INTERVENTION DE FRANCOIS MITTERRAND, PRESIDENT EN EXERCICE DU CONSEIL, DEVANT LE PARLEMENT EUROPEEN
SOMMAIRE: A l'occasion de l'ouverture de la présidence française de l'Union européenne, François Mitterrand livre son testament politique européen en commençant par un hommage appuyé - une fois n'est pas coutume - au Parlement européen: "Plus il y aura d'Europe, plus cette Europe doit être démocratique, plus elle doit être parlementaire. Alors, travaillons-y.".
Parlant du programme de la présidence française il définit quatre priorité "la croissance et l'emploi", l'affirmation "dans sa diversité, (de) l'identité culturelle de l'Europe", le renforcement de "la sécurité des Européens, sur le plan externe comme sur le plan interne", et la préparation "(...) dans les meilleures conditions possibles, (...) de la conférence intergouvernementale de 1996." Une conférence qui devra, selon lui, concilier les "élargissements ultérieurs de l'Union" et le renforcement de "l'Union existante."
Après un long plaidoyer en faveur de l'union monétaire, il s'arrête longuement sur la question de "l'adhésion des citoyens" au projet européen, avertissant que "les grands espaces ouverts peuvent engendrer (...) un sentiment d'angoisse" et met en garde contre les risques "d'une espèce d'agoraphobie européenne". Raisons pour lesquels Europol tout comme l'harmonisation du "droit d'asile et d'immigration" sont, selon lui, particulièrement importants. Quant à l'Europe de la culture il la conçoit, notamment, à travers la défense du "plurilinguisme" et la création d'une "Agence européenne de la culture chargée de promouvoir les différentes cultures européennes".
Le chapitre de la politique étrangère et de sécurité commune l'amène à inciter à la patience et à la prudence "il vous a fallu une génération pour que soit réalisé le grand marché des biens, des services, des capitaux. Il ne sera pas plus aisé, et peut-être plus difficile, d'harmoniser des intérêts politiques qui ont été fabriqués par des siècles et des siècles de luttes, de combats militaires, d'influences diplomatiques et culturelles, d'inimitié, parfois de haine, entre nos peuples." La mise en garde finale "le nationalisme, c'est la guerre!" (Strasbourg, le 18 janvier 1995)
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, comme vous le savez, à l'évidence, depuis le 1er janvier de cette année, la France préside l'Union européenne. Aussi ai-je tenu, une fois encore, à me rendre devant votre Assemblée pour y exposer le programme que la présidence française s'est fixé.
J'ai considéré que c'était un devoir à votre égard, c'est-à-dire à l'égard de la représentation populaire. Après tout, n'était-ce pas la meilleure façon de souligner tout à la fois l'importance que la France attache à la construction de l'Europe, d'une Europe toujours plus unie, et la place éminente qui revient au Parlement européen dans cette grande entreprise. C'est un sujet dont on discute souvent. Pour moi, je suis guidé par une idée simple: les compétences et les droits du Parlement doivent accompagner le renforcement des structures de l'Europe. Plus il y aura d'Europe, plus cette Europe doit être démocratique, plus elle doit être parlementaire. Alors, travaillons-y.
(Applaudissements)
Ce n'est pas simplement pour obéir aux usages, mais je rendrai d'abord hommage, parce que c'est aussi lui rendre justice, à Jacques Delors et à la Commission précédente, dont l'action, tout au long de ces années, a été si déterminante. Et je suis convaincu que Jacques Santer - je n'interviens pas dans vos débats - parce que je le connais bien et que je l'apprécie, à la tête de la nouvelle Commission, saura poursuivre cet élan.
Je veux saluer également l'action de la présidence allemande qui nous a précédé. Enfin, je veux souhaiter aux trois nouveaux États membres, une chaleureuse bienvenue parmi vous et parmi nous. Avec eux, l'Union européenne se sent plus forte, plus représentative et donc plus légitime encore, au regard du grand dessein historique qu'elle incarne. Car, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, ce dont il s'agit, ce dont nous avons à parler, c'est bien d'assurer à l'Europe la place et le rôle qui lui reviennent dans un monde à construire. Une Europe puissante, économiquement, commercialement, unie monétairement, active sur le plan international, capable d'assurer sa propre défense, féconde et diverse dans sa culture. Cette Europe-là sera d'autant plus attentive aux autres peuples qu'elle sera plus assurée d'elle-même.
