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Jelev Jelio, Kovacs Stephane, Le Figaro - 21 novembre 1994
Jelev sur l'adhésion de la Bulgarie à l'UE.

JELIO JELEV * : "L'EUROPE N'A PAS DE STRATEGIE"

INTERVIEW DE J. JELEV

par Stephane Kovacs

SOMMAIRE: Le président bulgare, qui pousse son pays à adhérer à l'Union européenne et à l'Otan, redoute une extension du conflit dans l'ex-Yougoslavie.

(Le Figaro, 21-11-1994)

LE FIGARO. - Vous souhaitez adhérer à l'Union européenne, pourquoi ?

Jelio JELEV. - Adhérer à l'Union européenne, pour tous nos pays nouvellement libérés du communisme, représente une garantie d'irréversibilité du processus des réformes. Ces pays auraient du mal à effectuer cette difficile transition vers l'économie de marché sans l'aide européenne.

- Devant l'impuissance de l'Union européenne face au conflit en ex-Yougoslavie, n'êtes-vous pas un peu sceptique quant aux garanties de sécurité qu'elle pourrait vous offrir ?

- Une fois que la Bulgarie aura adhéré à l'Union européenne et à l'Otan, elle aura toutes les garanties de sécurité.

- Vous avez dit, il y a quelques années, que si l'Europe ne faisait pas tout son possible pour européaniser les Balkans, les Balkans arriveront à balkaniser l'Europe...

- C'est déjà fait en partie, hélas ! Il est dans l'intérêt de l'Europe de trouver une solution pour les Balkans, une sorte de plan Marshall pour mieux rattacher ces pays au continent et les stabiliser. C'est pourquoi je dis : "Européanisez-nous vite, pour ne pas vous balkaniser".

- La France a-t-elle un rôle à jouer dans votre intégration à l'Union européenne ?

- A partir de janvier, la France assurera la présidence de l'Union européenne. Elle pourra soutenir efficacement la candidature d'un pays francophone comme la Bulgarie.

- Pensez-vous, comme M. Mladenov - le dernier président communiste - que l'Occident a égoïstement » tourné le dos à la Bulgarie ?

- C'est excessif. Mais l'attention accordée aux Balkans n'est pas suffisante. L'Europe n'a pas de stratégie pour les Balkans. On a l'impression que les Européens agissent un peu en pompiers : ils éteignent l'incendie puis s'en vont.

- Où en est la Communauté de la mer Noire (1). N'y a-t-il pas contradiction entre intégration régionale et intégration européenne ?

- Au contraire, ce type de coopération régionale permet à nos pays de se stabiliser économiquement plus rapidement pour satisfaire aux critères européens. Mais notre objectif prioritaire reste l'intégration à l'Union européenne.

- Votre voeu d'adhérer à l'Otan est-il motivé par la proximité d'une ex-URSS éclatée et instable ?

- Nous ne nous sentons pas menacés par un pays en particulier. Mais si, par exemple, le conflit en Yougoslavie s'étend, sur qui pourrons-nous compter ? La Bulgarie a une armée de 100 000 hommes. Elle serait incapable de s'opposer à l'armée turque s'il le fallait.

- La Bulgarie a une frontière commune avec l'ex-Yougoslavie. Voyez-vous une issue au conflit qui se déroule à vos portes ?

- Je suis plutôt pessimiste. Je ne vois pas de solution durable pour bientôt. En tant que voisins, nous souhaitons que ce conflit s'achève le plus vite possible. Car nous en subissons les conséquences : l'embargo nous a coûté environ 5 miliards de dollars. La Bulgarie est désormais classée dans le groupe des pays à hauts risques pour les investisseurs étrangers. Enfin, nous assistons à un développement de la criminalité organisée et des trafics.

- Comment vous situez-vous par rapport à ce conflit ?

- Dès le début, nous nous sommes fermement engagés à ne pas intervenir militairement, ni même à envoyer des Casques bleus en Bosnie. Nous avons insisté auprès de tous les pays balkaniques, et de tous les voisins, afin qu'ils ne s'impliquent dans le conflit. Malheureusement, la Turquie n'a pas respecté cela, elle a envoyé des Casques bleus.

- Quel bilan tirez-vous des réformes économiques entreprises depuis cinq ans ?

- Les réformes économiques n'ont pas assez avancé. Environ 50 % des terres ont été restituées à leurs anciens propriétaires. Les privatisations ont pris beaucoup de retard : elles n'ont concerné que 10 à 15 % des entreprises d'Etat.

- Comment expliquez-vous le retour probable des ex-communistes aux élections du 18 décembre prochain ?

- Ce n'est pas encore fait. La Bulgarie est un pays imprévisible ! Même si les ex-communistes reviennent au pouvoir, il leur sera impossible d'interrompre le processus des réformes. Car le président, lui, reste en place !

Propos recueillis à SOFIA par Stephane KOVACS

(1) Albanie, Grèce, Russie, Bulgarie, Turquie, Moldavie, Ukraine, Géorgie, Azerbaïdjan, Arménie.

* Né en 1935, cet ancien professeur de philosophie symbolise aux yeux des quelque 9 millions de Bulgares le rejet du régime communiste. Elu en août 1990 à la tête de l'Etat par un Parlement à majorité socialiste - ex-communiste. Il sera confirmé, deux ans plus tard, par le suffrage universel.

 
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