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Seguin Philippe, Le Figaro - 7 dicembre 1994
Séguin sur l'UE.

POUR UN MEMORANDUM FRANCAIS SUR L'EUROPE

par Philippe Séguin *

SOMMAIRE: A la veille du sommet d'Essen et avant la présidence française de l'Union, Philippe Séguin formule, dans la perspective de l'élection présidentielle, ses propositions pour une relance de l'Europe.

(Le Figaro, 7-12-1994)

L'Europe occupera une place centrale dans le prochain septennat, dont elle déterminera largement la réussite ou l'échec. Or le débat qui a opportunément commencé à s'engager reste caractérisé par une certaine confusion, liée à un trop grand nombre d'imprécisions et d'ambiguïtés.

L'Allemagne et le Royaume-Uni ont, au moins implicitement, proposé leur propre modèle d'évolution de l'Union; mais l'idée d'un noyau dur fondé sur la monnaie unique, commune celle d'une Europe à plusieurs vitesses, présentent le risque commun d'approfondir, par des voies différentes, les clivages politiques et les inégalités de développement sur le continent européen.

Il revient donc à la France de déterminer sa propre vision de l'Europe et de proposer à ses partenaires une dynamique nouvelle qui repose sur un projet politique clair et mobilisateur. Cette relance européenne, qui pourrait prendre, le moment venu, la forme d'un mémorandum, ne pourra éviter la prise en considération de deux grands principes:

- Le traité de Maastricht a été régulièrement ratifié et s'impose donc à tous les Etats signataires, ainsi, cela va sans dire, qu'à tout responsable public ; pour autant, il n'est pas immuable : l'article N-2 du traité, qui prévoit "qu'une conférence des représentants des gouvernements des Etats membres sera convoquée (...) pour examiner (...) les dispositifs du présent traité pour lesquels une révision est prévue", offre en effet une occasion historique de faire évoluer l'Union en fonction de la nouvelle donne européenne et conformément aux aspirations des peuples ; chacun doit comprendre que ce n'est pas le calendrier de l'UEM qui doit s'imposer à celui de la révision institutionnelle, mais celui de la réforme institutionnelle, qui devrait s'imposer à la mise en oeuvre de l'UEM.

- Dans le même temps, la triple nécessité d'une démocratisation de l'Union, d'une ouvertu ers les nouvelles démocraties et de la priorité que doit constituer la lutte contre le chômage, a fait l'objet d'une prise de conscience générale, qui s'est notamment traduite par l'adoption d'une initiative européenne de croissance lors du sommet d'Édimbourg (décembre 1991), par l'approbation d'un livre blanc sur la croissance, la compétitivité et l'emploi, lors du sommet de Bruxelles (décembre 1993), par la reconnaissance de la vocation à l'adhésion des pays de l'Est lors du sommet de Copenhague (juin 1993), par une opportune relance du débat sur les enjeux politiques de l'Europe.

De ces principes découlent plusieurs certitudes : les trois grandes questions de la réform e institutionnelle, de la préparation de la monnaie unique et de l'ouverture à l'Est, sont liées; l'échéance de la révision de 1996 est donc a clé des différents débats européens, qu'il s'agisse de l'Union économique et monétaire ou de l'élargissement; et la présidence française sera déterminante pour l'engagement de cette réforme. Ainsi, quelles que soient les contraintes liées à la prochaine élection présidentielle, il est indispensable que notre pays aborde l'année 1995 avec une stratégie européenne nettement arrêtée. Cette stratégie doit être élaborée en prenant appui sur les principes fondateurs de l'Union, en proposant une méthode de négociation, en définissant les priorités européennes de la France sur les trois sujets majeurs que sont les futures institutions de l'Union, la mise en oeuvre de l'Union économique et monétaire, la recherche d'une organisation de sécurité propre au continent européen.

I- Dépasser le schéma fédéraliste

Les pères fondateurs de l'Europe entendaient promouvoir la sécurité, la stabilité et la prospérité sur le continent européen, en constituant à terme des Etats-Unis d'Europe. L'idéal fédéraliste correspondait à la situation d'une Europe divisée par le Rideau de fer et enjeu de la rivalité des deux superpuissances, d'une part, à la volonté de réconcilier la France et l'Allemagne, condition première de la reconstruction du continent, d'autre part.

