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Sanguinetti Antoine, Le Monde Diplomatique - 1 gennaio 1995
Le conflit bosniaque.

L'OUBLI CHOQUANT DU DROIT INTERNATIONAL: FAUX-FUYANTS

EUROPEENS EN BOSNIE.

par Antoine Sanguinetti *

SOMMAIRE: Près de trois ans après le début des affrontements en Bosnie, un énième cessez-le-feu est entré en vigueur. Il est pourtant peu probable qu'il débouche sur une véritable solution politique, car les milices serbes n'ont pas renoncé à leur objectif de dépecer l'Etat bosniaque, pourtant membre des Nations unies. Les faux-fuyants des puissances européennes qui refusent, depuis le début du conflit, d'appliquer le droit international, ne peut que les conforter dans leur intransigeance.

(Le Monde Diplomatique, janvier 1995)

De nombreuses voix ont rappelé, dès le début de l'affaire bosniaque en avril 1992, que la seule façon impartiale de traiter ce problème était d'appliquer en ex-Yougoslavie le droit international consigné dans divers textes ratifiés par tous les Etats depuis la fin de la seconde guerre mondiale (1). Dans ce cadre, la communauté internationale avait le choix entre deux options : se porter au secours des agressés ou laisser à la Bosnie les moyens de se défendre, sans lui faire supporter un embargo sur les armes décrété en septembre 1991 contre l'armée fédérale yougoslave. Cette seconde solution s'appuyait sur la Charte de l'ONU et notamment sur son article 51, prévoyant le

» droit naturel de légitime défense .

Mais l'Europe a refusé l'une et l'autre option, sous le prétexte qu'il fallait » maintenir de la paix dans... un pays ravagé depuis près de trois ans par les destructions, les tueries et les déportations. La France a, à maintes occasions, opposé à l'intervention directe les arguments les plus contestables (2). Et Paris a toujours allégué que la levée de l'embargo sur les armes ne ferait qu'intensifier les combats, oubliant que le statu quo actuel facilite les massacres en protégeant l'impunité des assassins.

Le choc psychologique qu'aurait provoqué une riposte militaire, même de niveau limité, des forces des Nations unies (FORPRONU) - et plus encore de l'OTAN - aurait pourtant pu (pourrait

toujours ?) provoquer, au-delà des seuls effets militaires immédiats, une chute du moral de miliciens serbes découvrant leur propre vulnérabilité. Il aurait pu encourager une opposition au président Slobodan Milosevic, qui s'est déjà manifestée: rassemblement de 150 000 personnes à Belgrade le 9 mars 1992; écrits d'intellectuels vivant en Serbie, publiés en France ou ailleurs; désertions massives de jeunes refusant cette guerre. Il aurait sans doute marqué un virage décisif du conflit, peut-être son arrêt.

Conformément à la Charte des Nations unies, celles-ci peuvent

» réprimer toute agression ou rupture de la paix dès lors qu'elle s'est produite, au besoin » par des forces armées de membres de l'ONU (3) . Six résolutions du Conseil de sécurité autorisant l'emploi de la force (4) confirmaient cette possibilité. Aucune cependant n'a été appliquée. Et les deux ultimatums de l'OTAN, de février et d'avril 1994, exigeant le retrait des armes lourdes des milices serbes hors de portée de Sarajevo puis de Gorazde n'ont donné lieu qu'à des frappes symboliques.

Ce renoncement a atteint son paroxysme lors de la bataille de Bihac, en novembre et décembre 1994. Au printemps dernier, Paris affirmait que, plutôt que lever le blocus sur les armes, il valait mieux diminuer le potentiel du camp le plus armé. L'attaque de Bihac en fournissait l'occasion rêvée. Mais les trois raids de représailles annoncés par l'OTAN fin novembre contre des miliciens qui violaient à la fois la frontière entre la Croatie et la Bosnie, un espace aérien interdit et une zone de sécurité de l'ONU, furent un fiasco - quelques trous dans une piste d'un aéroport de Krajina, réparables et réparés en quarante-huit heures, et une riposte symbolique, à une trentaine de kilomètres de Bihac, contre des batteries de missiles SAM-2 et SAM-4 parfaitement périmées qui avaient tiré, sans succès évidemment, sur des avions anglais. Le troisième raid n'a pu avoir lieu sous des prétextes dépourvus de toute crédibilité : mauvaise météo, qui aurait paralysé l'aviation; missiles serbes anti-aériens SAM-6 couvrant tou

te la Bosnie - l'ignorait-on la veille ? - et constituant un danger terrible pour leurs alliés (5).

