interview de Marco Taradash
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Cette interview a été accordée au cours d'une rencontre entre Marco Taradash, député européen, et des élèves de l'Ecole Supérieure de Police de Budapest qui veulent se spécialiser dans le problème de la drogue.
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Q.: Quel est le contexte politique dans lequel se pose la question de la drogue dans nos sociétés?
R.: La politique sur la drogue est devenue l'une des composantes essentielles de la politique intérieure et internationale de tous les pays du monde. Nous pouvons déjà en mesurer les conséquences dans la vie quotidienne des citoyens de l'Europe Communautaire ainsi que des USA et d'autres grandes nations. Les effets de la politique de repression pénale de la consommation de la drogue et du trafic de drogue ont provoqué des dommages, qui sont bien pires que les dommages sur la santé provoqués par les drogues.
Q.: Quels sont les conséquences de cette prohibition, de cette illégalité des drogues?
R.: Aujourd'hui, le fait d'avoir voulu prohiber sans avoir réussi à empêcher, a signifié qu'en même temps qu'une augmentation incontrôlable de la consommation des drogues, on a eu également une augmentation de la violence dans les villes, une augmentation des maladies liées à l'emploi de certaines drogues, comme le SIDA, qui, provoqué par l'usage répété des mêmes seringues, par l'échange de celles-ci entre toxicomanes, est une conséquence directe de l'état d'illégalité de cette consommation de drogue, illégalité qui a causé la croissance de la criminalité organisée à des niveaux de pouvoir et de richesse tels, qu'aucun gouvernement et aucune police au monde ne sont en mesure de contrôler. Nous savons bien que les politiciens donnent souvent à la police des tâches qu'eux-mêmes n'ont pas réussi à mener à bien. Et, lorsque ces problèmes arrivent à la police, ils sont désormais, effectivement insolubles. Pour avoir prétendu éliminer l'usage de certaines substances, on a créé en fait un marché très florissant, et
en réalité, faire commerce des drogues prohibées, est aujourd'hui le plus sûr moyen de s'enrichir rapidement.
Q.: Cette réponse concerne les trafiquants. Quels sont, selon vous, les conséquences de la drogue prohibée pour les consommateurs?
R.: Faire usage de drogues prohibées signifie devenir en fait un criminel, parce que l'on est obligé de commettre toutes sortes de délits pour se procurer de l'argent. On est obligé de voler, de pratiquer le vol-à-la-tire, de faire des rapines, de commettre des homicides, on est obligé de vendre à son tour de la drogue ou bien de se prostituer, etc... etc... Par exemple: aux Usa il existe un rapport du gouvernement qui remonte à Janvier 1991, selon lequel chaque année aux Usa, 9 millions de délits violents sont commis, liés au trafic de drogue, avec des dommages énormes pour la société, 35 millions de dollars, dommages relatifs aux activités violentes des consommateurs de drogue. On peut lire dans les rapports de l'ONU que chaque année le trafic se déplace et envahit des pays jusque-là incontaminés. Il est arrivé par exemple, que des USA, la cocaïne s'est déplacée très rapidement vers l'Europe continentale, dans la CEE. Je veux dire par là que d'autres types de drogue se sont déversés des pays de l'Europe Co
mmunautaire vers les pays voisins. L'Amérique Latine s'est vue envahir par les dérivés de la feuille de coca très rapidement. Et le commerce passe à travers tous les pays du monde. Dans les pays occidentaux nous subissons les dommages de cette politique. Nous n'avons pas réussi à bloquer la consommation des drogues et nous avons créé une criminalité organisée qui menace la démocratie des pays d'Europe occidentale et surtout la démocratie des pays les plus fragiles, comme ceux d'Amérique Centrale et d'Amérique Latine.
Q.: Comment voyez-vous la situation des Pays d'Europe Centrale, de la Hongrie?
