KARL LAMERS TENTE DE VENDRE LE "NOYAU DUR"
EUROPEEN A SES INTERLOCUTEURS FRANCAIS
par Nathalie Dubois
SOMMAIRE: Venu promouvoir à Paris le projet chrétien-démocrate de »noyau dur européen fédéré autour de la France et de l'Allemagne, le député allemand Karl Lamers est tombé en pleine convulsion franco-française sur l'Europe, après les déclarations de Jacques Chirac.
(Libération, 9-11-1994)
Co-auteur du document de réflexion sur l'avenir de l'Europe publié début septembre par le parti du chancelier Kohl, Karl Lamers, porte-parole pour les affaires extérieures du groupe CDU-CSU au Bundestag, arrivait avec l'espoir » que la France prenne une position claire et définitive en ce » moment critique de l'histoire européenne . Il repart ce matin avec une vision éclatante de ...la zizanie régnant dans la majorité. Malgré sa sollicitude souriante - » je suis bien conscient de l'approche de l'élection présidentielle et j'en tiens compte , l'émissaire de la démocratie-chrétienne aura pu mesurer le fossé séparant d'un côté les anti-Maastricht du RPR tels Pierre Mazeaud ou Robert Pandraud, rencontrés hier matin dans le cadre de la délégation de l'Assemblée nationale pour lUnion européenne, et, à l'autre extrême, un Valéry Giscard d'Estaing (avec qui il déjeunait lundi) ou les très pro-européens lieutenants du CDS.
Un éléphant dans un magasin de porcelaine
Karl Lamers, durant ce séjour, aura fait figure d'éléphant dans un magasin de porcelaine. Non content de souligner - avec un brin de perversité - que le chancelier Kohl venait d'être réélu en ne tenant aucun compte de » ceux qui lui conseillaient de ne pas parler de l'Europe pendant sa campagne , le porte-parole de la CDU-CSU pour les affaires extérieures a présenté la décoiffante vision allemande de l'Europe post-Maastricht à des Français de nouveau en proie au doute. Notre document, constate Lamers avec autosatisfaction, a » produit l'effet d'une bombe dans tous les Etats membres: il prône pour 1996 une révision de l'architecture européenne » inspirée du modèle de l'Etat fédéral , avec la création d'un noyau central de cinq pays (l'Allemagne, la France et le Bénélux), seul moyen, pour les Allemands, que l'Union résiste au choc de son élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale. Dernier point du plaidoyer de Lamers, » l'union monétaire est le projet clé de l'Europe , elle » est au centre de l
'union politique et » l'engagement de la France sera décisif pour aider Bonn à vaincre les fortes réticences du peuple allemand à abandonner le deutschemark. Sur ce dernier point, la proposition de référendum lancée par Chirac n'est évidemment pas pour rassurer les Allemands.
L'unisson est loin d'être faite, aussi, sur le chapitre institutionnel. Même les centristes ont renâclé, hier, à l'approche fédéraliste de Lamers, Il reste » beaucoup de travail à faire pour rapprocher les points de vue sur l'avenir des institutions européennes, affirme le député RPR Pierre Lellouche: » Faut-il que le centre de gravité (de la future architecture européenne) soit organisé autour de la Commission et du Parlement européen, comme le plaident les Allemands ? Pour les Français, tant à droite qu'à gauche, le coeur de la légitimité politique reste le Conseil des ministres .
L'humiliation d'une initiative allemande
Reste que la majorité a été secouée par le document de la CDU-CSU, un texte dont, selon Baudis, » la brutalité a au moins eu le mérite d'attirer l'attention des gouvernements et des médias . Un peu humiliée aussi, reconnaît Lellouche, de voir » une initiative de la sorte venir de l'Allemagne pour la première fois dans l'histoire de la construction européenne . Un peu énervé de se voir mettre au pied du mur, Alain Juppé, le ministre des Affaires étrangères, a réfuté, jeudi dernier à l'Assemblée, l'idée que » les autres ont une vision claire, alors que nous sommes dans le brouillard . L'idée de noyau dur construit autour du couple franco-allemand ne nous pose, sur le fond, aucun problème, ont tenu à réaffirmer hier tant le RPR Lellouche que l'état-major du CDS.
Il n'empêche que Karl Lamers a du mal à cacher que la théorie des » cercles concentriques - variante française de l'Europe à géométrie variable développée tant par Edouard Balladur que par Juppé - le laisse sur sa faim. A l'heure où Paris paraît traîner bien souvent la patte derrière » le rouleau compresseur allemand , voire tendre la main à la Grande-Bretagne, le député allemand attend » un document français, base d'un futur papier franco-allemand sur l'avenir de l'Europe. Entre la campagne présidentielle et le démarrage, début janvier, de la présidence française de l'Union européenne, » il n'est plus possible, admet Lellouche, de noyer le poisson sous un faux consensus comme en juin dernier .
Nathalie DUBOIS