A qui fera-t-on croire que l'OTAN, la plus formidable organisation militaire de tous les temps, supérieure en effectifs, en matériels et en technologie à l'armée rouge à l'apogée de sa force (6), pourrait être tenue en échec en Bosnie par des milices peu nombreuses et équipées d'armes dépassées ? Tous ces mensonges ne servent, en réalité, qu'à tenter de masquer une logique qu'on peut déchiffrer sous les déclarations d'intention.

» Avertissement aux agressés

Sans succès pour l'instant, le Royaume-Uni et la France souhaitent que les extrémistes serbes acceptent le plan de dépeçage de la Bosnie proposé par le Groupe de contact dont ils font partie avec la Russie, les Etats-Unis et l'Allemagne. Auraient-ils décidé de leur livrer Bihac, indispensable à la continuité territoriale de la Grande Serbie vers la Krajina (7), pour obtenir enfin leur signature ? Depuis que, au début de 1994, des militaires scandinaves, britanniques et français (à Bihac justement) ont riposté militairement aux attaques des miliciens de M. Radovan Karadzic, ceux-ci se contentent d'encercler et de bloquer des hommes de la FORPRONU qui obtempèrent à l'amiable, comme si les deux camps avaient passé un accord (8). La présence à Bihac d'une unité française fortement armée et déterminée présentait-elle un risque trop grand pour les milices serbes ? M. Edouard Balladur décidait, en octobre 1994, son retrait, en avance sur le calendrier; elle était remplacée par des soldats bangladais sans moyens ni

expérience de guerre.

Si ces hypothèses déplaisantes étaient avérées, elles amèneraient à conclure que le seul » avertissement lors de la crise de Bihac visait les Bosniaques et les Croates, c'est-à-dire les agressés : ceux-ci devaient comprendre qu'ils n'avaient pas intérêt à gêner les visées des puissances européennes en prétendant reconquérir le terrain perdu.

Au-delà des apparences, des gouvernements disposant à la fois d'une autorité au Conseil de sécurité et dans la FORPRONU, après avoir voté des actions de force, ont décidé en sous-main d'en empêcher l'exécution. On a parfois voulu faire de M. Boutros Boutros-Ghali et de son représentant dans l'ex-Yougoslavie des boucs émissaires, en leur imputant la responsabilité de la passivité de la FORPRONU. En fait, ce n'était qu'une comédie destinée à donner des alibis aux puissances européennes.

Les difficultés d'une intervention armée en Bosnie ne résultent que de la seule mauvaise volonté de dirigeants occidentaux. La France et le Royaume-Uni ont tenté de justifier les reculs de l'ONU - mortels pour sa crédibilité et pour celle de l'OTAN - par l'argument spécieux que, à provoquer la colère des extrémistes serbes, on mettrait en danger la FORPRONU. Mais pourquoi alors avoir voté les résolutions du Conseil de sécurité prévoyant l'usage de la force ? C'est la passivité qui met en danger la FORPRONU, c'est l'incohérence de la chaîne opérationnelle de l'ONU qui provoque la mort de ses soldats (9). Qui pouvait croire que les Etats-Unis, toujours soucieux de la vie et la dignité de leurs combattants, pourraient jamais les mettre sous un commandement militaire onusien dirigé par deux civils ?

Y a-t-il, comme M. Alija Izetbegovic, le président bosniaque, en a accusé Paris et l'ensemble du Groupe de contact au sommet de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) de Budapest, début décembre, une volonté délibérée de ne pas arrêter l'avancée des extrémistes serbes ? La réponse de M. François Mitterrand, fustigeant les » partisans de la guerre jusqu'au bout plutôt que du dialogue , n'est guère convaincante. Il est clair depuis longtemps (10) que les deux puissances européennes ayant voix prépondérante à l'ONU intégraient dans leurs objectifs le partage de la Bosnie élaboré à Genève, entérinant le nettoyage ethnique, récompensant l'agression et ne voyant dans la Bosnie qu'un archipel de ghettos isolés sans avenir viable. On connaîtra sans doute un jour leurs motivations: tentative d'écarter, par ce démembrement, les risques d'un retour politique de la Turquie - ou d'intrusion d'un pays musulman - dans cet ancien morceau de l'Empire ottoman; espoir d'obtenir des marchés juteux dan

s une région à reconstruire et à équiper; étranges nostalgies passéistes (rétablissement d'anciennes zones balkaniques d'influence, mythe d'une alliance privilégiée avec Belgrade, etc.)