Alors, nos priorités vous paraîtront banales et j'espère qu'elles le sont parce que cela marquera tout simplement la continuité des présidences, - l'Allemagne hier, l'Espagne et les autres demain, qui ont pour mission de contribuer, autant que possible, à la réussite de notre entreprise. Je vais préciser ces priorités, mais il y a peut-être une spécificité française. Ce sera à vous de l'estimer.
Nos priorités, que je vais détailler devant vous, visent à favoriser la croissance et à développer l'emploi. Elles tendent à affirmer, dans sa diversité, l'identité culturelle de l'Europe. Vous verrez que j'insiste sur ce point. Elles ont pour but de mieux assurer la sécurité des Européens, sur le plan externe comme sur le plan interne, et d'engager dans de meilleures conditions, ou du moins dans les meilleures conditions possibles, la préparation de la conférence intergouvernementale de 1996. Ces priorités ont été définies et nous avions à l'esprit le double impératif auquel l'Union devra faire face dans les années qui viennent.
Premier impératif: mettre pleinement en application le traité sur l'Union européenne que nos parlements et nos peuples ont solennellement ratifié. J'avais tenu, quant à moi, à ce que le peuple français fut lui-même acteur dans cet événement majeur de notre histoire. Ne sous-estimons pas l'importance de l'instrument dont nous nous sommes dotés, même si l'on peut en critiquer bien des aspects, notamment le langage administratif un peu compliqué, un peu technocratique. Mettre au point un texte aussi long et aussi compliqué, avec des participants aussi divers et des langues aussi changeantes, ce n'est pas non plus la manière la meilleure de bâtir un chef d'oeuvre littéraire. Mais c'est un traité qui vaut la peine d'être étudié. Il existe, il a été adopté, il est important et je souhaite qu'on l'applique. Je ne dis pas qu'il ne faille pas le changer, mais je souhaite qu'on l'applique d'abord. D'ailleurs nous y avons souscrit, qu'il s'agisse de l'institution d'une monnaie unique, de la mise en oeuvre d'une vraie p
olitique étrangère commune, de la construction progressive d'une défense indépendante, ce qui ne veut pas dire déliée de tous ses engagements à l'égard de ses alliés. L'Europe que nous avons constituée a ses préférences et nous y restons fidèles, par exemple, la libre circulation des hommes, ou encore l'affirmation de la citoyenneté européenne.
Deuxième impératif, se préparer aux élargissements ultérieurs de l'Union. Il y a entre ces deux impératifs un lien logique: plus l'Europe s'affirme sur le plan interne et plus sa force d'attraction s'exerce sur les autres pays démocratiques d'Europe, car il s'agit bien de cela. Encore faut-il que ces deux objectifs ne se contredisent pas. C'est là la difficulté, car il faut élargir, mais il faut aussi renforcer l'Union existante. Il ne faut pas que l'élargissement affaiblisse ce qui existe et il ne faut pas que ce qui existe empêche l'élargissement de l'Union aux limites de l'Europe démocratique. C'est un problème difficile à régler, mais je vous demande d'y prendre garde. C'est peut-être la question la plus difficile que vous aurez à résoudre au cours des années à venir.
Le premier domaine d'action vise l'économie et l'emploi. Nos pays viennent de vivre une crise économique sans précédent par son ampleur dans notre histoire récente. Je suis persuadé que si la Communauté européenne n'avait pas existé, l'intensité du phénomène aurait été beaucoup plus forte et ses effets sur la cohésion interne de nos sociétés, beaucoup plus grave. Elle nous a en effet préservé des politiques aventureuses du chacun pour soi, de l'isolationnisme. Où en serions-nous, Mesdames et Messieurs, si nous avions dû traverser cette crise sans pouvoir s'appuyer l'un sur l'autre? L'objectif, maintenant, c'est d'accompagner par une démarche volontaire la reprise de l'activité, et d'améliorer l'emploi. C'est en agissant de manière coordonnée que nous serons les plus efficaces. La présidence française veillera à favoriser cette cohérence, à laquelle nous nous sommes collectivement engagés à Essen, à la lumière des conclusions du Livre blanc sur la croissance et l'emploi.
Mais au-delà de la coordination nécessaire de nos politiques, il faut aussi préparer, à plus long terme, les fondements d'une Europe dans laquelle s'exercera une nouvelle expansion économique forte, je l'espère; saine, je l'espère; durable, je l'espère. C'est possible, si nous savons utiliser pleinement trois de nos atouts majeurs. Quel est le premier de ces atouts? C'est la dimension de notre marché. Nous avons, jusqu'à présent, réussi pour l'essentiel à éliminer les barrières administratives, douanières, normatives, qui morcelaient ce vaste espace. C'est l'oeuvre qui a été accomplie grâce à l'Acte unique. Il nous reste à éliminer ou à réduire les autres obstacles, qui ne sont pas minces, y compris les barrières physiques qui freinent encore la fluidité de la circulation des hommes, des marchandises et des idées.
