AUDITIONS DES COMMISSAIRES EUROPEENS DESIGNES DEVANT LES COMMISSIONS DU PARLEMENT EUROPEEN - EMMA BONINO.
SOMMAIRE: Mme Bonino affirme son engagement européen, dans la direction tracée par Spinelli - Pour un meilleur contrôle des activités de pêche, sans répression - Importance du citoyen-consommateur - Visites sur place pour l'aide humanitaire.
(Agence Europe, 11-01-1995)
"Dans la biographie que je vous ai distribuée sur mon expérience politique et sur les objectifs pour lesquels je me suis engagée pendant de longues années, je n'ai pas cité, par pudeur, le fait que j'ai été parlementaire européenne en 1979, à la même époque qu'Altiero Spinelli, et que, "avec lui et convaincue par lui", j'ai voté le projet de Traité de l'Union européenne (de février 1984: NDR), donc le projet de ce Parlement".
Cette approche, cette "conviction têtue", demeure valable, et pour cette raison je considère que la Conférence intergouvernementale de 1996 sera une échéance décisive, et ne devra pas être une simple "négociation intergouvernementale". Si la Commission et le Parlement restent unis, ils sauront faire prévaloir les valeurs auxquelles je me réfère, et je veux m'engager dans ce sens au sein de la Commission européenne. C'est ce qu'a déclaré Emma Bonino, Commissaire désigné à la pêche, à la protection des consommateurs et à l'aide humanitaire, lors de son audition devant la commission de l'environnement et de la protection des consommateurs, en présence de délégations des commissions des affaires étrangères, du développement et de la pêche.
J'admets, a dit Mme Bonino, que mes compétences ne sont pas homogènes: je suis arrivée la dernière, ces compétences m'ont été attribuées au fur et à mesure, et celle de la pêche, en particulier, m'a été attribuée seulement le 16 décembre (suite au "non" de la Norvège à l'adhésion à l'Union européenne). Ce serait donc "incroyable et peu loyal" de prétendre que je suis experte en toutes ces matières, a dit Mme Bonino, tout en affirmant la "primauté du politique" et sa volonté de "bien faire". Emma Bonino, qui a été applaudie après son exposé, a précisé ses grandes priorités:
A. Pêche. Il faudra en particulier veiller à l'efficacité de mesures de gestion, et faire fonctionner le régime de contrôle avec transparence, en utilisant les nouveaux moyens informatiques et satellitaires: mais cela ne signifie pas la "répression". Quant au problème de l'avenir des ressources de pêche, Mme Bonino a regretté qu'il y ait là un "grand absent, les générations futures" (et, au sujet des nouveaux accords de pêche, notamment avec certains pays en voie de développement, elle a parlé de certains comportements "désinvoltes".
B. Consommateurs. Mme Bonino a évoqué la "carence macroscopique" d'information du citoyen, qui est pourtant si importante, et a regretté le "pouvoir exorbitant" de certains fournisseurs de services.
C. Aide humanitaire. Mme Bonino, pour qui il faut parvenir à une meilleure définition du "droit humanitaire d'urgence", a souligné le rôle d'ECHO (l'Office humanitaire de l'Union européenne), qui existe depuis deux ans, tout en constatant ces limites en matière de coordination, d'efficacité et de "visibilité". "Au cours des prochaines semaines, j'entends me rendre notamment à Sarajevo ou au Rwanda, où ECHO est particulièrement engagée", a annoncé Mme Bonino.
Elle a ensuite répondu aux nombreuses questions des parlementaires.
Protection des consommateurs: il faudrait faire des progrès en 1996
Mme Bonino, interrogée sur la politique des consommateurs a notamment répondu par un "oui" à la social-démocrate allemande Mme Roth-Behrendt, qui voulait savoir si elle serait prête à inclure dans les propositions législatives de la Commission européenne des amendements adoptés en plénière par le PE à la majorité absolue: si un Parlement vote un texte à une telle majorité, on ne saurait pas contredire sa volonté, a-t-elle dit. La conservatrice britannique Caroline Jackson s'est demandé comment Mme Bonino pouvait faire de telles promesses qu'elle ne peut pas tenir, et Mme Bonino a répliqué que, évidemment, elle avait expliqué sa position personnelle sans pouvoir engager la responsabilité collégiale de la Commission. Mme Jackson s'est étonnée de ce que Mme Bonino n'ait pas fait une promesse qu'elle aurait pu tenir - celle de veiller à ce que la Politique agricole commune soit reformée dans un sens favorable aux consommateurs. "Réformer la PAC ? Pensez-vous que c'est quelque chose que je peux promettre ?", a ré
pliqué (en anglais) Mme Bonino.