Pour faciliter l'acceptation du dépeçage d'un pays membre des Nations unies, au mépris du droit international et de la morale, toutes les manipulations sont permises : les Bosniaques sont systématiquement désignés sous le terme de » Musulmans , qui suggère un danger islamique; ils sont qualifiés de belligérants, ce qui met sur le même plan agressés et agresseurs; chaque fois que l'on parle de l'année bosniaque, on rajoute » à majorité musulmane .

Le Royaume-Uni et la France ne sont pas les seuls membres du Groupe de contact. L'Allemagne, du fait de son passé, observe une certaine discrétion; mais les deux superpuissances (si ce qualificatif s'applique encore à la Russie) pratiquent dans les Balkans des politiques complexes et variables, en fonction de la conjoncture.

On avait pu penser, il y a quelques mois, que la Russie, protectrice traditionnelle de la Serbie, était paralysée par sa situation politique et économique, qu'elle s'en tiendrait à des déclarations et qu'elle devait se contenter d'aider les dirigeants serbes à sauver la face lorsqu'ils étaient contraints de reculer. Ainsi, Moscou n'a pas usé de son droit de veto au Conseil de sécurité quand celui-ci exigea en avril dernier le retrait serbe de Gorazde; le Kremlin approuva même l'ultimatum de l'OTAN : les Etats-Unis étaient déjà, à l'époque, maîtres du jeu. Depuis, le Kremlin s'est surtout employé à monnayer cette bonne volonté forcée dans les Balkans contre des concessions américaines: le renoncement de Washington à intégrer dans l'OTAN les anciens satellites soviétiques d'Europe de l'Est; sa liberté d'action sur ses terres fédérales, comme en Tchétchénie (lire pages 4 et 5), et dans l'» étranger proche , les Républiques de l'ancienne Union soviétique. Elle le fait avec l'appui de Paris dont ce retour à l'al

liance traditionnelle franco-russe d'équilibre européen inquiétait récemment le chancelier Helmuth Kohl, à quelques mois de l'échéance présidentielle française.

Mais l'événement majeur des derniers mois en Bosnie est l'entrée en scène, bien que tardive, des Etats-Unis. Si les Balkans n'occupent qu'une place secondaire pour Washington - encore que la protection de la Bosnie servirait ses intérêts dans le monde arabe et musulman - sa politique en Europe s'articule autour de trois soucis primordiaux : maintenir la crédibilité et l'emprise de l'OTAN sur l'Europe occidentale; ménager la fierté russe pour ne pas aggraver la précarité de la situation de M. Boris Eltsine et la radicalisation de son opposition; enfin, ne pas laisser s'effondrer le nouvel ordre mondial qu'elle s'est employée à codifier. A la veille de la réunion de l'OTAN de janvier 1994, Washington mettait l'accent sur ses relations avec Moscou; plus récemment la presse expliquait le ralliement américain aux arguments franco-anglais en Bosnie par la nécessité de ressouder l'OTAN (11), clef de la stabilité et de la puissance de leur empire.

Rien ne prouve cependant que la Maison Blanche ait réellement modifié sa ligne de conduite. Elle a affiché, à plusieurs reprises, son souci de voir prévaloir le droit dans l'ex-Yougoslavie, au point d'avoir fait abattre en février dernier, sans en référer à la FORPRONU, quatre avions serbes qui violaient la zone d'exclusion aérienne. Son soutien au camp bosniaque apparaissait alors assez ferme pour que Zagreb ait accepté, sous son égide, de rentrer dans une fédération croato-bosniaque qui remettait totalement en question les données locales (12).

