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Ageron Charles-Robert, Liberation - 16 novembre 1994
La question kabyle.

NAISSANCE ET RECONNAISSANCE KABYLES

par Charles-Robert Ageron *

SOMMAIRE: La Kabylie aspire à une véritable renaissance de son identité, au respect et à la sauvegarde de sa culture, non à la constitution d'une nation berbère et à l'éclatement de l'Algérie unitaire.

(Libération, 16-11-1994)

Lorqu'eut été écrasée en 1871 l'insurrection de la Grande Kabylie quelques militaires français annoncèrent: "Finis Kabyliae", lorsqu'en 1962 Ben Bella, de retour en Algérie, s'écria: "Nous sommes Arabes, Arabes!" bien des Kabyles s'interrogèrent: la République arabo-islamique sonnerait-elle le glas de la Kabylie? Or la Kabylie, décrite il y a peu comme "une minorité opprimée de l'Algérie indépendante" connaît une véritable renaissance.

Qui sont les Kabyles? Cette désignation n'apparaît en français qu'au début du XVIIIe siècle sous la forme "Cabayles ou Cabeilles" (chez J.-A Peysonnel en 1725), "Kabyléahs ou tribus" (chez le docteur Thomas Shaw en 1738). On les décrivait alors comme "des Africains retirés dans les montagnes" et parlant une langue spéciale différente de l'arabe. A la fin du XVIIIe siècle, J.-M. Venture de Paradis, qui connaissait bien les "Cabaïles Zewawa" publia le premier dictionnaire de leur langue ,non écrite, très pauvre, n'ayant aucun terme abstrait .

Les Kabyles, paysans montagnards qui habitaient dans de gros villages agglomérés, des maisons basses "couvertes de tuiles rouges", les Français de l'époque de la conquête les jugèrent plus roches d'eux que les "Arabes". N'étaient-ils pas laborieux et économes "comme des Auvergnats", courageux et guerriers et surtout adversaires acharnés des Arabes qui les avaient refoulés et des Turcs qui les avaient exploités.

Ces "Berbères à tête ronde" que l'on croyait,"tièdes sectateurs de Mahomet" et auxquels on prêtait une "Constitution républicaine et un gouvernement démocratique" pouvaient donc être opposés aux Arabes. Certains Kabyles appartenant à la tribu des Zouaoua ne s'étaient-ils pas engagés dès 1831 dans les troupes françaises où ils formèrent le corps des Zouaves?

Sous le Second Empire, on décida de défendre la "nationalité berbère" et de donner aux Kabyles une "organisation" spécifique fondée sur la reconnaissance de leurs assemblées élues de village (thadjmâ'ath), de leur chefs (lamin et amuqran), de leurs mandataires (tamen) et le maintien du droit coutumier fixé dans les Iqânûn... La Kabylie, "Auvergne de l'Afrique du Nord toute prête à s'assimiler au peuple français", déçut ses défenseurs en s'insurgeant tout entière contre la France en 1871 à l'appel d'un grand seigneur et d'une confrérie religieuse.

La "politique kabyle" ne fut pourtant point abandonnée dans les débuts de la IIIe République. Jules Ferry instaura les premières écoles laïques françaises en Grande Kabylie et créa la première chaire de "dialecte berbère" à l'Ecole des lettres d'Alger.

Sur le plan administratif, la "politique kabyle" qui inspira plus tard la politique berbère appliquée au Maroc, s'efforça de maintenir le peuple kabyle dans ses institutions. Par sa politique scolaire la France bloqua l'arabisation des Kabyles.

En 1950, le nombre des berbérophones atteignait environ 20% de la population algérienne. La diffusion du français avait permis la naissance d'une élite cultivée qui n'était pas pour autant acculturée. A la veille de la guerre d'indépendance, 30 % des étudiants de l'université d'Alger - la seule qui existât - était d'origine berbère. Parmi eux s'illustrèrent le poète Jean Amrouche, auteur des 'Chants berbères de Kabylie', l'écrivain Kateb Yacine et le romancier Mouloud Mammeri qui révéla à son peuple le grand poète de la langue kabyle Si Mohand Ou Mhand.

La laïcisation relative fut la conséquence inattendue de l'émigration kabyle en France. Mais, dans une perspective historique, l'émigration fut surtout une école politique. Les ouvriers kabyles, soumis d'abord à la prédication du Parti communiste, devinrent les premiers nationalistes algériens. Ce furent eux qui formèrent les troupes de l'Étoile nord-africaine puis du Parti du peuple algérien (PPA). A leur retour au pays, ces travailleurs conscients d'être politiquement en avance affirmèrent avec fierté leur nationalisme. Mais bientôt, face aux algériens arabophones, ils se découvrirent aussi régionalistes.

C'est alors que la direction du PPA de Messali Hadj, ce nationaliste arabo-islamique, prit conscience d'une possible dérive berbériste et bloqua dès 1945 l'action des militants kabyles. Ceux-ci en vinrent à revendiquer, face au slogan de l'Algérie arabe et musulmane, celui d'une "Algérie algérienne" rassemblant tous les Algériens. Certains tentèrent en vain en 1948 de créer un mouvement populaire berbère. Leur "comité d'opposition" fut brisé sous l'accusation de "berbéro-matérialiste", puis le parti PPA-MTLD et surtout sa Fédération de France furent épurés des "éléments-diviseurs saboteurs berbéristes". Parmi eux, figurait le chef de l'organisation secrète armée, Hocine Aït Ahmed, lequel s'était avoué "plus intéressé par Masinissa et Yougourtha (Jugurtha) que

par le prophète et les quatre premiers califes orthodoxes".

