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Strauss-Kahn Dominique, Le Figaro - 10 dicembre 1994
Strauss-Kahn sur l'Europe fédérale.

LA TENTATION FEDERALISTE DE PHILIPPE SEGUIN

par Dominique Strauss-Kahn

SOMMAIRE: L'ancien ministre de l'Industrie, en référence à l'article du Président de l'Assemblée nationale, Philippe Séguin, dans le Figaro du 7 décembre 1994, explique comment une Europe fédérale permettra de revitaliser la citoyenneté en exaltant un nouveau projet national à la dimension européenne.

(Le Figaro, 10/11-12-1994)

Dans un récent article (1) proposant un mémorandum français sur l'Europe, le président de l'Assemblée nationale, à son corps défendant, énonce une thèse qui montre combien la logique fédéraliste est forte même chez ceux qui la combattent.

Une rafale d'affirmations qui ne se peuvent démontrer, mais que l'on souhaiterait pour le moins voir discutées, ouvre le débat.

Affirmation: » L'idéal fédéraliste correspondait à la situation d'une Europe divisée par le rideau de fer (..). Il est permis de demander pourquoi. Le rideau de fer n'impliquait pas une réponse fédérale; d'ailleurs, il a disparu sans que cette dernière ait vu le jour et, réciproquement, les tenants d'une Europe fédérale n'ont que faire de ce rideau pour justifier leur choix.

Affirmation : » Elle (l'Europe) devra surtout rompre avec un modèle fédéral qui se trouve en complète contradiction avec le réveil des nations (..) Si ce réveil présente parfois des formes violentes (... ) il n'en est pas moins d'abord l'expression d'un désir de souveraineté. Ne peut-on penser, tout à rebours, que le modèle fédéral constitue justement un moyen d'éviter la violence lorsqu'il est librement accepté ? Ce que les éclatements de l'URSS et de la Yougoslavie démontrent, s'il en était besoin, c'est que les regroupements imposés par la force ne sauraient survivre à la disparition de cette force même. Le réveil de nations jusqu'alors soumises n'implique nullement la caducité d'un modèle fédéral fondé sur l'adhésion.

Le rôle du Conseil

Affirmation : » L'Allemagne doit clairement renoncer à une vision fédéraliste qui n'est plus d'actualité. J'imagine qu'il ne s'agit pas ici, l'ingérence serait insupportable, du caractère fédéral de l'Allemagne elle-même. Dans ces conditions, s'agissant de l'Europe, au nom de quoi prétendre que les Allemands ne peuvent proposer pour celle-ci le modèle qu'ils trouvent bon pour eux-mêmes ?

Non, véritablement, il ne suffit pas d'affirmer que le fédéralisme est dépassé pour le prouver. Dans ces conditions, pourquoi notre auteur se livre-til à cet exercice ? Parce que, comme souvent, il faut avoir condamné l'adversaire avec la plus grande fermeté si l'on veut, sans devenir suspect aux yeux des siens, développer une thèse qui s'en rapproche sur plus d'un point.

Quel est, en effet, le coeur du propos sinon de montrer que nous devons nous doter d'institutions politiques puissantes au niveau européen, d'une part pour faire face aux urgences (emploi, défense...), d'autre part pour répondre à la pressante demande de démocratie et lutter contre "l'insupportable bureaucratie" de la Commission.

De nombreuses citations peuvent être reprises pour illustrer cette thèse. » Dès lors qu'il assume clairement la responsabilité politique suprême de l'Union, le Conseil européen doit être réuni avec une fréquence très supérieure au rythme d'une à deux convocations par semestre. Mais s'il en est ainsi, sauf à réunir cette instance politique pour rien, c'est que des nouvelles et importantes compétences d'initiative et de contrôle sont exercées par l'Union.

» Le vote à la majorité peut assurer une prise de décision efficace, dès lors que l'unanimité et le droit de veto au Conseil européen se trouvent maintenus pour des sujets sensibles comme la politique étrangère et la sécurité. Est-ce à dire que pour la monnaie les accords commerciaux (Gatt) ou le budget de l'Union, par exemple, la majorité suffira ? Et si la réponse est oui, nous éloignons-nous ou nous rapprochons-nous d'une Union fédérale ? De même, le renforcement réclamé du rôle du Conseil des ministres au nom de la primauté du politique n'a d'efficacité que s'il est accompagné de transferts de souveraineté. Plus loin: » La démocratisation de l'UEM passe par le contrôle de la future Banque centrale européenne par un organe politique. On peut accepter ou refuser cette thèse, mais on ne peut l'énoncer sans voir quel pas considérable on fait vers une Europe fédérale.

La base de l'entité nationale

Plus loin encore, le texte évoque » l'absolue priorité de faire de l'Union de l'Europe occidentale le bras séculier de la politique étrangère et de sécurité commune (...). Ceci suppose une adaptation coordonnée des appareils de défense nationaux (...) . Si, pour qu'une décision soit prise, l'unanimité est requise, on peut craindre que tout ceci ne serve à rien, sauf en cas d'attaque, bien improbable, contre l'Union elle-même. S'il s'agit d'intervenir, par exemple, pour empêcher la guerre aux marges de l'Union, alors il faut qu'un vote majoritaire suffise - sauf à se résigner d'avance à l'impuissance - et, dans ce cas, ne se rapproche-t-on pas sérieusement d'une souveraineté transférée ?

Finalement, il est bien difficile d'éviter un choix simple. Ou bien on ne souhaite pas l'approfondissement de la construction européenne, et il n'est alors sans doute pas nécessaire d'écrire un "Discours de la méthode", ou bien on veut que l'Europe se bâtisse, on réclame un renforcement du contrôle Politique central, on accepte des transferts de souveraineté et, dans ce cas, on ne peut récuser l'idée d'une Europe fédérale sauf pour aller plus loin encore et prôner une complète intégration, ce qui ne semble pas être le projet de Philippe Séguin.

Le fédéralisme de demain n'est plus celui qui visait à la disparition de l'idée de nation. Tout au contraire, il constitue la voie permettant de renouer avec ce qui était à la base de l'entité nationale : une communauté de citoyens libres. Face aux limitations de souveraineté qu'impose aujourd'hui aux nations européennes la globalisation de l'économie mondiale et l'émergence de puissances nouvelles, une Europe fédérale permettra de revitaliser la citoyenneté en exaltant un nouveau projet national à la dimension européenne.

Dominique Strauss-Kahn

(1) Voir Le Figaro du 7 décembre. Les sous-titres sont de la

rédaction du Figaro.

 
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