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Lamassoure Alain, Le Figaro - 4 gennaio 1995
Lamassoure sur l'Union Européenne.

INTERVIEW DE ALAIN LAMASSOURE, MINISTRE FRANCAIS DES AFFAIRES EUROPEENNES

par Marie-France Calle et Georges Potriquet.

SOMMAIRE: L'élargissement ne devra pas se faire uniquement en regardant vers l'Est, il s'agira de développer aussi les relations de l'Europe avec la Méditerranée. Et la préparation d'un nouvel accord européen, annoncé pour 1996, devra être engagée rapidement. Quant à l'Union monétaire, l'amélioration de la conjoncture économique en Europe la rend plus que jamais envisageable à l'échéance 1997-1999, estime Alain Lamassoure.

(Le Figaro Economie, 4-1-1995)

Le Figaro Economie. - L'élargissement aux pays d'Europe de l'Est n'a pas toujours réuni un consensus au sein de l'Union européenne. Paris souhaitait notamment que l'on n'» oublie pas les pays méditerranéens. S'est-il fait entendre ?

Alain Lamassoure. - Il n'y a aucun désaccord sur la perspective d'élargissement à l'Europe centrale et orientale. Ni avec les Allemands ni au sein des Quinze. Il est admis, conformémement à ce qui figurait déjà dans le traité de Rome, que l'adhésion à la Communauté européenne est ouverte à tous les pays démocratiques d'Europe. Cette perspective est donc offerte aux pays d'Europe centrale et orientale (Peco) depuis la chute du Mur de Berlin.

La stratégie de pré-adhésion a été définie au Conseil européen d'Essen, Elle comporte un volet économique : il passe par la réorientation du programme phare de manière à offrir à ces pays davantage d'aides aux investissements des grandes infrastructures pour combler leur retard. Ce programme doit aussi se fixer pour objectif d'encourager les Peco à coopérer entre eux au plan économique.

Il y a également un volet politique qui consiste à maintenir un dialogue permanent avec les pays de l'Est. Ce qui n'avait pas été fait pour préparer les adhésions de l'Espagne, de l'Autriche, etc. Dès maintenant nous invitons les pays de l'Est associés à l'Union européenne à participer à certaines de nos réunions. Ils ont pris part pour la première fois au niveau de leurs chefs de gouvernement au Conseil européen d'Essen. Pendant la présidence française, il y aura chaque mois des réunions de niveau ministériel avec eux : Conseil des ministres des Affaires étrangères, de l'Économie et des Finances, de l'Agriculture, etc.

D'autre part, à Essen, on a demandé à la Commission européenne d'essayer de mesurer les conséquences pour l'Union européenne mais aussi pour les pays de l'Est, de leur entrée dans l'Union. Cela est particulièrement important dans le domaine agricole et en ce qui concerne les réformes législatives. Celles-ci leur seront nécessaires pour adapter leur législation au cadre juridique du marché unique européen. Nous aurons les premières conclusions de la Commission européenne pendant la présidence française et nous devrons en tirer les conséquences politiques.

Il est vrai par ailleurs que la France insiste, avec l'Espagne et l'Italie en particulier, pour que, parallèlement à cet effort pour préparer l'adhésion de l'Europe centrale, nous développions nos relations avec la Méditerranée. Nous voulons faire de 1995 une grande année méditerranéenne.

- Concrètement, qu'allez-vous faire pour que ce volet Méditerranée se développe en même temps que l'autre dossier qui est déjà très lourd ?

- D'abord, nous allons mener à bien les négociations déjà engagées au plan bilatéral avec certains des grands pays méditerranéens. Je pense à un accord d'association d'un nouveau type avec la Tunisie et le Maroc.

Avec la Tunisie, il reste un dernier obstacle à surmonter sur le régime d'importation de l'huile d'olive dans l'Union européenne. Avec le Maroc, les négociations ont été difficiles en particulier sur la tomate et certains produits agricoles, ainsi que sur la pêche.

- N'y a-t-il pas des préalables à la négociation avec le Maroc sur un accord entre ce pays et l'Espagne concernant la pêche ?

- Il a fallu d'abord adapter l'accord de commerce que nous avions passé avec le Maroc sur le régime de la tomate à la suite de l'Uruguay Round. Rabat demandait aussi de renégocier de façon prématurée l'accord spécifique sur la pêche. Ces deux préalables sont maintenant levés. Sur la pêche, nous sommes d'accord pour un nouveau régime à compter de mars prochain.

Par ailleurs nous avons bien avancé dans les négociations avec Israël. L'Union européenne a décidé de passer un nouvel accord avec l'Etat hébreu au titre, notamment, de l'encouragement du processus de paix. Le précédent accord remontait à 1975 à une époque où Israël était handicapé par la situation au Proche-Orient. Nous devrions pouvoir aboutir pendant la présidence française.

