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Ferro Marc, Liberation - 11 gennaio 1995
Histoire de la Tchétchénie.

LES TCHETCHENES, ENTRE RUSSES ET MONTAGNES.

par Marc Ferro

SOMMAIRE: La répression eltsinienne a réanimé, sur les contreforts du Caucase, la longue histoire de peuples, qui, depuis près de 500 ans, affrontent les Russes pour défendre leur autonomie. (Libération, 11-01-1995)

Il convient de situer le passé des Tchétchènes dans un contexte ancien, pour mieux comprendre les données du conflit actuel, en mesurer l'acharnement et vérifier s'il peut s'étendre à d'autres républiques caucasiennes de la Fédération de Russie. Sans doute en connaît-on l'histoire immédiate: on sait qu'au sein de cette Fédération, seuls les Tatars de la Volga et les Tchétchènes avaient refusé le nouveau pacte fédéral proposé par Moscou il y a trois ans et que si les Tatars ont fini par s'y rallier, les Tchétchènes l'ont au contraire rejeté et ont proclamé unilatéralement leur indépendance. On sait également que Moscou a accepté que les Ingouches se séparent de ces derniers. Au reste, on ne voit pas à quel titre les Tchétchènes auraient dû reconnaître la légitimité d'une Fédération qui ne doit son statut qu'aux aléas propres de l'histoire soviétique, alors que les Républiques fédérales s'étaient, elles, rendues indépendantes. L'ancienneté de l'annexion est le seul argumentaire que Moscou puisse mettre en avan

t : il ne serait légitime que si une notable partie de la population y souscrivait. Ce n'est pas le cas.

La poussée des tsars russes vers la mer Caspienne date, en fait, de la victoire d'Ivan le Terrible sur les Tatars de Kazan en 1552, puis de leur lutte contre les khans de Crimée. C'est pour attaquer ceux-ci qu'ils s'emparèrent d'Astrakhan, en l558. Les successeurs fondèrent alors Terki, aux bouches du Terek. La fondation de Terki (pas loin de Tumenski) faisait de la Russie une puissance caucasienne, car tout un réseau d'affluents descendait de ces montagnes pour atteindre la rive droite du Terek. C'est à cheval sur la Soundja, l'Argoun, que se trouvaient les Tchétchènes avec, en leur dos, des montagnes de 5.000 mètres, tel le mont Kasbek. A cette date, la Tchétchénie, ou terre d'Okotsk, constituait une partie de la Kabarda, ou Kabardie, une communauté de petits princes, surtout tcherkesses, en lutte contre les khans de Crimée, ce puissant Etat tatar en pleine expansion vers l'est, aux dépens, précisément de ces princes 'tcherkas' ou 'chavkais'.

Une fois la horde d'Astrakhan absorbée par Moscou, la Kabarda en appela au tsar pour se protéger des khans de Crimée; mais à force d'élargir le cercle des princes clients, les Russes se trouvèrent mêlés aux querelles propres des peuples du Caucase et, à l'issue des premières guerres livrées dans des conditions difficiles, ils préférèrent déguerpir (1594). Ils laissaient le terrain aux conflits qui opposaient la Perse, les Ottomans et les khans de Crimée.

Ces premières guerres avaient vu descendre du Daghestan et de Tchétchénie jusqu'à quinze mille cavaliers montagnards. A leur issue, les Russes ne gardaient que le port de Terki, qui devint bientôt une épave...

Un demi-siècle plus tard, et passé le "temps des troubles" Moscou reprit son offensive contre le "pays des cinq montagnes". En 1636, le grand voyageur Olearius constate qu'à Terki on reconstruit, on fortifie, on appelle des cosaques pour qu'ils remontent les vallées et installent des colonies. Cependant, les conflits internes entre Koumyks, Tchétchènes, Avars, déterminèrent aussi un mouvement de descente depuis les hautes vallées, tels ces princes et ces montagnards d'Okotsk, en Tchétchènie, qui jouaient les intermédiaires entre les Russes et les autres peuples de la montagne: l'un d'entre eux, soundchalei, rend la justice à Terki en 1614, un autre fait le voyage de Moscou.

C'est avec Pierre le Grand que l'expansion russe reprit, mais cette fois le long de la mer Caspienne. Le traité russo-turc, en 1724, en élimina la Turquie, jusques et y compris le khanat de Chirvan, où se développera la ville de Bakou.

Le shah d'Iran y souscrivit, mais les peuples de la montagne, du Daghestan notamment, étaient inquiets de voir les Russes de l'autre côté du Caucase, côté mer, sans doute mais capable désormais de les prendre a revers. Les Russes remotaient déjà

le Terek, fondaient Kizliar, et proclamaient l'annexion de la Kabardie (1739), les Tchétchènes apparaissant, notamment dans un traité avec Constantinople, en 1763, comme une partie de l'aire ciscaucasienne appartenant à la Russie "car ce peuple nous est soumis depuis un temps ancien". Les ottomans reconnurent cette annexion de tout le Nord-Caucase par le traité de Küchük-Kainardji (1774), désormais, c'était toute la steppe entre Don et Volga qui réunissait la Russie et la Ciscaucasie.

Les Tchétchènes n'avaient pas été soumis pour autant. Le tsar ne fit rien pour assurer son autorité sur les peuples Montagnards: il créa seulement une ligne militaire pour relier la mer d'Azov, la mer Noire et la mer Caspienne, seules les mines d'Ossétie présentant alors de l'intérét.