La méthode privilégiée consistait, par des transferts de compétences progressifs à créer un basculement irréversible vers une Europe intégrée.

Les motivations qui inspirèrent dès 1945 des hommes tels que, Jean Monnet, Robert Schumman, Konrad Adenauer, Alcide De Gasperi, Paul-Henri Spaak, demeurent plus actuelles que jamais : la montée du chômage souligne la nécessité d'une coordination accrue des politiques économiques ; la crise de l'ex-Yougoslavie, en démontrant l'inexistence et l'impuissance de l'Europe sur le plan diplomatique et militaire - alors même que toutes les valeurs sur lesquelles elle est construite se trouvent bafouées -, marque l'impérieuse urgence d'une organisation européenne de sécurité.

Parallèlement, l'éclatement de l'empire soviétique et le démantèlement du système des blocs ont profondément bouleversé les conditions de la sécurité en Europe : jusqu'en 1989, celle-ci était largement fondée sur la garantie américaine et sur la dissuasion nucléaire; depuis 1989, si la menace d'une agression brutale venue de l'URSS a disparu, les risques pesant sur l'Europe se sont multipliés et diversifiés (réveil des nationalismes, problèmes de minorités nationales, antagonismes religieux, dangers technologiques, organisations criminelles), tandis que les Etats-Unis, sous la pression d'une opinion publique de plus en plus gagnée à l'isolationnisme, poursuivaient leur retrait. Cette prise de distance américaine vis-à-vis de la sécurité en Europe a été illustrée par le refus d'intervenir en ex-Yougoslavie, puis par des initiatives tendant à une levée de l'embargo sur les armes, dont les conséquences déstabilisatrices ont été immédiates et tragiques.

Il est donc clair que si la sécurité et la prospérité des pays européens doivent plus que jamais constituer la priorité des Etats de l'Union, comme de leurs partenaires européens, la méthode retenue pour la construction communautaire est désormais caduque. Les débats sur la ratification du traité de Maastricht, en portant pour la première fois la question européenne devant les peuples, ont clos le cycle ouvert au début des années 50 : l'Europe devra dorénavant se démocratiser, en cessant de se résumer pour une trop grande part à un système technocratique; elle devra surtout rompre avec un modèle fédéral qui se trouve en complète contradiction avec le réveil des nations, rendu possible par la disparition de l'empire soviétique. Si ce réveil présente parfois des formes violentes, voire catastrophiques dans le cas yougoslave, il n'en est pas moins d'abord l'expression d'un désir de souveraineté, d'une volonté de retrouver une maîtrise de ses propres affaires, qui est constitutive des idéaux démocratiques de l'E

urope. Mais l'Europe ne doit pas davantage se réduire à une vaste zone de libre-échange, dont le principe même méconnaîtrait les acquis et l'originalité de la construction communautaire.

A la notable exception de Jacques Delors, la plupart des responsables publics français s'accordent pour récuser - avec, il est vrai, plus ou moins de netteté - l'idée d'une Europe fédérale; il convient à présent d'en tirer toutes les conséquences, tant sur les principes de fonctionnement de l'Union que sur ses priorités futures.

II- Pour un » discours de la méthode européen

Le débat sur Maastricht et le relatif consensus qui s'est dégagé à la faveur des débats sur la nécessaire démocratisation des institutions européennes, la prise en compte de l'emploi et l'ouverture à l'Est, doivent contribuer à l'émergence d'une nouvelle méthode pour relancer l'Union européenne.

1. L'enjeu capital de la conférence de 1996 est à chercher dans la définition d'un nouveau projet politique européen, apte à prendre le relais de la dynamique initiale des pères fondateurs. Il ne s'agit pas seulement d'agréger les capacités des pays européens pour peser sur le jeu mondial et se prémunir contre certains excès de la compétition économique internationale; il s'agit surtout de définir et de préserver les valeurs qui distinguent l'Europe du reste du monde. Au-delà des références fondamentales à la démocratie, à la paix et à l'économie de marché, trois exigences sont à la base de cette spécificité : le sens de l'égalité et de la solidarité, l'équilibre entre la loi de marché et la protection sociale, le souci de protéger tant la diversité des cultures que l'environnement, L'ensemble de ces principes pourrait être inscrit dans une charte de l'Union, qui symboliserait l'identité européenne et à laquelle chaque pays candidat devrait adhérer.

