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Jarreau Patrick, Le Monde - 8 novembre 1994
Chirac propose un nouveau referendum sur l'UME.

LE PIEGE DU REFERENDUM

JACQUES CHIRAC RELANCE LA CONTROVERSE SUR

L'APPLICATION DU TRAITE DE MAASTRICHT.

par Patrick Jarreau

SOMMAIRE: M. Chirac a proposé, dimanche 6 novembre, l'organisation d'un nouveau référendum avant le passage à la monnaie unique, prévu dans la »troisième phase du traité de Maastricht, que les Français ont ratifié en septembre 1992. La formule avancée par le maire de Paris - qui, dans sa campagne présidentielle, entend s'appuyer largement sur M. Séguin, promoteur du » non à l'Union européenne il y a deux ans - ne peut qu'embarrasser M. Balladur.

(Le Monde, 8-11-1994)

Faute de pouvoir s'appuyer sur Charles Pasqua - lequel rappelle tous les trois jours, avec force clins d'oeil, qu'il est installé dans la posture de » celui-qui-attend-son-heure -, Jacques Chirac multiplie les prévenances flatteuses pour Philippe Séguin même s'il semble lui refuser sa succession au RPR, au bénéfice d'Alain Juppé. Le président de l'Assemblée nationale, adepte d'un gaullisme » social et populaire, héraut du » non à Maastricht il y a deux ans, est un allié d'autant plus précieux que rare. Comme tel, il a son prix. M. Chirac l'a indiqué, dimanche, en annonçant que, s'il est élu président de la République, il soumettra à un nouveau référendum le principe de la monnaie unique européenne, approuvé par les Français en septembre 1992.

Le bel édifice inauguré au printemps 1993, dans lequel tout s'imbriquait si bien qu'en quelques semaines son architecte, Edouard Balladur, était apparu comme le candidat rêvé de la droite pour l'élection présidentielle, a pris aujourd'hui un air penché. La reprise économique ne tient pas ses promesses, et, alors que les affaires ne redémarrent pas avec la vigueur espérée, les » affaires - avec guillemets ont repris, elles, de plus belle. Elles ont sérieusement fissuré la construction politique sur laquelle s'appuie la candidature du premier ministre. La position de M. Balladur est toutefois loin d'être gravement entamée.

Le dernier sondage de la SOFRES enregistre un recul de 5 points de la cote de confiance du premier ministre, mais celle-ci se situe encore à 53 %, niveau enviable pour tout chef de gouvernement après dix-huit mois d'exercice. Il reste qu'il n'apparaît plus, aujourd'hui, autant qu'à la sortie de l'été par exemple, comme un président idéal aux yeux des électeurs. Son action de premier ministre n'est pas rejetée, mais elle n'est plus perçue comme la démonstration d'une vocation incontestable à passer d'un rive de la Seine à l'autre, de l'hôtel Matignon au palais de l'Elysée. Les Français se prennent à rêver d'autre chose.

M. Chirac a saisi ce moment pour leur proposer de recommencer à nouveaux frais le débat qui avait précédé les élections législatives de 1993. De nouveau, le bilan des "deux septennats socialistes"; de nouveau, la nécessaire "rupture" avec quatorze années d'errements; comme toujours, l'appel au "redressement", mais avec une référence inhabituelle au "changement", slogan ordinairement réservé à la gauche. M. Chirac, estimant que l'électorat socialiste n'existe plus - une partie s'était détournée vers les écologistes en 1992, d'autres avaient voté à droite en 1993, le PS n'en a rassemblé qu'une fraction aux élections européennes de juin -, croit sans doute possible d'attirer à lui certains de ces orphelins que Jacques Delors, selon lui, renoncera à tenter de rassembler.

Les adversaires de l'Europe représentant, pour M. Chirac, sa cible essentielle au premier tour, le maire de Paris tente de les appâter en proposant un référendum sur l'union monétaire. La méthode rappelle un précédent qu'il n'était peut-être pas nécessaire de tirer d'un oubli mérité : en 1977, lors de la renégociation du "programme commun de gouvernement" entre le Parti socialiste et le Parti communiste, François Mitterrand, embarrassé par la question de l'armement nucléaire (le PCF s'y était déjà rallié, mais le PS pas encore), avait proposé de décider qu'un référendum, après les élections législatives, trancherait cette affaire. Cette manière de confier aux Français le soin de rédiger, après coup, le programme que l'hypothétique nouvelle majorité devrait appliquer, avait provoqué des sarcasmes.

Le respect des traités

M. Chirac s'en remet aux Français d'un choix sur lequel on pourrait attendre qu'un candidat à la présidence de la République s'engage (de même, il confie aux électeurs la durée de son mandat, en indiquant qu'il ne dissoudra pas l'Assemblée nationale s'il est élu, mais donnera sa démission en 1998 si une majorité contraire à ses voeux l'emporte aux élections législatives). Certes, le maire de Paris semble indiquer une préférence lorqu'il exprime le "regret" que le passage à la monnaie unique ne puisse se faire, selon toute vraisemblance, avant 1999, faute que les critères de convergence soient respectés par les pays concernés. En fait, le recours au référendum est une option autrement significative que ce "regret" concédé aux partisans de l'Europe : le président du RPR, qui avait pris position pour le traité de Maastricht, estime aujourd'hui que les dispositions monétaires de ce traité ne sont pas acquises et qu'elles peuvent être remises en question.

Les électeurs hostiles à la construction européenne, qu'il s'agisse de ceux qui suivent Jean-Marie Le Pen ou de ceux que Philippe de Villiers avait rassemblés en juin, sauront qu'ils ont en M. Chirac un interlocuteur compréhensif et réaliste. Le piège est destiné, en même temps, à M. Balladur. Celui-ci n'avait pas caché sa perplexité au moment de Maastricht, et on avait pu se demander, lors des négociations du GATT, quel parti il prendrait devant un dilemme entre l'Europe et les secteurs de la société française demandeurs de protectionnisme - Helmut Kohl avait fait en sorte que ce dilemme lui soit épargné.

Le premier ministre va-t-il opposer à M. Chirac le nécessaire respect des traités, au risque de s'aliéner les électeurs pour qui Europe monétaire égale Europe allemande ? Adoptera-t-il la solution du référendum, au risque de voir M. Kohl - et M. Mitterrand s'insurger contre le reniement de la parole de la France ?

Patrick JARREAU

 
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