LES LECONS D'EUROPE DU FUTURS EX-PRESIDENT DE LA COMMISSION
par Anne Treca
SOMMAIRE: La vie de Jacques Delors a repris son cours bruxellois. Lundi soir, le président de la Commission européenne était, pour la cinquième fois, l'invité des Grandes conférences catholiques, au palais des Beaux-Arts de Bruxelles.
(Libération, 14-12-1994)
En présence du prince héritier de Belgique, qui s'était déplacé pour l'occasion, Jacques Delors a raconté l'histoire de son engagement européen, du congrès de La Haye en 1948 au sommet d'Essen, et son fondement, sur » le thème "plus jamais la guerre" que m'avait enseigné les choix mon père . Pour justifier les choix économiques de l'union européenne, il a expliqué que "ce qui se passe dans le monde, c'est une interdépendance subie, ce qui se passe en Europe, c'est une interdépendance maîtrisée ,
L'Union monétaire se fera, a-t-il dit. Mais, a-t-il pronostiqué, la conférence intergouvernementale de 1996 débouchera sur une crise : il faudra un renforcement politique de l'Europe avec "une petite Europe, dotée d'un président qui sera son image, désigné pour deux ou trois ans, pas forcément au sein du Conseil".
Jacques Delors s'est, de nouveau, opposé à l'idée des cercles concentriques proposée par Edouard Balladur, » parce qu'elle sous-entend que notre pays, qui est le nombril du monde, sera dans tous la cercles . Ce qui, selon lui, n'est pas prouvé. Il a réservé ses flèches les plus acérées aux Britanniques, pour qui » diviser les pays du continent a toujours été une tentation ; il a raillé John major » qui n'en finit pas de céder aux eurosceptiques et regretté qu'"en ce qui concerne la perception de l'Europe, à part la charte sociale, un conservateur égale un travailliste". Pour lui, le document de la CDU, imaginant un noyau dur européen, était » une lettre recommandée à la France, qui n'a toujours pas de réponse .
La salle a applaudi à tout rompre quand il s'est fait plus lyrique: » Le continent européen est caractérisé par l'équilibre entre l'individu et la société L'homme européen est un homme qui doute, qui parfois défie Dieu, c'est sa caractéristique. Si tout ceci disparaissait, nous serions emportés comme un galet par la mer .
Ni Jacques Delors luimême, ni ceux qui l'interrogeaient, n'ont à aucun moment évoqué l'avenir du président de la Commission. Ses projets, il les a esquissés, hier matin, dans le quotidien La Libre Belgique, dont il était le rédacteur en chef exceptionnel: "Pour l'instant, c'est douze heures d'action par jour et deux heures de réflexion, de travail intellectuel. Il faut que je passe de 14 à 8 heures par jour, avec 4 heures daction et 4 heures de réflexion. Pour le reste, enfin me promener, aller au cinéma La construction de l'Europe nécessitera encore des efforts intellectuels, je m'efforcerai d'en faire, de bons, si possible".
Mais la perspective de redevenir un simple citoyen n'est pas sans susciter chez lui quelque inquiétude. "Quand on n'a plus de poste, on n'estplus entendu. récrirai des articles, mais qui les lira, et surtout, qui m'écoutera?"
Anne TRECA