C'est à cela qu'est destiné, par exemple, le programme des réseaux transeuropéens et que, du nord au sud, de l'est à l'ouest, les Européens soient reliés entre eux par des moyens modernes, rapides, sûrs - rail, route, avion - que les énergies irriguent nos régions, que les informations s'échangent grâce aux techniques et aux infrastructures les plus avancées. Quel progrès, Mesdames et Messieurs, et comme nous nous sentirons plus forts et plus fiers de nous si nous y parvenons, plutôt que de segmenter, à la limite de nos frontières, nos moyens de communication.
Le deuxième atout c'est, bien sûr, l'union économique et monétaire, complément naturel et indispensable à mes yeux du marché unique, sans laquelle le marché unique, que j'ai tant voulu, avec d'autres naturellement, qui a été tant travaillé, serait une charte de l'anarchie et des concurrences les plus illicites. Les tensions monétaires que nous avons connues et que nous connaissons aujourd'hui, en tout cas depuis quelques semaines, montrent la nécessité de progresser le plus rapidement possible vers la monnaie unique. Je sais qu'on en discute toujours, qu'on n'en est pas convaincu. En tout cas, je vous communique ma conviction personnelle, que je crois partager avec la plupart des responsables français. C'est la seule façon de faire de l'Europe une grande puissance économique et monétaire et le meilleur moyen d'assurer à nos économies une croissance soutenue.
(Applaudissements)
Il est impératif, même si je sais que d'autres ont parlé différemment - mais je suis là pour exprimer ma pensée et celle de la France - il est donc impératif, même si j'en sais la difficulté, peut-être même l'aspect illusoire, étant donné l'état d'esprit de beaucoup, de respecter le calendrier que nous nous sommes fixé et de faire en sorte de pouvoir parvenir à la monnaie unique dès 1997.
(Applaudissements)
Naturellement, comme nous nous sommes donné une certaine latitude - 1997, 1999 - et que, dans les conversations particulières, on parle même d'attendre le début du siècle prochain, naturellement, on sera tenté d'opter pour la solution la plus facile, c'est-à-dire celle qui fera durer les choses, en les compliquant. Je souhaite donc que les choses suivent le cours fixé. Notre présidence française fera le maximum pour préparer cette échéance et dans cette perspective, utilisera au mieux toutes les procédures de coordination de nos politiques économiques. D'ici l'an prochain, d'ailleurs, nous les renforcerons encore. J'espère que cette déclaration de principe se traduira dans les faits, et notre diplomatie y travaille activement.
Il faudra également régler les problèmes liés à l'introduction de l'écu. C'est tout à fait essentiel, ou bien nous parlons pour ne rien dire. Enfin, nous souhaitons que l'Institut monétaire européen, qui préfigure ce que sera la Banque centrale européenne, puisse jouer pleinement son rôle. Notre voeu est évidemment que tous les États qui ont souscrit à ces mêmes objectifs puissent, si possible dans les délais prévus, franchir le cap de la troisième phase de l'union monétaire. La porte restera bien sûr ouverte aux États qui ont estimé ne pas pouvoir s'engager encore sur la monnaie unique. Je comprends leurs difficultés. Nous nous les sommes posées à nous-mêmes; ne croyez pas que ce soit facile pour la France: les conditions sont strictes, sévères. Le problème est celui de la volonté politique. Eh bien, je suis sûr que ceux qui ne sont pas encore parmi nous nous rejoindront, à la condition que nous-mêmes ne fléchissions pas en cours de route.
Enfin, le troisième atout dont nous disposons, c'est notre excellence technologique. Innombrables sont les inventions nées de l'esprit de nos chercheurs. Ce capital ne demande qu'à fructifier, si nous savons l'exploiter comme il convient, et à la dimension de notre continent. Je n'en dirai pas plus, mais dans votre esprit s'impose sans aucun doute l'extraordinaire série de réussites technologiques, scientifiques, inventives, innovatrices qui sont intervenues depuis la moitié du XIXè siècle, et tout cela en Europe, et par l'Europe, sans naturellement exclure ceux qui, ailleurs, ont contribué au progrès général.
