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Vernet Daniel, Balladur Edouard, Le Monde - 18 novembre 1994
L'UE SELON M. BALLADUR

par Daniel Vernet

SOMMAIRE: Pour Edouard Balladur »la construction européenne est nécessaire à l'économie française; l'Europe doit affirmer son identité; celle-ci ne se construira pas contre les Etats ou les nations. Ce qui n'exclut pas des propositions nouvelles quant à l'architecture de l'Europe. Celle-ci devrait, selon Balladur, s'articuler autour "de trois cercles concentriques, le plus vaste regroupant les Etats ayant vocation à adhérer un jour à l'UE, le deuxième comprenant les pays membres engagés dans la défense de l'acquis communautaire, le cercle central réunissant ceux qui »veulent aller plus loin dans l'intégration." En ce qui concerne les relations avec la Russie et les autres pays héritiers de l'ex-Urss, Edouard Balladur voit dans "la CSCE, complétée par le »partenariat pour la paix et renforcée par le pacte de stabilité" un instrument politique suffisant. (Le Monde, le 18 novembre 1994)

Le calendrier de l'Union européenne comme les péripéties de la politique intérieure obligent Edouard Balladur à clarifier ses positions sur l'Europe, s'il ne veut pas laisser le champ libre aux Allemands chez les Douze, au candidat éventuel de la gauche en France et aux adversaires de l'intégration au sein de la droite. En tant que premier ministre, il devra contribuer au programme de la présidence française de l'UE, qui commence le 1er janvier; la tâche s'avère délicate puisqu'il lui faudra tenir compte à la fois des dernières volontés de François Mitterrand en la matière et des réflexions d'un Quai d'Orsay dirigé par un des lieutenants de Jacques Chirac, elle devient encore plus difficile face à ce même candidat Chirac, qui, en annonçant un référendum sur la monnaie unique, a clairement recherché les faveurs des »eurosceptiques .

Edouard Balladur doit satisfaire ses partisans, qui ont approuvé le traité de Maastricht, sans se couper d'alliés potentiels qui l'ont rejeté. Comment se concilier ceux qui veulent approfondir l'intégration européenne comme le chancelier Kohl et ses amis y invitent la France, et ceux qui retrouvent les sirènes du nationalisme ?

Cet exercice d'équilibrisme relèvera de l'exploit si Jacques Delors se lance dans la course sous la bannière bleue étoilée, car l'Europe pourrait alors devenir le nouveau critère d'aménagement du paysage politique français.

Le chef du gouvernement procédera à un premier tour d'horizon sur la présidence française au cours d'un comité ministériel le jeudi 17 novembre, avant d'exposer ses vues le lundi 21 à Paris, à l'occasion d'un colloque organisé par la Fondation du futur de son ami Jacques Baumel et par la Fondation Konrad-Adenauer, puis dans un débat au Parlement début décembre.

Jusqu'à présent, Edouard Balladur a été très discret sur ce sujet, et la tentation qu'il a brièvement éprouvée de prôner l'abstention au référendum sur Maastricht en 1992 était dictée plus par le souci (déjà) de ne pas casser le mouvement gaulliste que par la volonté de défendre des convictions. En 1993, lors d'un colloque consacré à Georges Pompidou et l'Europe, il a esquissé quelques lignes générales tout en rendant hommage à son ancien patron: »La construction européenne est nécessaire à l'économie française; l'Europe doit affirmer son identité; celle-ci ne se construira pas contre les Etats ou les nations. Ce sont des vérités premières qui, énoncées ainsi, ne risquent pas de créer des clivages, mais qui restent trop vagues pour servir de politique.

Aussi le premier ministre veut-il afficher des idées précises sinon novatrices dans quatre domaines qui apparaissent comme des exercices obligés de tout examen de passage européen: la croissance, l'emploi, la monnaie et sur ce dernier point il aura, en la personne d'Yves Thibault de Silguy, un relais et un informateur de premier ordre à la Commission de Bruxelles; l'identité européenne qu'il veut affirmer aussi bien dans la culture que dans les relations commerciales (fort de son succès dans les négociations du GATT) la réforme des institutions et enfin la politique de sécurité.