Par ailleurs, Mme Bonino a répondu sur: 1) application du droit communautaire par les Etats membres en matière de protection des consommateurs et de l'environnement. Au libéral portugais membres en matière de protection des consommateurs et de l'environnement. Au libéral portugais Pimenta, Mme Bonino a dit qu'il faudra être très vigilants, en recourant si nécessaire à l'article 169, et en portant donc les Etats devant la Cour de justice. En même temps, elle a souligné la nécessité d'aider les pays du Sud de l'Europe qui sont moins avancés sur le plan "culturel" et de l'organisation, dans ce domaine. Mme Bonino a réaffirmé cette nécessité de tenir compte de la différence entre Nord et Sud de l'Europe en répondant aussi à M. Poggiolini (PPE, italien); 2) étiquetage des produits alimentaires. Le Vert belge Lannoye a posé ce problème spécifique, et Mme Bonino lui a répondu de manière plus générale, en soulevant la question de la politique alimentaire dans son ensemble, et en disant qu'une des premières choses qu
'elle voudrait faire, ce serait justement de "formaliser un groupe interservices" dans ce domaine. Interrogée par M. Lannoye sur l'information des consommateurs, Mme Bonino lui a dit qu'il "enfonçait une porte ouverte", tout en notant que le budget communautaire comporte seulement 4 millions d'Ecus pour cette politique d'information, alors qu'on estime qu'il faut au moins 10 millions d'Ecus pour "faire passer un seul message", 3) "multiplicité" des labels. Le problème était posé par Mme Barthet-Mayer (Alliance radicale européenne, fr.). Mme Bonino, constatant qu'il s'agit là d'un dossier très "épineux", a simplement dit qu'elle n'avait pas encore choisi parmi les solutions proposées; 4) évaluation de l'impact de la législation communautaire. S'adressant au travailliste britannique Whitehead, Mme Bonino a constaté que les "fiches" déjà réalisées à ce sujet tendent à être trop bureaucratiques: or, avec les ressources financières et humaines dont nous disposons, nous ne pouvons pas produire des fiches d'"impact
assessment" qui ne soient pas bureaucratiques, a-t-elle estimé.
Aide humanitaire: il faut développer le pilier "Prévention"
Plusieurs parlementaires, interrogeant Mme Bonino au sujet de sa compétence en matière d'aides d'urgence, se sont félicités de son retour dans les Institutions européennes. C'est le cas de Mme Maii-Weggezen, démocrate-chrétienne néerlandaise (revenue elle-même au PE après avoir été ministre des transports dans son pays), et de la démocrate-chrétienne allemande Mme Lenz, qui a demandé à Mme Bonino si elle entendait continuer, en matière de droits de l'homme, à être aussi "combative" que par le passé (à l'époque, vous étiez souvent une collègue "agréablement peu commode", a dit Mme Lenz). Mme Bonino l'a admis, répondant à Mme Lenz, qu'elle avait "perdu un premier rendez-vous" dans la bataille pour la mise en place d'un Commissaire unique responsable pour les droits de l'homme-. je l'avais demandé moi-même, mais cela ne s'est pas fait, a-t-elle constaté, espérant qu'on pourra au moins établir un groupe interservices sur ce problème.
Par ailleurs, Mme Bonino a répondu sur: 1) passage de l'aide d'urgence à la réhabilitation: répondant à M. Pradier (Alliance radicale européenne, français), Mme Bonino a dit que l'Union européenne "n'est pas la Croix Rouge"; elle ne doit pas se limiter à fournir de l'aide et doit assumer une responsabilité non seulement pour la prévention, mais aussi pour la solution des conflits; 2) prévention: il faut développer le "pilier prévention", a dit, en se plaçant dans la perspective de la Conférence de 1996, Mme Bonino au président de la commission du développement M. Kouchner (groupe socialiste, français), qui souhaitait une véritable "stratégie" d'ECHO. L'Office peut déjà intervenir directement ou il peut le faire par le biais des ONG, a rappelé M. Bonino, qui a estimé qu'il serait peut-être préférable, à l'avenir, de concentrer les actions sur certaines régions, sans se limiter à la simple distribution d'aide, mais en assumant davantage de responsabilités. En 1996. ceci devrait devenir une véritable politique
de l'Union, a-t-elle estimé.
