par Athanasios Théodorakis (*)
SOMMAIRE: L'auteur met tout d'abord l'accent sur la nécessité d'informer les citoyens européens "pour pouvoir donner aux citoyens la possibilité de participer à l'effort commun". Il dénonce ensuite les projets d'Europe à plusieurs vitesses. Pour lui, l'intégration européenne doit rester l'affaire de tous les membres, présents et à venir et doit se fonder sur un renforcement des institutions existantes et, en particulier du "Parlement européen afin qu'il devienne un organe légiférant".
(Le Monde, le 12 novembre 1994)
Nul ne peut aujourd'hui douter de la nécessité d'une discussion ouverte et sincère sur l'avenir de l'Union européenne. Pour pouvoir donner aux citoyens la possibilité de participer à l'effort commun, il faudrait d'abord les informer. L'expérience vécue, lors de la ratification du traité de Maastricht, a prouvé aux douze Etats membres que, sans un large soutien populaire, et, par conséquent, sans la transparence des décisions, l'édifice communautaire aurait toujours à affronter des difficultés, voire des crises.
L'enjeu majeur est de se mettre d'accord sur nos objectifs. Ceux-ci ne sont-ils pas le maintien de la stabilité et de la paix, la revitalisation de la démocratie et la garantie du bien-être pour tous ? Si la Communauté s'est toujours donné de tels buts, l'Union européenne aujourd'hui doit de plus faire face aux nouveaux défis. Elle est amenée d'une part à s'adapter à la nouvelle donne, à intégrer en son sein les nouveaux pays membres. L'élargissement de l'Union est le moindre des défis auquel elle devra répondre avec courage et détermination. Car il lui faudra aussi inventer un mode de coopération avancée avec les pays d'Europe centrale et orientale et recentrer parallèlement sa politique en renforçant sa dimension méditerranéenne.
La Grèce est convaincue que les pays d'Europe centrale et orientale, les pays balkaniques ainsi que les pays méditerranéens doivent créer des liens stables et solides avec l'Union européenne. Cependant ni l'élargissement ni la coopération avec les autres Etats européens ne doivent porter préjudice aux politiques communes.
L'élargissement de la Communauté doit aller de pair avec l'approfondissement de ces politiques. Une nouvelle stratégie est nécessaire pour créer une Europe efficace, crédible et forte. Celle-ci pourrait s'articuler autour des axes suivants:
Sur le plan structurel, il faudrait d'abord renforcer les institutions communes et leur donner les pouvoirs réels de gestion des affaires communes. Il faudrait renforcer spécialement le rôle du Parlement européen afin qu'il devienne un organe légiférant. Parallèlement, la participation des Parlements nationaux au processus d'unification devrait être réexaminée dans le sens d'un contrôle parlementaire plus effectif.
Sur le plan économique, il faudrait prendre des décisions pour assurer un rapprochement économique réel entre les Etats membres. L'Union économique et monétaire ne deviendra une réalité pour le citoyen que si elle assure la cohésion sociale et économique dans l'Union.
Sur le plan politique, il est indispensable de mettre en place une politique extérieure commune ainsi qu'une politique de sécurité qui donnerait à l'Union les moyens d'intervenir de manière décisive sur la scène internationale en renforçant son prestige et sa force.
Sur le plan social, il nous faudrait imaginer des politiques nouvelles qui tiennent compte de l'évolution du marché, des changements profonds de nos sociétés et de la nécessité de trouver des réponses aux angoisses qu'éprouvent les jeunes.
L'Union européenne doit sortir du marasme et de la crise économique et sociale où elle se trouve aujourd'hui. La concurrence commerciale au niveau international et l'évolution technologique trop rapide ne cessent de changer le paysage économique et social. Il est temps maintenant de penser l'Europe en fonction de nouvelles notions-clés et non plus sur la base des concepts utilisés durant la période du bipolarisme. Ainsi, il faut prendre en considération les conséquences de la concurrence des Etats-Unis et du Japon à l'intérieur du marché unifié, la montée du chômage et le retour du racisme et de la xénophobie, sans omettre de tenir compte de l'entrée en masse dans l'Union des nouveaux réfugiés économiques (essentiellement en France, en Allemagne et en Grèce). Inutile donc de se réfugier derrière des solutions erronées qui ne tiennent pas compte de nouvelles réalités. En aucun cas il ne faudra s'éloigner des idées fondamentales d'égalité, de cohésion et de solidarité qui assurent l'adhésion des citoyens à l'e
ffort commun et par là le bon fonctionnement du système communautaire.
Pas de directoire des "grands"
Pour cela, il nous faut choisir la marche à suivre. La discussion en vue de la préparation de la conférence intergouvernementale de 1996 doit être l'occasion d'un échange de vues ouvert et franc. L'Union doit absolument éviter les divisions dangereuses. Le grand danger aujourd'hui consiste en la consécration officieuse d'un directoire ou axe des »grands pays qui rejetterait les »petits en périphérie. Le »noyau dur dont on parle actuellement aboutirait à un tel directoire. La bipolarisation Nord-Sud au sein de l'Union représenterait un autre danger. Ces dichotomies conduiraient inévitablement à l'émiettement et finalement à l'éclatement de la Communauté.
L'idée de l'Europe à deux vitesses, de l'Europe à géométrie variable, ou de celle des cercles concentriques ne peut et ne doit pas être appliquée au sein de l'Union. Il s'agit de conceptions dépassées qui se réfèrent à d'autres moments de la construction européenne. Ce dont on a besoin aujourd'hui, c'est du renforcement de l'effort commun. C'est seulement autour d'une Union européenne forte et décidée que peut s'organiser le nouveau paysage européen.
Il faut donc reposer la question en termes réalistes et concevoir l'Europe à partir d'un nouveau schéma. S'il doit exister aujourd'hui un »noyau dur en Europe, c'est celui de l'Union européenne tout entière, dotée de structures appropriées. Autour de cette entité économique et politique et en fonction des possibilités et capacités objectives des différents pays, on voit se dessiner aujourd'hui trois groupes d'Etats:
Le premier groupe, celui de l'Union européenne constituée des douze Etats (seize en principe dans trois mois).
Dans un deuxième groupe d'Etats en association avec l'Union, trouveront place les pays européens à système démocratique, ayant une économie avancée.
Les autres pays européens dont l'économie et la société ne sont pas encore adaptées aux exigences du marché et aux principes de notre culture politique constitueront un groupe en accord de coopération avec l'Union.
C'est dans ce nouveau cadre et contexte qu'il faudrait concevoir l'organisation du nouvel espace économique européen élargi du Portugal à la Russie et de la Méditerranée à la Baltique.
(*) Athanasios Théodorakis est secrétaire général aux affaires communautaires du ministère grec des affaires étrangères.