Nous allons également ouvrir dès le mois de janvier des négociations en vue de nouveaux accords avec l'Egypte et sans doute avec la Jordanie. Enfin, dernier exemple mais non le moindre, les relations avec la Turquie. Il y a quelques mois nous nous sommes mis d'accord avec les Turcs pour négocier avec eux la constitution d'une union douanière entre l'Union européenne et la Turquie à compter du 1er janvier 1996. Au plan technique nous avons bien avancé et nous espérions pouvoir conclure lors d'une rencontre organisée le 19 décembre dernier. Nous nous sommes heurtés à un veto de nos partenaires grecs. Une nouvelle rencontre aura lieu avec les Turcs le 7 mars. Nous espérons que d'ici là les Grecs reverront leur position et qu'en même temps, sur les problèmes des droits de l'homme et sur celui de Chypre, la Turquie sera en mesure de faire les efforts nécessaires pour faciliter ses relations avec l'Union européenne.

Au-delà de ces accords bilatéraux en cours de négociation, 1995 devrait être une année d'initiatives de l'Europe vers le sud de la Méditerranée. Cette région connaît des événements extrêmement positifs comme le processus de paix au Proche-Orient, qui est engagé mais qu'il faut consolider et encourager. Je rappelle au passage que l'Union européenne est le premier pourvoyeur d'aide à cette région avec une première tranche de 500 millions d'écus qui a été débloquée en faveur des Palestiniens et la possibilité d'une deuxième tranche de 500 millions d'écus pour les autres pays au fur et à mesure qu'ils se joindront au processus de paix. Pour la Jordanie, c'est déjà acquis, nous espérons que ce sera bientôt le cas pour la Syrie et le Liban.

Un nouveau pacte en 1996

La deuxième catégorie d'événements qui font de la Méditerranée une région en mouvement est la montée des intégrismes, en particulier en Algérie. Nous proposerons donc pour enrayer les développements négatifs, un cadre de partenariat euro-méditerranéen. Nous offrirons à chacun de ces pays un accord de coopération privilégiée avec l'Union européenne comportant un élément commercial, avec la perspective, à terme, d'une zone de libre-échange; un élément de coopération financière et un dialogue politique. A cette fin sera organisée - sans doute sous la présidence espagnole - une conférence euro-méditerranéenne. Elle rassemblera tous les pays de l'Union et tous les pays riverains de la Méditerranée.

- Existe-t-il encore des craintes du côté français que l'élargissement se fasse au détriment de l'approfondissement ?

- Nous avons fait admettre par nos partenaires au Sommet de Corfou en juin dernier que ce que l'on appelle l'approfondissement, c'est-à-dire la mise à jour des institutions européennes, devait précéder tout nouvel élargissement. Ce qui veut dire que l'Autriche, la Finlande et la Suède seront les premiers et les derniers pays à adhérer au traité de Maastricht. Les nouvelles adhésions se feront sur la base du » traité de

1996 puisqu'une Conférence à cette fin est prévue à ce moment-là.

A Corfou, un calendrier a été adopté : il comprend trois phases. La première est celle dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Elle recouvre le bilan du traité de Maastricht un an après sa mise en oeuvre et l'inventaire des problèmes posés. Ce bilan et cet inventaire sont demandés à chaque institution européenne. Le Parlement européen y travaille, la Commission fera de même ainsi que le Conseil des ministres. Nous avons l'intention de proposer au Conseil européen de Cannes, à la fin de la présidence française, un document qui synthétisera les remarques des uns et des autres et énoncera les problèmes à traiter. Tout l'enjeu de la Conférence de 1996 sera ainsi fixé.

Dès maintenant il existe deux approches : une minimaliste selon laquelle il suffirait d'adapter la demi-douzaine d'articles dont le traité de Maastricht a prévu l'éventuelle mise à jour; et une approche plus ambitieuse qui est celle du gouvernement français, selon laquelle l'Europe aura besoin en 1996 d'un nouveau Pacte fondateur. Les institutions avaient été créées pour un marché commun de six pays et nous voulons bâtir une union politique ouverte à une trentaine de pays.

Après la présidence française, se déroulera la deuxième phase de la préparation de la Conférence de 1996, avec la mise en place d'un Comité des Sages qui représentera chaque pays avec deux membres du Parlement européen dont Elisabeth Guigou, et qui travaillera sur la base des orientations qui auront été définies pendant le Conseil européen de Cannes.

Mesures techniques

- Est-ce que durant cette présidence française on aura le temps de parler de la monnaie unique ? Est-ce que l'on peut encore croire à l'échéance de 1997 ?