Je sais combien vous, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, êtes attentifs à cette question. Je sais l'importance qu'a, à vos yeux, le programme-cadre de recherche et développement. Et vous avez raison! Il faut donc en convaincre tous les gouvernements. Et je vous donne l'assurance qu'en liaison, naturellement, avec la Commission, la présidence française veillera à la mise en oeuvre de ce programme et à son articulation avec les besoins du marché.
A côté de ces vastes objectifs, nous aurons soin de ne pas négliger d'autres tâches: le progrès du marché intérieur, la conduite des politiques communes, le respect des engagements pris en matière d'environnement. Je songe en particulier à la lutte contre l'augmentation de l'effet de serre, ou simplement, dans un domaine tout à fait différent, la protection des consommateurs. Les exemples pourraient être multipliés. Un sujet devrait aussi, à notre avis, faire l'objet de propositions concrètes, celui - et je sais que tout le monde ne sera pas d'accord avec moi, mais nous sommes venus pour exprimer notre pensée - celui, dis-je, du service public ou du service d'utilité publique. De tels services, dès lors qu'ils seraient encadrés dans une règle du jeu commune, édictée - par exemple - sous la forme d'une charte européenne, contribueraient utilement aux objectifs que nous nous sommes fixés. Une Europe économique et monétaire forte, voilà la condition du bien-être des Européens. Mais est-il nécessaire de soutenir
devant vous, vous qui êtes les élus des peuples européens (non, je le fais par souci de logique dans mon exposé), que la construction de cette Europe-là ne sera possible que par l'adhésion réelle des citoyens eux-mêmes? Une des difficultés principales que nous avons rencontrées pour obtenir l'accord de nos concitoyens au sujet du traité de Maastricht, ça a été l'effet de surprise: un certain nombre de gens informés, de gens qui voyagent, de gens qui ont des échanges internationaux, ou bien la partie du public qui lit, qui s'informe, qui étudie, était acquise à l'Europe. On s'était peut-être un peu trop reposé là-dessus. Le peuple, dans ses profondeurs, était pour, mais ignorait les conditions nécessaires pour y parvenir, lesquelles conditions pouvaient paraître contraignantes et paraissent contraignantes.
Depuis l'origine de la Communauté, j'ai défendu, comme beaucoup d'entre vous, l'idée que nous devions construire une Europe sociale. Le Fonds social européen, l'Espace social européen, la Charte sociale, l'accord sur la politique sociale - annexé au traité de l'Union européenne - la prise en compte des normes sociales dans la préférence européenne sont autant d'avancées, mais je ne cacherai pas qu'à Maastricht, j'aurais préféré qu'on allât plus loin et que l'on reprît dans le traité la totalité de la Charte sociale.
(Applaudissements)
Ne nous y trompons pas: les marchés ne sont que des moyens, des mécanismes dominés trop souvent par la loi du plus fort, des mécanismes qui peuvent engendrer l'injustice, l'exclusion, la dépendance, si des contrepoids nécessaires n'y sont pas apportés par ceux qui peuvent s'appuyer sur la légitimité démocratique. A côté des marchés, il y a place pour les activités économiques et sociales fondées sur la solidarité, la coopération, l'association, la mutualité, l'intérêt général, bref, le service public. Or, aujourd'hui, si nous avons tracé le contour de l'Europe sociale, il n'y a pas de contenu. Et n'est-ce pas une oeuvre exaltante, passionnante, que de le mettre, ce contenu? N'est-ce pas le travail des mois et des années prochains? Je regarderai de l'extérieur, à ce moment-là, les avancées sociales, et je me réjouirai chaque fois que je verrai l'ensemble des représentants européens s'associer, au-delà de leurs divisions naturelles et de leurs opinions diverses, pour que l'Europe à construire ne soit pas qu'un
jeu de mécanique, ou de Meccano, mais soit l'oeuvre puissante d'hommes qui construisent leur histoire. Or, aujourd'hui, c'est un peu difficile, et je souhaite qu'en liaison avec les partenaires sociaux, nous prenions des initiatives dans les domaines de la formation, de l'éducation, de l'organisation du travail, de la lutte contre les exclusions. Rien ne se fera vraiment si les partenaires sociaux ne trouvent pas la place qui doit être la leur dans la construction de l'Europe.
(Applaudissements)
Dans cet esprit, la présidence française prépare, en concertation avec les États membres et les organisations syndicales et professionnelles, une conférence en vue de rénover le dialogue social. L'accord sur la politique sociale annexé au traité de Maastricht prévoyait que le dialogue entre partenaires sociaux pourrait déboucher sur des accords européens. Je pense que le temps est venu pour les uns et pour les autres d'envisager la négociation de contrats sociaux européens qui préfigureront un nouveau droit social. Le travail effectué par le président Delors et par la Commission, avec les organisations sociales et professionnelles, sera à cet égard fort utile. L'un des premiers thèmes de négociation pourrait être l'exploration d'une proposition du Livre blanc: c'est déjà un document connu, tendant à l'organisation de la formation tout au long de la vie.