2. Le primat du politique sur le technocratique constitue la clé de la démocratisation de l'Union, ce qui implique dès lors que la tentation fédérale a été récusée, dès lors qu'on entend ne pas bâtir l'Europe contre les Etats, de jouer un rôle directeur au européen et au Conseil des ministres d'une part, de grer les Parlements na premiers détenteurs de la légitimité démocratique, procédures de décision communautaire d'autre part la réintégration doit se traduire dans un premier temps par une implication active et directe des Parlements nationaux dans la révision institutionnelle des traités, et ce dès la phase initiale des négociations, ainsi que leurs présidents l'ont collectivement souhaité.

3. L'acquis communautaire, résultat de transferts de compétences exclusives (l'Union douanière avec le principe fondamental de la préférence communautaire, la politique agricole commune et la pêche) et de l'exercice de compétences partagées (la coordination des politiques économiques et sociales), doit impérativement être préservé. C'est dans cet acquis, et non dans un groupe d'Etats qui a évolué et évoluera encore, que réside le véritable "noyau dur" de l'Union.

Les compétences transférées doivent obéir au principe de subsidiarité, qu'il conviendra de définir de manière précise et formelle, afin que l'Union n'exerce pas des compétences qui sont plus efficacement remplies par les Etats membres. En aucun cas la subsidiarité ne doit par ailleurs être le prétexte à établir des relations directes entre les collectivités territoriales et l'Union.

4. La révision institutionnelle constitue ainsi à la fois le préalable et la condition pour l'adhésion de nouveaux membres. L'Union ne doit pas se retrouver à l'avenir dans la situation présente, où son élargissement constitue une menace directe de blocage d'institutions qui, conçues pour six, adaptées à la marge pour douze, sont vouées à l'implosion à quinze. Dès lors que le principe de l'élargissement aux nouvelles démocraties de l'Est et aux îles méditerranéennes a été acté, ces futurs membres doivent être associés à la révision institutionnelle de 1996 - fût-ce par des procédures parallèles à la négociation principale.

5. L'Europe ne continuera à progresser que dans la mesure où le couple franco-allemand restera la garantie de son unité et de son progrès. L'Allemagne réunifiée, dont la sincérité de l'engagement européen est incontestable, mérite que l'on quitte le domaine de la célébration des bonnes relations réciproques, derrière laquelle risquent de naître de vraies divergences, pour traiter, sur une base égale, des problèmes politiques du continent européen. C'est précisément parce que l'Allemagne est pleinement souveraine que la France doit lui proposer un véritable dialogue politique portant sur les divergences qui peuvent légitimement intervenir entre les deux pays : la France doit s'engager à progresser dans la voie de l'Union telle qu'elle a été définie lors de l'approbation du traité de Maastricht, ce qui suppose l'arrêt de la vertigineuse spirale des déficits et de la dette publics; à l'inverse, l'Allemagne doit clairement renoncer à une vision fédéraliste qui n'est plus d'actualité, intégrer la dimension médite

rranéenne et africaine de l'Europe, qui constitue le pendant de l'ouverture vers le Nord et l'Est, enfin et surtout tirer les conclusions pratiques de la nécessité d'une Europe de la défense, tant en termes d'organisation des forces qu'en termes de budgets.

Ce dialogue n'a par ailleurs aucune vocation à demeurer exclusif. Il serait souhaitable que la coopération entre la France et le Royaume-Uni fasse l'objet d'un approfondissement parallèle, notamment sur les questions de défense et de sécurité, à propos desquelles la convergence des préoccupations est naturelle, au fur et à mesure que la solidarité européenne prendra le pas sur les liens transatlantiques.