R.: Nous risquons d'avoir dans les pays ayant une nouvelle démocratie, comme la Hongrie par exemple, quelque chose de semblable à ce qui s'est passé dans le continent américain, où les pays avec les structures sociales et économiques les plus fragiles, les pays d'Amérique Centrale par exemple, sont devenus la base des narcos. Le risque est grand. La Hongrie comme la Tchécoslovaquie, comme tant d'autres pays, peut devenir pour l'Europe communautaire, ce que la Colombie ou la Bolivie sont pour les Usa. Et à ce moment-là, il n'y aurait plus rien à faire. La Hongrie est un pays qui a besoin d'argent et qui ne peut être trop regardant quant à la provenance de cet argent. C'est déjà arrivé en Espagne, après la dictature, lorsque les capitaux qui affluaient vers la démocratie espagnole étaient des capitaux des grandes industries occidentales, mais aussi des capitaux de grandes organisations de trafiquants d'Europe et d'Amérique Latine ou du Nord. Cela pourrait arriver dans des pays comme la Hongrie.
Q.: Quel est selon vous, la situation de la police dans ces Pays?
R.: La police des pays faibles, pauvres, est menacée continuellement: d'un côté, il y a le risque de menace de mort, de l'autre, il y a le risque de la corruption. Et c'est-là un risque aussi grand. Parce que là-où les émoluments des policiers sont faibles, les trafiquants de drogue peuvent offrir des sommes toujours plus alléchantes.
Q.: Quelle pourrait-être la "Solution" selon vous?
R.: Aujourd'hui nous devons donner une alternative politique à ce type de situation qui ne peut-être édifiée dans un seul pays, mais sur le plan international. Le fait d'avoir prohibé la drogue, a eu en réalité comme conséquence la prolifération d'organisations criminelles qui ont eu le "champ libre", et aujourd'hui, il n'y a peut-être pas de marchandises plus "libres" sur les marchés occidentaux que l'héroïne ou la cocaïne. On les trouve partout, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Et il n'y a absolument pas moyen de bloquer ce marché, parce que même si l'on remplit les prisons, et en fait les prisons sont pleines (aux Usa plus d'un million de personnes ayant rapport avec la consommation ou la vente de drogue finissent en prison), et même si on arrête d'innombrables dealers, on ne peut stopper la vente de la drogue. En effet la consommation a continué d'augmenter. L'unique façon de bloquer ce type de criminalité est d'éliminer le gain de la vente de la marchandise. C'est de ramener ces marchandi
ses sous le contrôle de l'Etat, de manière à ce que celles-ci puissent-être vendues avec des critères rigoureux et des contrôles de qualité également très rigoureux. Cela est possible; les demandes ont été faites dans les plus grandes villes européennes, comme Francfort, Hambourg, Liverpool, Amsterdam, Zurich, Athènes et tant d'autres. Et c'est une demande qui doit-être faite également par la Hongrie et par les forces de police, comme cela a été fait par les syndicats de police en Allemagne ou en Espagne.
Q.: Concrètement, comment êtes-vous en train de vous organiser?
R.: Nous avons constitué une Ligue Internationale Antiprohibitionniste, qui a été fondée avec la contribution du Parti Radical, mais qui n'est liée à aucun parti et qui rassemble des opérateurs de plus de vingt pays et de trois continents. Il y a des magistrats, des juristes, des économistes, des médecins, des policiers; des personnes qui connaissent la réalité des choses et qui ont compris qu'il n'est guère possible de se défendre du problème de la drogue, sinon en termes de politique sanitaire et de politique sociale. Au moment où l'on croit pouvoir résoudre le problème par la répression, il vient s'ajouter au problème sanitaire de l'usage des drogues, un problème d'ordre public et de corruption politique, qui rend impossible le fait d'affronter effectivement la consommation et la réduire. C'est pourquoi nous opérons dans plusieurs pays du monde, pour arriver à une nouvelle règlementation internationale qui soit soumise à l'ONU, et qui rende possible, dans un proche avenir, l'élimination de tous les dommag
es, qui sont énormes, causés par les lois sur la drogue.