Qu'il me soit également permis, Mesdames et Messieurs, de mettre l'accent sur le thème de la dimension sociale des échanges, afin de rappeler la nécessité de bâtir les relations économiques internationales sur le respect des droits fondamentaux. Je prends des exemples: ceux des travailleurs, ceux des femmes, dans certaines sociétés, presque partout ceux des enfants, des organisations sociales, professionnelles, des prisonniers. Nous avons progressé sur cette voie au sein de l'Europe, et, grâce au président Clinton, avec les États-Unis d'Amérique. Mon souhait serait que tous les pays européens puissent parler d'une seule voix, notamment au sein de l'Organisation internationale du travail, de la nouvelle Organisation mondiale du commerce, en s'inspirant des textes qui existent et, en particulier, du rapport que vous avez adopté. Voilà une base de travail et de réflexion, ce n'est pas la peine de l'inventer! C'est fait! Ce travail, vous l'avez accompli. Avançons maintenant. En tout cas, la France proposera un m
emorandum dans ce sens.
Enfin, il me semble indispensable que le monde social apporte sa contribution aux réflexions en cours sur le fonctionnement de l'Union. J'envisage donc, après m'en être entretenu avec les représentants des forces sociales européennes, à diverses reprises, de proposer qu'un petit groupe de personnalités sociales indépendantes soit chargé d'établir un rapport sur les moyens de faire progresser cette Europe-là. Ce rapport viendrait compléter ceux qui ont été ou seront établis par vous-mêmes, par le Conseil, par la Commission, pour l'exécution du traité existant. Et vous comprenez à quel point il est indispensable que les négociateurs puissent disposer, lorsque s'ouvrira la conférence intergouvernementale de 1996, du point de vue et des suggestions des acteurs sociaux sur l'évolution souhaitable de l'Union.
L'Europe, ai-je dit, doit rencontrer l'adhésion des citoyens. Les grands espaces ouverts peuvent engendrer, engendrent un sentiment d'angoisse. Et il faut prendre garde à ne pas laisser s'installer chez nos concitoyens une sorte de refus de l'autre, de refus de l'étranger, ou bien une espèce d'agoraphobie européenne. Elle existe! Pour éviter cela, donnons plein effet aux dispositions prévues dans le traité sur l'Union européenne. Il faut bien le constater, ce n'est pas encore le cas. Je ne méconnais pas le caractère délicat des problèmes traités, les précautions à prendre pour s'assurer qu'une action européenne ne serait pas moins efficace que les actions nationales, le souhait avec lequel on se doit de préserver les libertés de l'individu et les règles protectrices du droit ne doit pas être affaibli par la création de l'Europe. Mais nos concitoyens attendent beaucoup de nous, croyez-moi, dans ces domaines, même s'ils sont souvent en état de crainte ou de méfiance. C'est pourquoi, il convient de veiller - no
us le ferons, nous, avec le Premier ministre de la République française, les ministres français en charge de ces affaires - à ce que notre présidence fasse avancer plusieurs dossiers importants.
Je pense d'abord - et je n'insisterai pas, puisque la France a été un acteur de ce débat, mais enfin, je vous donne ma pensée - je pense d'abord à la Convention créant Europol.
(Applaudissements)
Il faut qu'elle soit conclue rapidement et que soit mis en place l'organisme prévu. Ainsi l'avons-nous décidé à Essen. On ne peut pas retarder éternellement les décisions pour des raisons souvent de bon sens, mais qui tendraient à se substituer, selon nos capitales, à la règle générale qui veut que nous avancions en commun, notamment pour la sécurité.
Pour le droit d'asile et d'immigration, il reste beaucoup à faire: pas commode d'harmoniser les choses! Je pense, en particulier, à l'entrée en vigueur de la Convention de Dublin sur la détermination de l'État responsable d'une demande d'asile et l'adoption du règlement établissant la liste commune des pays dont les ressortissants sont soumis à visa. Je suis mêlé depuis trop longtemps aux affaires publiques pour ignorer la difficulté de ces débats et pour ne pas savoir qu'il faut avoir un très grand sens civique et une puissante conviction européenne pour passer dessus un certain nombre de préférences nationales. Mais, vraiment, je vous en prie, faites-le comprendre à vos dirigeants. L'Europe sera celle des citoyens si les citoyens se sentent en sécurité en Europe et grâce à l'Europe.