L'offensive de l'armée bosniaque à Bihac, qui n'a pas reçu les soutiens escomptés, a sûrement été prématurée (13). Mais la Maison Blanche semble maintenir son appui au gouvernement bosniaque, en alternant les discours conciliants à l'égard de ses alliés avec des faits accomplis. De plus, confrontée à un nouveau Congrès favorable à la levée de l'embargo sur les armes - et ayant en principe un pouvoir de contrainte -, elle lui a donné un gage en décidant de ne plus participer, à partir du 15 novembre, à son contrôle. Et elle a annoncé, durant la réunion de l'OTAN du 19 décembre à La Haye - à laquelle la France ne participait pas -, sa décision d'envoyer en Bosnie un contingent surarmé, inattaquable, pour protéger un éventuel départ des

» casques bleus dont les Européens agitent la menace. Elle le fera évidemment suivant son principe immuable de ne jamais mettre ses soldats sous un commandement autre que national : c'est donc le commandant en chef des forces alliées dans l'Atlantique (SACEUR) qui, en dehors de l'ONU, prépare l'opération. Si les Etats-Unis devaient envoyer en Bosnie le contingent annoncé, renforcé par les forces des autres membres de l'OTAN - l'Allemagne vient de décider qu'elle participerait à l'opération -, ils seraient alors en mesure d'équiper et d'instruire les armées bosniaque et croate sans que les extrémistes serbes, confrontés à une formidable puissance de feu, puissent s'y opposer.

La France a rapidement pris conscience du danger et a délégué M. François Léotard, le ministre de la défense, à Washington, le 12 décembre 1994, pour minimiser la menace de départ de la FORPRONU et tenter de contrer la manoeuvre américaine. Quant à M. Radovan Karadzic, alors que les dissidents bosrniaques de M. Fikret Abdic maintiennent seuls leur pression au nord de Bihac, il semble vouloir calmer le jeu et cède à la panique en proposant en catastrophe un » faux plan de paix accueilli avec scepticisme, et invite M. James Carter à Pale.

Mais l'entrée en vigueur, négociée par l'ancien président américain, d'un énième cessez-le-feu, le 24 décembre 1994, pour une durée de quatre mois et une semaine, ne signifie pas autre chose qu'une trêve provisoire et fragile. Les milices serbes n'ont pas renoncé à leurs objectifs et seule une application résolue du droit international permettrait un véritable retour à la paix.

Antoine Sanguinetti

* Amiral (C.R.)

(1) Charte de l'ONU de 1945, Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et conventions de Genève de 1949. Elles interdisent toute tentative de modification des frontières par la force ou la guerre de conquête, et édictent des règles de protection des populations civiles en cas de conflit, interdisent les tortures, les traitements dégradants et les déportations de populations.

(2) Antoine Sanguinetti, » Un dossier qui frise l'intox , Le Monde diplomatique janvier 1993, et » Alibis militaires , le Monde, 10 juin 1994.

(3) Article 1, paragraphe 1 de la Charte de l'ONU.

(4) Résolutions 770 du 13 août 1992, pour forcer le passage des aides humanitaires vers les villes assiégées, et 776 du 14 septembre suivant, renforçant leur protection; résolution 781 du 9 octobre 1992 renouvelée par la résolution 816 du 31 mars 1993, pour interdire le survol de la Bosnie; résolution 807 du 19 février 1993, pour riposter en légitime défense; résolution 824 du 6 mai 1993, créant cinq zones de sécurité, et résolution 836 du 4 juin 1993, autorisant à riposter aux agressions contre ces zones.

(5) Les armes modernes autoguidées ou téléguidées ne dépendent pas de la météo. L'inefficacité du SAM-6 a été annoncée de longue date et vérifiée en Irak en 1991.

(6) Antoine Sanguinetti, » L'équilibre conventionnel des deux blocs et » L'URSS détient-elle une supériorité navale et chimique ? , respectivement dans le Monde diplomatique, octobre 1987et mai 1988.

(7) » Un objectif stratégique , le Monde, 25 novembre 1994.

(8) » La guerre au quotidien à Sarajevo , le Monde, 26 novembre 1994.

(9) Le Monde, 30 novembre 1994 et 13 décembre 1994.

(10) Le Monde diplomatique, janvier 1993, op. cit.

(11) » La nécessité de ressouder l'OTAN , le Monde, 1er décembre 1994.

(12) Lire Catherine Samary, » Les incertitudes de la fédération croato-bosniaque , le Monde diplomatique, juin 1994.

(13) » L'impatience de Zagreb , le Monde, 1er décembre 1994.

 
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