- On croit plus que jamais à l'échéance 1997-99. Pendant la présidence française se poursuivra le suivi communautaire des politiques économiques de convergence de divers Etats membres. Il est frappant de constater que les quinze Etats se sont engagés dans des politiques économiques permettant de remplir ces critères à la date prévue. Y compris le Royaume-Uni et le Danemark qui ont pourtant la clause de sortie. Avec le retournement de conjoncture économique, une demi-douzaine de pays peuvent par ailleurs espérer remplir les critères à la date prévue.

Le gouvernement français a l'intention de tout faire pour que la France soit en mesure de les respecter selon le calendrier prévu.

A côté de cette surveillance des politiques économiques il y faudra prendre un certain nombre de mesures techniques pour préparer l'émission de l'écu. Ceci devra se faire sous présidence française.

Aujourd'hui nous sortons de la récession, donc les choses s'améliorent mécaniquement et nous sommes presque tous repartis dans la bonne direction, On fera le point comme prévu lors du traité fin 96 mais l'hypothèse selon laquelle une majorité de pays figureraient dans l'Union monétaire avant la fin du siècle est redevenue très crédible. Il est évident que ce qui a été le mieux conçu dans le traité de Maastricht, c'est la partie monétaire. Nous avons donc intérêt à respecter le cheminement défini par le traité : les critères comme le calendrier.

Volet financier

- La révision de la PAC, notamment dans le contexte de l'adhésion des pays de l'Est à l'Europe, constituera-t-elle l'un des dossiers prioritaires de la présidence française ?

- Normalement, il n'y a pas de grande échéance pour la Politique agricole commune sous la présidence française. La réforme de la PAC a contribué, avec la conjoncture internationale, à permettre aux agriculteurs français de bénéficier d'une augmentation de revenus de plus de 10 % en 1994. Elle a aidé à résorber les excédents et elle a eu l'effet souhaité en ce qui concerne l'équilibre entre l'aide par le soutien des prix et l'aide directe aux revenus pour les petits agriculteurs. Enfin, cette politique a montré sa souplesse puisque Jean Puech a obtenu une réduction de la jachère obligatoire de trois points pour tenir compte du rééquilibrage des marchés. En tout état de cause, notre agriculture est devenue plus compétitive et les revenus des petits agriculteurs des zones défavorisées sont soutenus.

Quel sera cependant le bilan à moyen terme de cette réforme, notamment au vu de l'application de l'Uruguay Round ? Et surtout, comment allons-nous coordonner nos politiques agricoles avec celles des pays d'Europe centrale et orientale ? La France a de-mandé une étude sur l'impact de la future adhésion des Peco, mais les conclusions n'en seront certainement connues que sous la présidence espagnole. Il est clair que certains de ces pays ont un potentiel agricole considérable. En même temps, l'agriculture est souvent le domaine où ils ont le moins bien engagé la réforme (à l'exception de l'Albanie). Nous devons en tout cas éviter à court terme que nos propres exportations subventionnées découragent la réforme agricole dans ces pays, mais à moyen et long terme, nous devons éviter que les marchés européens soient déstabilisés par de très fortes augmentations de la production agricole chez nos voisins de l'Est.

- La Convention de Lomé arrive d'autre part à terme dans les six mois qui viennent. Certains de nos partenaires se réjouissent que ce dossier incombe à la présidence française...

- Le calendrier fait bien les choses car cela fait partie de nos priorités. En mars 1995 il faudra renouveler le volet financier de la Convention de Lomé. C'est ce qu'on appelle le huitième fonds européen de développement. Il nous faudra maintenir, dans la politique de coopération européenne, la priorité africaine. Nous aurons beaucoup d'efforts à faire pour en convaincre nos partenaires qui sont un peu découragés. Cela signifie maintenir à tout le moins le niveau d'aide en écus constants qui a été accordée à l'Afrique au cours de la période précédente. Il faut surtout faire en sorte que cette aide soit plus efficace en termes économiques mais aussi en termes politiques. Il faut qu'elle contribue aux efforts de transition démocratique qui sont engagés depuis quelques années sur le continent africain.

- La France veut un renforcement des sanctions en cas de non-respect des directives. La durée de la présidence française permettra-t-elle d'avancer réellement sur ce dossier ?

- La balle est dans le camp de la Commission. La France a rédigé un mémorandum pour poser le problème et suggérer quelques pistes. Nous sommes d'accord pour laisser aux États la responsabilité de faire appliquer les lois et ne pas créer de tribunal ni de droit pénal européen, mais il faut encadrer l'action des États. Il faut par exemple les obliger à traiter les infractions au droit communautaire comme s'il s'agissait d'infractions au droit international en matière douanière, de normes techniques, de normes sanitaires.

Propos recueillis par Marie-France CALLE et Georges POTRIQUET

 
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