(Vifs applaudissements)
Je pourrais en dire autant - mais je ne veux pas allonger à l'excès cet exposé - de la coopération judiciaire, de l'action coordonnée contre le trafic des drogues, du terrorisme international, du crime organisé. Lequel d'entre nous, d'entre nos pays - je vous pose la question - pourrait prétendre traiter et régler isolément l'un de ces fléaux? Qui en aurait la force?
Enfin, je ne verrais qu'avantage à ce que fussent comparées et confrontées nos expériences nationales en matière de politique d'immigration et d'intégration et à ce que fût poursuivie et complétée la lutte contre le racisme et la xénophobie.
Cette Europe, la nôtre, a besoin de s'incarner dans autre chose que des bilans économiques et des tonnages de fret. Dirais-je, mais je ne veux pas enfler mon langage, qu'elle a besoin d'une âme, afin qu'elle exprime (pour cela, soyons plus modeste) sa culture, sa façon de penser, les structures de nos cerveaux, le fruit des siècles de civilisations dont nous sommes les héritiers. Elles sont riches et diverses, les expressions de notre génie protéiforme, et nous pouvons faire partager, comme dans le passé, au monde tout entier - sans vouloir les imposer, ce qui changerait un peu du passé - nos idées, nos rêves et, dans ce qu'elles ont de bon, nos passions.
Les négociations du GATT, il y a un an, avaient fait prévaloir le principe de l'exception culturelle. C'était l'idée que les oeuvres de l'esprit n'étaient pas des marchandises comme les autres. C'était la conviction que l'identité culturelle de nos nations, le droit pour chaque peuple au développement de sa propre culture étaient en jeu. C'était la volonté de défendre le pluralisme et la liberté pour chaque pays, de ne pas abandonner à d'autres ces moyens de représentation, c'est-à-dire les moyens de se rendre présent à lui-même.
Depuis lors on n'a guère progressé, et il devient nécessaire, je vous l'assure, de donner à la dimension culturelle de la construction européenne le rang qui lui revient. Je suis de ceux qui en sont résolument partisans. Je représente la France, qui connaît les menaces qui l'entourent sur ce plan, qui sait très bien la rivalité des langages. Mais, si je pense à quelques autres, tout aussi respectables, dont les langues n'ont pas la dimension géographique de celle de la France qui, elle-même, n'a pas la dimension géographique de quelques autres, que deviendront le fond de l'âme, de l'expression, du gaélique, du flamand, du néerlandais?
(Applaudissements)
Et si je ne veux pas sembler isoler les plus petits ou les plus faibles, parce que les moins nombreux (ce n'est pas de la démographie, cela) je dirai qu'en réalité, si nous en avions vraiment conscience l'Italie, l'Allemagne, la France sont aussi menacées. Il n'y a guère aujourd'hui que la culture anglaise et américaine, la culture espagnole, qui soient en mesure d'affronter ces défis. Et, quelle que soit l'amitié que j'aie pour ces pays, j'aime bien parler ma langue plutôt que la leur.
(Applaudissements)
D'abord, pensons au domaine audiovisuel. Vous trouvez que c'est faire preuve d'un sectarisme excessif? J'espère que non. Dans le domaine audiovisuel, nous savons bien que la conscience, l'imaginaire, le savoir sont de plus en plus façonnés par l'image et qu'il n'y aura pas d'Europe sans image européenne. Alors que nous célébrons le centenaire du cinéma, l'art le plus populaire du siècle n'a jamais été si menacé dans chacun de nos pays. Il n'a d'ailleurs plus besoin d'être menacé dans un certain nombre de ces pays-là, car il a déjà disparu. Les aides communautaires n'ont pas permis d'enrayer le déclin. Elles n'ont pas pu susciter la naissance d'un véritable espace audiovisuel européen ni donner aux entreprises de nos pays dans ce secteur une dimension internationale.
Il est urgent d'accroître l'attrait et la circulation des oeuvres réalisées au sein de l'Union. Je ne demande pas des mesures protectrices. Je ne veux pas refuser l'apport considérable et souvent remarquable des cultures venues d'ailleurs, mais, quand même, le public européen a bien le droit de voir les oeuvres de ses propres créateurs. Il ne peut pas en être privé par des décisions arbitraires prises ailleurs, ou par la logique d'un marché aveugle ou la logique aveugle d'un marché. Je voudrais ne mécontenter personne. Cet objectif exige une réforme ambitieuse, rendue inévitable par le nouveau contexte technologique et économique. Mettons fin à la dispersion des efforts. Concentrons les aides sur quelques priorités, notamment sur la distribution. Adaptons la nature et le volume des moyens à l'ampleur de la tâche. Sait-on que les 200 millions d'écus alloués au programme MEDIA ne représentent qu'une journée de dépenses communautaires?