Autour de 1800, Paul Ier précisa que les princes des montagnes - Tcherkesses, Ossètes, Koumyks, devaient être considérés "comme des vassaux et non comme des sujets": "Ces peuples ne sont pas organisés, il faut acquérir confiance en leur donnant des grades dans l'armée, de l'argent", en empêchant les Cosaques de les déssaisir de leurs terres. Il faut surtout introduire chez eux des institutions nouvelles, car ces peuples sont "pervers, désobéissants et opiniâtres". Une partie des Ossètes s'était convertie à l'orthodoxie: les autres Yabardiens (Tcherkesses, Avars) jurèrent sur le coran "de ne pas leur causer violence".

A nouveau tous unis, comme au début du siècle précédent, les Tchétchènes, les Ingouches, les Kabardes ont créé une union des peuples de la montagne, bientôt prise en main par les religieux musulmans, notamment l'iman Châmil (1) au Daghestan, qui promettaient "la corde à tous ceux qui écrivent de gauche à droite".

Ils attaquèrent les cosaques aussi bien que les colons et les villes (Vladicaucase, Grozny), de sorte que les soldats russes, au retour du front turc, tout pacifistes qu'ils fussent, refirent le coup de feu contre eux pour "défendre leurs frères et leurs femmes", c'est-à-dire des Russes, Ukrainiens, Arméniens et Géorgiens, plus ou moins associés à l'exploitation du pétrole.

En décembre 1917, Lénine et Staline lancent un appel aux "Turcs, Tatars et peuples de la montagne", pour leur dire qu'ils sont désormais libres. "Vos croyances et vos usages, votre culture sont désormais inviolables; organisez-vous librement. C'est votre droit. Connaissez vos droits comme les autres peuples de Russie et sous la protection puissante de la révolution et de ses organes, le soviet des députés ouvriers et soldats"(sic).

Sur place, les bolcheviks contrôlaient de plus en plus les forces qui luttaient contre les peuples de la montagne: elles adhérèrent au soviet des peuples du Terek, où se mêlaient mencheviks, cosaques, socialistes-révolutionnaires. Les radicaux ossètes se joignirent à cette coalition, qui fut dirigée par un Géorgien bolchevik. Les Ingouches et les Tchétchènes demeurèrent en dehors. Cette coalition capota pourtant sur la réforme agraire, les cosaques faisant sécession et renversant le soviet : alors le bolchevik Ordjonikidze se réfugia dans les montagnes des Ingouches, qui, avec les Tchétchènes, aidèrent à ce retournement d'alliances comme la guerre civile en connut tant; un peu plus tard, leur récompense devait être la création d'une République autonome tchétchène-ingouche: face aux Blancs ils avaient sauvé l'ordre soviétique dans la République du Terek...

Pourtant, les soubresauts du Caucase pendant les années 1919-1921, l'intervention de la Turquie dans les conflits avec la Géorgie et l'Arménie, ressuscitèrent les méfiances de naguère. Plusieurs divisions de l'armée Rouge vinrent "rétablir l'ordre" et des soulèvements éclatèrent en Tchétchénie jusqu'en 1928, l'origine des soulèvements étant la politique antireligieuse du régime. Musulmans, les Tchétchènes semblaient peu » fiables , tout comme les Ingouches, les Kalmuks, les Balkars, et Staline décida leur déportation massive en Sibérie. Ils suivirent les Tatars de Crimée, déportés eux aussi, dès que l'avance allemande se rapprocha de ces régions (1943). Cette déportation concerna environ un million sept cent mille personnes. Réhabilités par Khrouchtchev, certains d'entre eux revinrent au pays mais demeurèrent toujours suspects...

L'histoire avait divisé une fois de plus ces peuples, tantôt associés, tantôt rivaux: pour l'essentiel, les Ossètes étaient devenus les associés des Russes - ils étaient orthodoxes, comme l'était Staline d'ailleurs, dont on disait en Géorgie que le père était ossète.

Aujourd'hui le besoin d'indépendance a pris la relève de cette exigence d'autonomie que souhaitaient, à l'origine, les dirigeants de Grozny. Les Tchétchènes voulaient bénéficier des avantages de leur pétrole, de leur situation géographique. La répression eltsinienne a réanimé la longue histoire de ces pays. Elle peut la secouer plus encore.

* historien, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales.

(1) Châmil: Chef musulman du Daghestan, il mena entre 1834 et 1859 une guerre infatigable contre les Russes à la tête des tribus montagnardes du Caucase. Contraint finalement à se rendre, avec ses cent derniers partisans, il fut assigné à résidence en divers endroits de la Russie puis autorisé, en 1869, à faire le voyage de La Mecque. Il se retira alors à Médine, où il mourut en 1871.

BIBLIOGRAPHIE:

A. AVTORKHANOV,

» The Chechens and the Ingush during the Soviet period , in 'The North Caucasus Barrier', sous la dir. de Marie Benningsen-Broxup, Hurst, London.

Roger CARATINI,

'Dictionnaire des nationalités et des minorités en URSS', Larousse, 250 pp.

Boris NOLDE,

'la Formation de l'Empire russe', Paris, Institut d'études slaves, 1952, 2 vol., 276 pp. et 300 pp.

M. KAHN, F. LONGUET-MARX, C.MOURADIAN, C. URJWICZ,

articles in "l'Etat de toutes les Russies", sous la direction de M. Ferro et M.-H. Mandrillon, éd. de la Découverte, 1994.

 
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