Par Enrique Baron
SOMMAIRE: L'auteur affronte la question de la politique de défense et de sécurité de l'Europe après la chute du mur de Berlin et la fin du monde bipolaire. Une question qui nécessite "un travail de réflexion, d'organisation, de coordination et de planification qui doit s'intensifier pendant la phase (du procesus d'intégration européenne) qui commence". Travail dans lequel l'Union de l'Europe Occidentale (UEO) doit jouer "un rôle décisif". (Le Figaro, le 3 novembre 1994)
Paix et stabilité sont, sans nul doute, les deux aspirations les plus généralisées parmi les Européens de tout le continent.
Pendant cinquante ans, la stabilité du continent a reposé sur sa division, injuste, mais stable, garantie par l'équilibre bipolaire de la menace nucléaire.
Aujourd'hui, l'une des grandes superpuissances, l'URSS, s'est désagrégée alors que les Etats-Unis sont en train de reconsidérer leur rôle dans le Vieux Continent et qu'un nouveau protagoniste a vu le jour, l'Union européenne. Poussée de façon irrésistible par la volonté conjointe de 12 pays - bientôt 16 - et 340 millions de citoyens - bientôt 360 - de partager un destin commun sur la base de la démocratie et de la coopération, l'Union a déjà comme fondements la citoyenneté et l'obtention de la monnaie unique. La politique extérieure et de sécurité commune (PESC) est un instrument fondamental de l'Union et la rendre opérationnelle est une priorité décisive. Il est, en effet, de plus en plus difficile d'expliquer au citoyen pourquoi, si nous avons mis la bourse et la vie en commun, nous ne faisons de même pour garantir notre sécurité et défendre notre patrimoine commun. L'Union européenne représente la majorité d'âge historique du projet communautaire, ce qui exige l'affirmation d'une identité propre.
Pour la première fois depuis des siècles, la consolidation de l'Union européenne nous permet de parler de sécurité et de défense, non en termes d'affrontements et méfiances, mais de coopération et de solidarité.
Dans le traité de Maastricht, on parle de "la définition dans le futur d'une politique de défense commune qui pourrait mener, en son temps, à une défense commune" (art. J. 4). Depuis 1991, moment où ces lignes ont été négociées et écrites, l'avalanche d'événements s'est poursuivie, la cohésion de l'Union a été mise a l'épreuve et la demande d'une présence plus marquée de celle-ci s'est accrue.
Dans la guerre de l'ancienne yougoslavie, des Casques bleus français, britanniques, espagnols, belges, néerlandais et danois entre autres sont présents et assument le rôle de médiateurs au côté de l'ONU, en apportant la plus grande partie de l'aide humanitaire; néanmoins, nous n'avons pas réussi à jouer ensemble un rôle décisif dans cette folie collective. Des drames comme la guerre tribale de Somalie ou le génocide rwandais ont, en outre, posé le problème d'un devoir d'intervention.
Signe évident
La grande question qui se pose maintenant, vu le grand débat sur la Conférence intergouvernementale de 1996 pour réviser et mettre l'Union à jour, est de savoir si le moment est venu de définir une politique de défense commune. La réponse est affirmative pour différentes raisons.
La première est l'adaptation de la relation transatlantique à la nouvelle réalité. Entreprise en 1991, au sommet de Rome, elle a conduit au nouveau consensus de Bruxelles en janvier 1994, avec une nouvelle façon de poser les relations Etats-Unis - Europe.
La participation du ministre de la Défense français, M. Léotard, à la récente réunion de l'Otan à Séville est un signe évident de la nouvelle relation. Sa présence, en réponse à l'invitation de son homologue espagnol, donnait la preuve de la convergence de vues des deux pays quant à leur vision respective sur la nécessité impérieuse d'un pilier européen de sécurité et de défense.
La demande insistante de rapprochement et d'ancrage de la part des pays de l'Europe centrale et de l'Est dans la sécurité exprimée dans le "Partenariat pour la paix" démontre l'importance de cette politique.
Cela implique aussi la construction d'une nouvelle relation de coopération et de collaboration avec la Russie ainsi qu'avec les autres pays européens de l'ex-empire soviétique, en tant qu'élément clef pour la stabilité du continent. Il faut aussi agir activement pour la stabilité méditerranéenne, en envisageant la sécurité dans son sens le plus large, économique et politico-culturel.
Un destin partagé
L'Union européenne est confrontée à de multiples défis, auxquels elle doit et peut apporter une réponse. Si, dans le domaine économique et monétaire, l'UME est en train de préparer le terrain pour le saut décisif à la monnaie unique, avec la participation des Douze, la prochaine phase confère à l'UEO un rôle décisif dans l'élaboration et la mise en pratique de la politique de sécurité et de défense. Il s'agit d'un travail de réflexion, d'organisation, de coordination et de planification qui doit s'intensifier pendant la phase qui commence, en partant du principe élémentaire selon lequel la politique de sécurité et de défense doit reposer sur l'adhésion et la participation des citoyens. Comme l'a dit le premier ministre français, M. Balladur, "nous devons nous attacher à donner à l'UEO une activité et une efficacité accrues"(1).
Dans toutes les institutions de l'Union - Parlement, Conseil, Commission, Cour de justice -, les drapeaux des Etats membres ondoient aux côtés du drapeau européen; il s'agit là du symbole d'un destin partagé. En matière de défense, le président Mitterrand s'est attaqué à un tabou, en faisant défiler ensemble, le 14 juillet dernier, les forces qui composent actuellement l'Eurocorps. Les forces française, allemande, espagnole, belge et luxembourgeoise ont descendu ensemble les Champs-Elysées. L'objectif est que cela puisse se faire le plus tôt possible à 12 ou à 16.
Enrique BARON
(*) Député du Parlement européen, ancien président du Parlement européen, candidat présenté par le gouvernement espagnol au secrétariat général de l'UEO.
(1) Le Figaro du 30.9.94