La présidence française tentera de réaliser une partie de cette ambition. Mais six mois, que représentent six mois? Cela pourrait bien nous faire réfléchir sur la durée des mandats consentis aux diverses présidences, bien que je ne demande aucun prolongement de la mienne.
(Rires et applaudissements)
Il faut éviter les confusions. Je ne dis pas cela pour vous, mais ce que l'on dit ici, on le connaîtra en France.
(Rires)
La présidence française soutiendra la refonte du cadre juridique de la diffusion audiovisuelle. Elle favorisera le développement des nouvelles technologies et leur application à la culture et à l'éducation. Elle s'attachera à réorganiser en profondeur le système d'aide aux industries de programme. J'insiste. Cela nous tient à coeur. On ne peut se satisfaire des moyens qui existent. . A fortiori, on ne peut pas revenir en arrière par rapport à ce qui a été réalisé en 1989, avec la directive "Télévision sans frontières" et en 1993, avec les résolutions du GATT. J'entends dire, ici ou là, qu'il faudrait renoncer à tout, au nom de je ne sais quel libéralisme. Abandonner les quotas de diffusion. Ne rien changer dans les médias, bref, laisser faire. Ce n'est pas l'avis de la France.
Mais l'image n'est pas le seul terrain de construction de l'Europe des cultures. L'Europe a besoin d'être mieux connue des Européens et j'ose dire, mieux aimée d'eux. Je rejoins là une partie de mon exposé de tout à l'heure. Il faut que les Européens aiment l'Europe. Pourquoi ont-ils défendu leur patrie, et ils doivent continuer de le faire s'il le faut? Parce qu'ils l'aiment. Pourquoi aiment-ils leur patrie ? Parce que c'est leur foyer, c'est leur horizon, c'est leur paysage, ce sont leurs amis, c'est leur identité. Si tout cela devait manquer à l'Europe, il n'y aura pas d'Europe. Or nous sentons bien qu'elle est à portée de notre main, si nous savons l'avancer avec assez d'audace et, le cas échéant, avec assez de prudence.
Je le répète, naturellement l'image n'est pas le seul terrain de construction de l'Europe des cultures ! Afin de fortifier notre approche, redécouvrons les lieux et les objets de nos mémoires communes. Je souhaite que soit conçu et mis en oeuvre un vaste projet de développement de ces lieux de mémoire européens. Enseignons également l'Europe. Apprenons-la à nos enfants. Que l'école les prépare à devenir des citoyens. Qu'elle développe l'enseignement de l'histoire, de la géographie et de la culture. Mettons l'accent sur les jumelages scolaires, universitaires, sur les échanges d'élèves et d'étudiants. Insistons sur le plurilinguisme. La France présentera, à cet effet, le projet d'une convention intergouvernementale sur l'apprentissage d'au moins deux langues étrangères. De même, amplifions nos efforts en faveur de la traduction des oeuvres. J'ai toujours remarqué que les Français, mes compatriotes, se plaignaient que leurs grands auteurs fussent si peu traduits dans certains pays de l'Europe centrale et orien
tale, par exemple. J'ai remarqué qu'en réalité c'étaient nous, les Français, qui ne traduisions pas leurs oeuvres et que nous plaignions d'un mal dont nous étions nous-mêmes responsables, car l'Europe des cultures c'est l'Europe tout entière.
