LES PROPOS DE JACQUES CHIRAC SUR L'UNION MONETAIRE
FONT BONDIR LES PRO-MAASTRICHT.
par Nicola Gauthier
SOMMAIRE: En réclamant dimanche, un référendum avant le passage à la troisième phase de l'Union monétaire, Jacques Chirac a fait plaisir à Philippe Séguin. Et provoqué une vive réaction des centristes qui se succèdent pour condamner les propos du candidat en campagne. Pour le plus grand profit d'Edouard Balladur.
(Libération, 9-11-1994)
L'argument est toujours le même: pourquoi voter de nouveau en
1997 sur un dispositif qu'on a eu tellement de mal à faire accepter en 1992 ? Tous les responsables de la majorité se doutaient que l'Europe serait un sujet de débat dans la campagne présidentielle. Personne ne se doutait qu'il arriverait aussi vite, et aussi brutalement. En estimant que la réalisation de l'union monétaire était "probablement souhaitable, mais aujourd'hui hors d'atteinte", qu'il fallait de toute façon organiser un référendum en 1997 avant de décider quoi que ce soit, Jacques Chirac, dimanche, à 7/7, a réveillé tous les pro-Maastricht de la majorité. Matignon qualifie les propos de "gaffe", ce qui n'est pas pour lui déplaire.
Les centristes, eux, n'en reviennent pas. Pierre Méhaignerie, président du CDS et ministre de la Justice, "regrette" la décision de Jacques Chirac: "Il y a eu une décision du peuple français, je crois qu'il faut la respecter." Jacques Barrot, président de la Commission des finances et vice-président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, énumère les quatre "dangers" - "pour la démocratie, pour l'image la France, pour notre économie et pour la majorité"- qu'un nouveau référendum ferait, dit-il, courir au pays. De Bruxelles, le ministre de l'Economie Edmond Alphandéry, a expliqué lundi qu'il ne voyait vraiment pas pour quelle raison "on consulterait nouveau les Français, qui se sont déjà prononcés". L'annonce chiraquienne a même réussi à réconcilier un instant François Bayrou et Bernard Bosson, qui se disputeront dans un mois la présidence du CDS. "Nous avons eu un débat très long, très compliqué [...] on ne va pas revoter sur ce qu'on avait voté. On ne va pas relancer un débat qui couperait en deux la France"
, a remarqué le ministre de l'Education nationale, sur Europe 1. "On veut revenir sur un vote définitif du peuple français, c'est une curieuse procédure pour quelqu'un qui est pour, qui va rediviser sa majorité sur ce problème", a noté, sur la même radio, le ministre de l'Equipement.
Plutôt l'Européen Delors que Chirac
L'attachement des centristes à la construction européenne version Maastricht est indéniable. Mais il y a autre chose qui tracasse les dirigeants du CDS: "La course au soutien des anti-Maastricht est peut-être un bon calcul pour le premier tour de l'élection présidentielle. Mais raviver ces querelles, c'est affaiblir grandement l'unité de la majorité et obérer ses chances pour le second tour" analyse Jacques Barrot. "Si Jacques Chirac s'engage dans cette voie et se retrouve au deuxième tour face à Jacques Delors, il en ferait le seul européen" enchaîne Bernard Bosson.
La menace est claire. Premièrement, les démocrates-chrétiens - qui se sont autoproclamés il y a plus d'un an "garde rapprochée" d'Edouard Balladur - n'ont aucune envie de voir Jacques Chirac arriver au second tour de l'élection présidentielle. Deuxièmement, si le président du RPR arrivait à ce stade de la compétition, l'électorat du centre pourrait bien pencher du côté de Jacques Delors. Une enquête réalisée par la sofres pour le 'Monde' auprès des cadres du CDS (1) montrait que si le deuxième tour opposait Jacques Delors et Jacques Chirac, 65 % des personnes interrogées voteraient Delors, et 27 %, Chirac. C'était, il est vrai, il y a quatre ans, quand Michel Rocard officiait à Matignon.
Plus récemment, à Paris Match (25 août 1994), le non-candidat Jacques Delors confiait que, peut-être, il se déciderait à entrer dans la course présidentielle si "l'avenir du tandem franco-allemand, si important pour la construction européenne" était "sérieusemen menacé".
Nicole GAUTHIER
(1) Enquête réalisée les 20 et 21 Octobre 1990 auprès de 653 cadres du CDS réunis à la convention de Saint-Malo.