Pêche: Mme Bonino craint qu'on se trouve dans une situation de crise structurelle Mme Bonino a été questionnée pendant deux heures par les membres de la commission de la pêche. Certains l'ont encouragée, comme M. MacCartney, membre du Scottish National Party (et du groupe de l'Alliance démocratique européenne), qui l'a invitée à se rendre dans le Nord-Est de l'Ecosse pour connaître la situation de près. Oui (mais pas en hiver), a-t-elle répondu, ajoutant qu'elle préférait se rendre compte des problèmes sur le terrain plutôt qu'en se plongeant dans un dossier de trois mille pages. Etant Italienne, je n'ai pas d'"intérêts particuliers" à défendre en cette matière, et c'est sans doute une bonne chose, a-t-elle estimé. Je suis convaincue que, dans ce secteur, il faut "rebâtir la confiance", et prouver que l'Union européenne ne discrimine pas l'un ou l'autre. Justement, a répliqué M. Nicholson (conservateur britannique), les pêcheurs n'ont pas confiance dans les "preuves scientifiques" que les instances de l'Unio
n européenne leur donnent (il se référait en particulier au problème des filets dérivants). Que pensez-vous des pêcheurs qui "prennent les choses en mains", bloquent les camions venant d'autres pays, jettent les poissons sur les routes ? a-t-il demandé. Je défends le droit à ne pas être d'accord, mais il ne faut pas que cela lèse les autres, a répondu Mme Bonino.
Le problème des filets dérivants a été posé par plusieurs autres parlementaires, comme la Verte irlandaise Mme McKenna et M. Imaz (PPE, espagnol), qui a rappelé que le PE avait voté à grande majorité le rapport Fraga demandant l'interdiction de ces filets à partir du premier janvier 1995. Sur la base de l'avis du Comité scientifique, la Commission a proposé une solution de compromis (l'interdiction des filets dans quatre ans, afin de permettre la reconversion des pêcheurs concernés), a rappelé Mme Bonino, notant que la politique est souvent compromis et médiation.
Mme Bonino a été attaquée par M. Martinez, du Front National (français), qui a dit que c'était un scandale qu'on lui ait confié le dossier de la pêche, et s'est laissé aller à des observations déplaisantes du genre: vous qui êtes pour la liberté de la drogue, pensez-vous que la recherche ira jusqu'au point de développer des algues hallucinogènes ? Rappelez-vous de Mme Cresson qui, ministre de l'agriculture, avait été jetée, après un seul mois, par les paysans dans une fosse de purin; vous, vous ferez sans doute une belle sirène au fond de la mer. M. Arias Cañete (PPE, espagnol), président de la commission de la pêche, a réagi très froidement, et Mme Bonino, calmement, a dit qu'elle n'avait "pas envie d'accepter ce niveau de dialogue", qu'elle attendait à être jugée sur le terrain, qu'elle savait très bien combien la vie des pêcheurs est dure, et que ses opinions personnelles sur la drogue n'avaient rien à voir avec les pêcheurs. La socialiste française Nicole Péry, élue du Pays Basque, tout en critiquant cer
tains aspects de l'exposé de Mme Bonino (je ne voudrais pas, a-t-elle dit, que la nécessité de conservation des ressources devienne une priorité au détriment du développement des activités de pêche), a pris sa défense et déclaré sa confiance en elle. Ce qu'a fait aussi le conservateur britannique Provan, qui a appelé Mme Bonino une bonne "lutteuse" (une "bonny fighter", diraient les Ecossais, a-til noté), et s'est souvenu de juillet 1979, lorsqu'Emma Bonino et Marco Pannella avaient semé le "chaos" au Parlement (en défense des petits groupes politiques: NDR), mais en faisant en même temps "beaucoup pour la démocratie parlementaire".
En répondant à d'autres questions (notamment de M. Roubatis, socialiste grec), Mme Bonino a aussi reconnu les problèmes de la pêche en Méditerranée et des "petits" pêcheurs face aux grands intérêts économiques. Sur le plan institutionnel, elle a dit qu'elle ne s'opposerait pas en principe à l'application de la procédure de codécision Parlement/Conseil aux "grands choix" en matière de pêche. Et, répondant à M. Baldarelli (élu du PDS italien), elle a dit que ses positions en matière européenne étaient différentes de celle du ministre des Affaires étrangères italien M. Martino. Je reste une fédéraliste convaincue, et j'espère pouvoir beaucoup travailler avec tous sur la Conférence Intergouvernementale de 1996, a-t-elle affirmé plus tard en parlant avec quelques journalistes.