III- Des futures institutions européennes

Le fait d'écarter l'option d'une Europe fédérale conduit à mettre en cause le vieux schéma selon lequel la Commission serait l'ébauche du gouvernement de l'Union, le Parlement européen s'arrogeant progressivement les prérogatives d'une chambre basse, alors que le Conseil des ministres, représentant les Etats, aurait vocation à se transformer en Sénat des nations. Il n'en laisse pas moins subsister le problème de la démocratisation de l'Union, qui est d'autant plus important que les compétences partagées s'accroissent.

Pour éviter les contradictions potentielles entre l'élargissement et le transfert des pouvoirs vers des organes technocratiques placés hors de toute responsabilité politique et de tout contrôle démocratique, il convient que chacun retrouve son rôle : au Conseil européen et au Conseil des ministres d'assumer pleinement la direction politique de l'Union; à la Commission, dont le nombre de membres doit être réduit, de proposer puis - après la décision politique - d'exécuter; aux Parlements nationaux d'exercer collectivement le contrôle sur l'élaboration des normes européennes, avec le Parlement européen.

1. Dès lors qu'il assume clairement la responsabilité politique suprême de l'Union, le Conseil européen doit être réuni avec une fréquence très supérieure au rythme d'une à deux convocations par semestre qui prévaut en période habituelle; dans un premier temps, le Conseil européen pourrait se réunir tous les deux mois. Le corollaire de cette réforme consisterait à élire un président du Conseil de l'Union pour une durée qui pourrait être de deux ans et demi, tandis que la présidence des différents Conseils des ministres serait répartie entre les divers Etats membres qui joueraient un rôle pilote dans chacun des domaines de compétence.

Parallèlement, le renforcement du rôle du Conseil des ministres est indispensable. Pourraient notamment y contribuer le partage du pouvoir d'initiative avec la Commission et la réforme de l'actuelle présidence tournante. Celle-ci engendre en effet l'impuissance du pouvoir politique et contribue à conférer la réalité du pouvoir à l'organe administratif qu'est la Commission.

Les règles de vote doivent également être amendées afin d'éviter que des minorités de circonstance et des coalitions hétéroclites ne bloquent systématiquement l'action de l'Union. Le vote à la majorité peut assurer une prise de décision efficace, dès lors que l'unanimité et le droit de veto au Conseil européen se trouvent maintenus pour des sujets sensibles comme la politique étrangère et la sécurité. Dans cette perspective pourrait être envisagée l'instauration d'une double majorité prenant en compte à la fois les Etats et leurs populations.

Il serait alors justifié que le représentant permanent, pivot du système et garant de sa cohérence, soit un ministre à part entière, membre du gouvernement. Il siégerait à tous les conseils des ministres de l'Union, éventuellement aux côtés du ministre technique compétent.

2. La Commission doit être recentrée, outre sa fonction de gardienne des traités, sur son rôle de secrétariat administratif, d'organe de proposition et d'exécution des décisions du Conseil. Afin d'assurer la cohérence des décisions de l'Union et de leur application, il conviendra :

- de regrouper au sein de la .Commission l'ensemble des agences qui en constituent des démembrements ;

- de faire évoluer l'actuel système de désignation des commissaires, qui, à la suite des élargissements successifs, aboutirait à un collège de près de 35 membres voué à l'inefficacité; dès lors que la Commission est clairement réorientée vers sa mission administrative, rien ne s'oppose à une diminution du nombre de commissaires, soit que chaque pays ne désigne plus qu'un seul commissaire, soit que les grands pays, s'ils président à tour de rôle le Conseil européen, s'abstiennent en contrepartie de désigner un commissaire.

3. Les Parlements nationaux et le Parlement européen participeraient conjointement à l'élaboration de la norme communautaire, dans les domaines ressortant des compétences législatives, domaine qui serait défini en commun à l'occasion de la réforme institutionnelle.

Les Parlements nationaux joueraient collectivement le rôle d'une chambre basse, et le Parlement européen celui d'une chambre haute. Cette évolution est la conséquence inéluctable de la rupture avec le schéma fédéraliste. Dès lors que la Commission n'a pas vocation à constituer un gouvernement, le Parlement européen ne peut en effet revendiquer le monopole des fonctions législatives et de contrôle. En revanche, l'originalité de la construction institutionnelle, que caractérise son dualisme, justifie une organisation bicamérale.