La réforme institutionnelle va occuper l'UE au cours des prochains mois, avec la préparation de la conférence intergouvernementale de 1996. Noyau dur, cercles concentriques, Europe à plusieurs vitesses ou Europe à la carte, toutes les figures possibles sont imaginées pour lier l'approfondissement que certains appellent de leurs voeux (il s'agit là aussi de renforcer l'identité européenne) et l'élargissement auquel tout le monde s'est rallié bon gré mal gré. Edouard Balladur lui-même a parlé de trois cercles concentriques, le plus vaste regroupant les Etats ayant vocation à adhérer un jour à l'UE, le deuxième comprenant les pays membres engagés dans la défense de l'acquis communautaire, le cercle central réunissant ceux qui »veulent aller plus loin dans l'intégration.

La coopération entre gouvernements

Ce groupe restreint se distingue cependant du »noyau dur propose par les Allemands; tous ses membres ne seraient pas obligés de participer à toutes les politiques intégrées, mais pourraient »aller plus loin qui dans le domaine monétaire, qui pour la défense, qui pour l'immigration. Ce schéma a l'avantage de ne pas exclure d'emblée des grands pays (comme la Grande-Bretagne) ou des membres fondateurs du Marché commun (comme l'Italie), et de ne pas laisser la France seule face à face avec l'Allemagne.

Pour concilier élargissement et efficacité des prises de décision, il faut aussi revoir les procédures de vote au Conseil, peut-être en augmentant le poids des »grands sans choquer les »petits , ne pas grossir indéfiniment le nombre des commissaires, même si de nouveaux membres viennent rejoindre l'Union européenne, étant entendu qu'en toute hypothèse, l'approfondissement de l'intégration passera par la coopération intergouvernementale et non par un accroissement des pouvoirs de la Commission.

Dans le même but de fortifier l'Etat-nation face aux instances supranationales - le mot de fédéralisme employé par les chrétiens-démocrates allemands est devenu un chiffon rouge même pour les centristes français -, l'articulation entre le Parlement européen et les Parlements nationaux ne devrait pas aboutir à un renforcement des compétences du premier mais à une augmentation des moyens de contrôle des seconds, qui ont »entre leurs mains la légitimité profonde (Edouard Balladur au colloque Pompidou).

Pour ce qui concerne l'action extérieure de l'Europe, le chef du gouvernement semble considérer qu'une politique commune est plus facilement envisageable pour la défense et la sécurité que pour la diplomatie proprement dite. L'association des pays d'Europe centrale à l'UEO offre la possibilité de considérer dans son ensemble la sécurité du continent, pour aboutir à un Livre blanc sur la défense européenne qui pourrait être adopté à un sommet de l'UEO. Pour les actions concrètes, la géométrie variable s'impose aussi au sein de cette organisation, afin de ne pas braquer inutilement tel ou tel membre qui miserait encore sur l'atlantisme, et de pouvoir développer, avec ceux qui le veulent, les instruments de planification, les moyens de renseignement et la logistique, créer en fonction des objectifs - humanitaires dans un premier temps - des unités multinationales sur le modèle de l'Eurocorps (avec les Allemands, les Belges, les Luxembourgeois et les Espagnols), de la Force d'action rapide (avec les Espagnols et

les Italiens) ou du commandement aérien (avec les Britanniques qui sont également des interlocuteurs pour les forces nucléaires); tels sont les axes d'une relance de l'UEO, qui ne devrait apparaître comme une provocation ni pour les Etats-Unis ni pour les Européens soucieux de les ménager.

Deuxième pôle autour de la Russie

Comment répondre aux gaullistes intégristes qui, sans craindre les contradictions, veulent une Europe à la fois cohérente et ouverte vers la Russie ? Comment éviter en même temps une Europe attrape-tout et un rejet de la Russie et des Etats qui n'ont manifestement pas vocation à faire partie de l'Union européenne? La CSCE, complétée par le »partenariat pour la paix et renforcée par le pacte de stabilité cher à Edouard Balladur, est parfois considérée, malgré ses lourdeurs et ses carences, comme le lieu idéal d'une concertation entre l'UE et sa zone d'attraction d'une part, la Russie et son »étranger proche d'autre part.

L'idée peut séduire les diplomates en quête d'une Europe où la Russie aurait sa place sans avoir un droit de regard sur l'Union européenne ni un droit de veto sur la liste de ses membres; une Europe qui ne rejetterait pas la Russie - avec le risque d'y encourager les courants nationalistes mais ne prendrait pas pour argent comptant ses déclarations de bonne volonté de celle-ci ...

Ce ne sont sans doute pas des thèmes avec lesquels on gagne une élection présidentielle, mais avec des troupes divisées sur l'Europe et face à un adversaire qui serait un familier de dix ans des arcanes communautaires, ce sont des thèmes sur lesquels on peut la perdre.

 
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