationalisme russe n'est plus à la mode, est que l'Ukraine est rentrée dans le rang. Après l'élection en juillet d'un nouveau président ukrainien, Leonid Koutchma, favorable au rapprochement avec la Russie, le président criméen Mechkov a viré casaque: "La Crimée fait partie de l'Ukraine. Les relations entre la Crimée et l'Ukraine se normaliseront en même temps que celles entre l'Ukraine et la Russie", a-t-il déclaré. De quoi conforter ceux qui affirment que l'irrédentisme n'a été que l'une des armes habilement maniées par Moscou, avec celle de l'énergie, pour faire rentrer l'Ukraine, comme la Moldavie qui a eu aussi sa région russophone séparatiste, la Transnistrie) dans le giron russe.

En Transnistrie russophone, la formation d'une "nouvelle Russie" - avec les "territoires russes" du sud de l'Ukraine -, n'est "plus d'actualité", affirme, à Tiraspol, Valery Litskay, secrétaire d'Etat de cette République autoproclamée. "Dans deux ou trois ans, dit-il, l'Ukraine aura une armée de cosaques ! La seule issue pour Kiev, qui ne peut garder son armée à cause de la crise, est un accord militaire avec la Russie", ajoute-t-il. Malgré ce discours apaisant, les Russes de Transnistrie ont tenté d'envoyer, fin octobre, aux "frères de Crimée" des kalachnikovs en contrebande, qui furent saisis par la XIVe armée russe, basée dans la région. "Il n'y a pas de problème criméen mais un problème déstabilisation en l'Ukraine", affirme Sergueï Litvine, » éminence grise des nationalistes ukrainiens en Crimée.

» La voie impérialiste douce, moderne

Ces patriotes dénoncent le rapprochement entre Kiev et Moscou. "La Russie a remplacé le colonialisme brutal, tsariste puis soviétique par le néocolonialisme comme l'ont fait certains pays de l'Ouest dans leurs empires", juge un journaliste ukrainien. "L'Ukraine a son indépendance politique, formelle. La Russie contrôle l'économie et place peu à peu ses hommes au pouvoir. C'est la voie impérialiste douce, moderne", juge-t-il. Les négociations de partage entre Kiev et Moscou tournent d'ailleurs au marchandage économique.

Face à cette Realpolitik, les "purs et durs" - qu'ils soient russes ou ukrainiens - ne se sentent plus soutenus par leurs "centres". En Russie, le Parlement nationaliste, qui avait déclaré "illégale" la cession de la Crimée à l'Ukraine, a été dissous à coups de canons par Boris Eltsine. Le Kremlin considère aujourd'hui la Crimée comme un "problème interne" de l'Ukraine. "Nous n'aimons pas trop Eltsine qui manque d'audace. Nous attendons un changement de pouvoir en Russie", dit un député russe. "Pour éviter un conflit, Kiev temporise, mais le cancer s'étend. M. Koutchma est prorusse", se plaint en écho, l'Ukrainien Litvine. Réfugié, comme toute les organisations nationalistes ukrainiennes de Simferopol, dans un bâtiment de l'armée ukrainienne - discrètement présente dans la péninsule -, M. Litvine réclame la "liquidation de cette République" (criméenne), l'annulation du statut de République autonome concédé par Kiev pour calmer les ardeurs séparatistes. Certains craignent que la fracture entre l'est et le sud

russifiés de l'Ukraine et l'ouest nationaliste ne mène finalement à l'éclatement du pays. Et que l'idée de la "nouvelle Russie" ne réapparaisse.

"Cette idée est naturelle, car le sud de la Russie et de l'Ukraine ont été partagés par des frontières artificielles, comme l'Afrique, qui ne tiennent pas compte des réalités économiques et nationales. Ces divisions artificielles ont déjà mené à la guerre en Ossétie, au Karabakh, en Abkhazie, en Transnistrie", dit un nationaliste russe. Mais, pour l'instant, c'est l'option douce qui paraît triompher. "Il est certain, dit un député russe modéré, que si Jirinovski ou quelqu'un de semblable arrivait au pouvoir en Russie à la faveur de la crise économique, il passerait sur la Crimée sans même s'en apercevoir ". N'a-t-il pas promis de laver ses bottes, non pas dans la mer Noire, mais dans l'océan Indien ?

Jean-Baptiste NAUDET

 
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