Au terme de la procédure communautaire, le texte arrêté par le Conseil des ministres serait transmis aux Parlements nationaux, qui disposeraient d'un délai d'un mois pour statuer, faute de quoi il serait considéré comme tacitement accepté. Durant l'ensemble de cette procédure, chaque Parlement nationaux bénéficierait d'autant de voix que son gouvernement au sein du Conseil.

Deux conséquences supplémentaires résulteraient de cette mutation:

- la responsabilité politique de la Commission devant le Parlement européen, qui se traduit par l'approbation de ses membres et par un pouvoir de censure n'aurait plus lieu d'être, s'agissant d'un organe administratif;

- les Parlements nationaux renforceraient parallèlement leur contrôle sur la politique européenne conduite par les gouvernements des Etats membres, à l'instar du dispositif mis en place en France dans le cadre de l'article 88.4 de la Constitution.

IV - Légitimer l'Union économique et monétaire

La révision institutionnelle de 1996 offre l'occasion de réaménager le dispositif de l'Union économique et monétaire, afin de tenir compte des critiques qui se sont exprimées, qu'il s'agisse du déficit démocratique, de la réintégration dans les objectifs assignés de l'emploi et de la lutte contre le chômage, des relations entre les pays membres de l'UEM et les pays destinés à la rejoindre. Dès lors qu'on fait de la révision Institutionnelle un préalable, sa réussite peut clarifier - et légitimer - le processus d'unification monétaire. D'autant que rien ne s'oppose à ce que les critères de convergence eux-mêmes fassent l'objet d'une révision, comme cela vient d'être proposé.

La thématique du noyau dur, dans l'acception qui désigne un nombre limité de pays susceptibles de participer à l'UEM, doit être renversée : l'Europe du XXI siècle ne peut reposer sur quelques critères monétaristes imposant une logique d'exclusions successives; elle doit au contraire chercher à aménager le cadre économique le plus favorable à la réunification du continent.

1. La monnaie unique ne constitue pas seulement de la part des Etats qui participeront à son mécanisme un abandon de souveraineté; elle aura des conséquences multiples sur la vie des peuples et sur les choix de politique économique des gouvernements, qui seront conduits à aligner la gestion des finances publiques et des systèmes de protection sociale. Afin de vérifier l'adhésion effective des nations concernées à ce niveau supplémentaire de solidarité, une consultation des Parlements ou des peuples intéressés doit pouvoir être organisée par les Etats qui le souhaiteront, avant le passage à la troisième étape de l'UEM.

2. La démocratisation de l'UEM passe par le contrôle de la future Banque centrale européenne par un organe politique. Cette responsabilité pourrait prendre la forme d'un rapport trimestriel sur la politique économique et monétaire de l'Union qu'elle adresserait aux Parlements nationaux et au Parlement européen. Ceuxci pourraient disposer d'un pouvoir d'alerte et de recommandation. En cas de conflit persistant, il pourrait revenir, dans des conditions à déterminer strictement, au Conseil européen de trancher.

3. L'emploi et la lutte contre le chômage devraient être réaffirmés parmi les objectifs assignés à la Banque centrale européenne (article 105 du traité). Parallèlement, l'activité et la lutte contre le chômage devraient figurer au nombre des critères de convergence (article 109-J du traité). Cette proposition rejoint l'analyse que portent sur l'économie européenne les marchés financiers, marchés qui ont sanctionné l'irréalisme d'une politique économique réduite à la monnaie, à l'exclusion de toute préoccupation liée à l'emploi. On ne peut par ailleurs refuser d'envisager la mise en oeuvre de politiques industrielles européennes, alors que la monnaie fait l'objet d'une gestion commune.

4. Afin d'éviter que la mise en oeuvre de la troisième phase de l'UEM, c'est-à-dire le passage à la monnaie unique, ne se traduise par des écarts croissants entre le niveau de développement des pays européens selon qu'ils participent ou non à son mécanisme, les nouvelles démocraties de l'Est se verraient reconnaître un statut d'observateurs au sein de la Banque centrale européenne.