On remarquera, au passage, que la contestation berbère ne fut pas le fruit de la politique française, puisque la première crise berbériste sérieuse secoua le parti nationaliste le plus opposé à la France.

En tout cas, la volonté passionnée d'indépendance des Kabyles, que Jean Amrouche symbolisait par l'image de "l'éternel Jugurtha berbère" ne pouvait être mise en doute. Elle s'affirma pendant la guerre de libération. Beaucoup des chefs du FLN et de son armée, tels Abbane (Ramdane) ou Krim (Belqacem) ou les colonels Amirouche (Aït Hamouda) ou Mohand Ou el Hadj, ne renièrent jamais leur patrie kabyle en combattant pour la nation algérienne.

Après l'indépendance, les Kabyles acceptèrent parfaitement que l'lslam fût proclamé la religion de l'Etat, mais le rejet de toutes les aspirations berbères instaura immédiatement le malaise. Le parti créé par Aït Ahmed le surestima néanmoins en déclenchant en octobre 1963 une petite insurrection armée. Celle-ci fut écrasée sans ménagement par l'armée nationale populaire du colonel Boumediene et la Kabylie entière en fut durablement traumatisée.

Dans les années qui suivirent, les autorités FLN tentèrent de faire croire que la Révolution algérienne avait effacé le particularisme kabyle. La presse officielle et l'université développèrent inlassablement la théorie selon laquelle les Berbères, peuple sémitique issu du Proche-Orient, seraient d'origine arabe et que leur destinée était de se fondre dans l'arabité. El Idrissi, historien arabe du XII, siècle, n'avait-il pas écrit que "les Zanètes, censés être la tribu autochtone par excellence, étaient originellement formés d'Arabes de race pure Par suite de leur alliances avec leurs voisins, ils sont devenus Berbères"?

Des mesures répressives furent prises contre les revendications culturelles des Kabyles. L'expression publique des revendications berbères ne se manifesta que lors des événements connus sous le nom du "printemps berbère" (Tafsut) d'avril 1980. Pendant trois jours, "les trois glorieuses", de violentes manifestations animées par les milliers d'étudiants de l'université de Tizi-ouzou firent connaître le sentiment général de tous les Kabyles contre la politique d'arabisation et leur revendication essentielle: "le berbère langue nationale".

Après de nouveaux affrontements en 1981 entre intégristes musulmans et membres du collectif berbère, le FLN dénonça "ces complots contre l'unité nationale" et accusa "les impérialistes colonialistes français". Il lui fallut dix ans de louvoiements pour comprendre l'authenticité de la revendication berbère. En 1990 et 1991 seulement fut concédée la création dans deux universités, celles de Tizi-Ouzou et de Bougie, de chaires de langue et culture berbères. Le mot berbère reste pourtant ignoré de la dernière Constitution révisée en 1989.

Cette renaissance berbère, inattendue, ne s'explique probablement pas par le rôle accru des linguistes, spécialistes des langues et parlers thamazight, vu la faible diffusion de leurs écrits. C'est la culture orale kabyle qui s'est brusquement renforcée gràce au succès de la nouvelle chanson. Aujourd'hui, la chanson néo-kabyle enthousiasme et solidarise tous les milieux sociaux. Riche d'authentiques poètes, elle est devenue l'expression identitaire d'un peuple fier et sensible qui entend réaffirmer sa personnalité méconnue.

La politisation intensive depuis 1988 a pu sembler faire passer au deuxième plan la revendication culturelle. Des partis comme le Front des forces socialistes (FFS) d'Aït Ahmed ou le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) du docteur Saadi ont cru pouvoir mobiliser les Algériens de toutes les régions. Il y ont échoué. Toutefois, lors des élections de juin 1990 et de décembre 1991, ces partis ont obtenu des succès parfois importants auprès des populations kabyles. Ainsi s'est trouvée confirmée la pérennité de la distinction entre les arabophones majoritairement séduits par les partis islamistes et les berbérophones attachés avant tout à la défense de leur personnalité.

La Kabylie aspire à la reconnaissance de son identité, au respect et à la sauvegarde de sa culture, non à la constitution d'une nation berbère et à l'éclatement de l'Algérie unitaire. Seule l'instauration d'un pouvoir islamiste ou militaro-islamiste ouvertement décidé à liquider la contestation berbère pourrait provoquer le passage à une revendication nationaliste.

Charles-Robert AGERON

* historien, professeur des Universités.

DATES

- Vers 240-149 av. L-C.: Masinissa, roi des Numides orientaux (berbères), devient le plus puissant souverain de l'Afrique du nord.

- 118-105 av. J.-C.: Jugurtha, petit-fils de Masinissa, résiste à l'occupation romaine. Vaincu, il meurt à Rome dans un cachot.

- Vers 695: la Kahina (»Jeanne d'Arc berbère ) s'oppose à la conquête arabe.

- Au VIIIe siède, les Berbères se convertissent massivement à l'Islam.

- XIIIe Siècle: la dynastie berbère des Almohades parvient à réaliser l'unité de l'Andalousie et de l'Afrique du Nord.

- 1871: soulèvement kabyle contre la colonisation française.

BIBLIOGRAPHIE

- Charles-Robert Ageron, Histoire de l'Algérie contemporaine 1830-1968, »Que-sais je? , PUF.

- Benjamin Stora, Histoire de l'Algérie depuis l'indépendance, »Repères , La Découverte.

- Jean Amrouche, Chants berbères de Kabylie, L'Harmattan.

- Mouloud Mammeri, la Colline oubliée, »Folio (n· 2353), Gallimard.

- Kateb Yacine, le Poète comme un boxeur. Entretiens, 1958-1989, Seuil.

 
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