5. L'un des enseignements majeurs des crises monétaires qui ont succédé à la ratification du traité de Maastricht, comme des négociations du cycle de l'Uruguay, fut de souligner le lien majeur qui existe désormais entre les échanges de biens et de services d'une part, les fluctuations monétaires d'autre part. Il convient dès' lors d'associer directement l'évolution vers la monnaie unique et l'élaboration d'une politique commerciale commune cohérente et crédible.

V - Faire aboutir l'Europe de la sécurité

L'approfondissement de l'Union est indissociable de la création d'un ensemble politique plus vaste traitant de la sécurité du continent. L'heure n'est plus aux "petits pas" vers une Europe de la défense et de l'armement; au moment où la crise de l'ex-Yougoslavie démontre à la fois là réalité du retrait américain et la gravité des risques qui pèsent sur la sécurité du continent, s'impose l'expression d'une volonté politique, de choix stratégiques, de dispositifs opérationnels clairs. On constate par ailleurs une évolution réelle de nos partenaires, notamment l'Allemagne et le Royaume-Uni, qui sont de plus en plus sensibles et ouverts à la nécessité d'une défense européenne.

Le maintien de la sécurité en Europe exige désormais la constitution d'une force militaire européenne propre, dont le support doit être l'Union de l'Europe occidentale, et par la création, à terme, d'une organisation de la Grande Europe rassemblant tous les pays du continent - dont la Russie - et dotée d'un Conseil de sécurité européen.

1. L'Europe doit tirer toutes les conséquences de la paralysie de l'Otan dans l'ex-Yougoslavie. Il n'est en effet plus possible qu'elle continue d'accepter une tutelle politique des Etats-Unis, alors même que ceux-ci ne disposent plus ni de la volonté ni des moyens militaires et financiers d'assurer la définition et la conduite de sa défense.

D'où l'absolue priorité de faire de l'Union de l'Europe occidentale le bras séculier de la politique étrangère et de sécurité commune, en tant que troisième pilier de l'Union, ce qui suppose la modification en ce sens de J'article J-4 du traité de Maastricht. L'UEO serait ainsi rapidement dotée d'une force d'intervention européenne, organisée de manière souple et modulaire, ainsi que de moyens cohérents d'observation et de commandement. Cela suppose une adaptation coordonnée des appareils de défense nationaux et, sur le plan industriel, l'adoption du principe de préférence européenne en matière d'armements et la création d'une agence européenne de l'armement.

Parallèlement, l'UEO devrait être rapidement élargie aux nouvelles démocraties d'Europe de l'Est. Le corollaire de cette ouverture réside dans un véritable partenariat entre l'UEO et la Russie, qui matérialiserait la volonté commune des pays européens de conforter et de garantir la stabilité du continent.

2. La nouvelle carte politique de l'Europe exige également de se libérer des schémas de la guerre froide pour promouvoir une conception large de la sécurité, dépassant de beaucoup les seuls aspects militaires. L'Europe doit envisager de se doter, au sein du système des Nations unies, d'une organisation de sécurité qui lui soit propre et à laquelle ont vocation à participer tous les pays du continent, y compris la Russie, l'Ukraine et la Biélorussie. Chacun doit se convaincre de cette évidence première qu'il ne peut exister ni paix ni prospérité durables sur le continent européen qui n'associent pleinement la Russie, plus que jamais élément clé de l'équilibre et de la stabilité.

Cette organisation de la Grande Europe pourrait voir le jour à partir d'une fusion de la CSCE et du pacte de stabilité dont l'initiative a été prise par la France. Sa pièce maîtresse serait un Conseil de sécurité où les principaux Etats d'Europe - dont la Russie - pourraient disposer d'un droit de veto.

La stabilité intéresse l'ensemble de nos peuples; l'inégalité des niveaux de développement constitue la raison la plus urgente de disposer d'un forum commun à tous. Le Conseil de l'Europe semble actuellement constituer le cadre privilégié pour des initiatives nouvelles. Un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement pourrait être convoqué à l'automne 1995, afin que soient parallèlement élaborées les propositions sur l'avenir de la Grande Europe de la sécurité et la révision des institutions de l'Union, à la fois rendez-vous majeur et chance historique.

Philippe Séguin

* Président de l'Assemblée Nationale française.

 
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