(Applaudissements)
S'il est un domaine où la distinction entre l'Europe de l'Union et l'Europe de l'Est n'a aucun sens, c'est bien celui-là. C'est pourquoi je me permets de faire devant vous les deux propositions suivantes. La première, modeste mais concrète, pratique, peut être appliquée sans délai. Elargissons à l'ensemble des pays européens, à l'ensemble de ces pays, les manifestations culturelles emblématiques de l'Europe des Quinze. Prix littéraires, prix de traduction, orchestres de jeunes, capitale européenne de la culture, pour ne citer que quelques exemples. La seconde est plus ambitieuse. L'Union devrait, selon moi, prendre une grande initiative pour aider nos voisins de l'Est à réparer, dans le domaine de la culture notamment, les effets de l'isolement dans lequel ils ont vécu pendant un demi siècle. Une fondation ou une agence européenne de la culture pourrait concevoir, avec des moyens significatifs, un programme original de coopération avec ces pays pour promouvoir la sauvegarde de leur patrimoine, la rénovation
de leurs bibliothèques, de leurs musées, la reconstitution de leurs capacités de production et de diffusion audiovisuelles, le développement de la création et du spectacle vivant. Ils sont riches de créateurs. L'instrument s'est brisé dans leurs mains, pas par leur faute, simplement sous la domination de plus puissants qui ne s'intéressaient pas à ces choses. A nous de leur venir en aide le temps qu'il faudra. Ensuite, faites-leur confiance, ils s'arrangeront très bien eux-mêmes? Nous n'avons aucune leçon à leur donner, mais nous avons à en retenir. C'est ainsi que nous démontrerons que, loin d'effacer l'identité culturelle des nations, la construction européenne cherche à l'affirmer. L'Europe des cultures, Mesdames et Messieurs, c'est l'Europe des nations contre celle des nationalismes.
(Vifs applaudissements)
Avant de préparer ce discours, je me suis informé sur la longueur désirable. On peut tout faire, naturellement. On m'a dit: "il faut tenir trois quarts d'heure". Je vois que j'arrive. Je vais légèrement dépasser, mais pas beaucoup.
(Applaudissements)
Le traité sur l'Union européenne a prévu une politique commune étrangère et de sécurité. C'est une grande ambition et un objectif qui peut paraître à certains irréalisable, en tout cas de très longue haleine. Il exigera un persévérant effort. Mais, après tout, il vous a fallu une génération pour que soit réalisé le grand marché des biens, des services, des capitaux. Il ne sera pas plus aisé, et peut-être plus difficile, d'harmoniser des intérêts politiques qui ont été fabriqués par des siècles et des siècles de luttes, de combats militaires, d'influences diplomatiques et culturelles, d'inimitié, parfois de haine, entre nos peuples. Et pourtant, il faudra bien le faire. Avons-nous décidé, oui ou non, de franchir une étape en franchissant le siècle ? Le fait que plusieurs actions communes - même s'il faut en parler avec modestie - aient déjà pu être définies, parmi lesquelles un projet de règlement en Bosnie, ou bien le lancement du pacte de stabilité, constitue quand même un premier résultat. C'est une tentat
ive qui restera utile. En outre, la présidence française n'a pas ménagé ses efforts pour que l'Union soutienne, comme il convenait, les efforts de l'OSCE face à la crise tchétchène. C'est un sujet très difficile. Il s'agit de la partie d'un territoire reconnu. Il s'agit d'un pays qui existe en tant que tel et qui est souverain. Cependant des problèmes humains, ethniques de toutes sortes et d'une très grande gravité se posent. L'OSCE offrait vraiment le cadre qu'il fallait pour intervenir aussi utilement que possible, et je dois dire que notre diplomatie s'est engagée dans cette direction sans perdre un instant.
S'agissant du pacte de stabilité, la présidence française espère que la conférence de clôture, qu'elle accueillera les 20 et 21 mars prochains à Paris, permettra d'enregistrer les résultats positifs d'une année de concertation particulièrement active entre les participants. C'est ce même souci de stabilité que traduit le réseau très dense d'accords de coopération, de partenariat, d'association, que l'Union européenne a su tisser et continue de tisser avec les pays qui constituent son environnement international. Attachons-nous a compléter et à achever les négociations là où c'est possible, à les lancer là où c'est nécessaire. Je pense en particulier aux accords d'association avec la Tunisie, le Maroc, Israël, en cours de négociation; à l'accord d'union douanière avec la Turquie; à la poursuite du rapprochement avec Malte et Chypre en vue de leur future adhésion; aux accords à conclure avec l'Egypte, la Jordanie, que sais-je encore; à la préparation de la grande conférence euroméditerranéenne, si difficile à
mettre en place et qui, en fait, qui se tiendra, je le pense, je l'espère, sous la présidence de l'Espagne. Je pense à la négociation du 8e Fonds européen de développement en faveur des ACP que la France est déterminée à conclure sous sa présidence. Une stratégie a été définie à Essen pour les pays d'Europe centrale et orientale. Nous devons continuer à apporter notre soutien, également, au processus de paix au Proche-Orient.
Vous voyez que les points, les sujets sont nombreux, sur lesquels, en dépit de l'histoire qui nous a si souvent divisés, nous pourrons employer un langage commun et préparer des solutions communes. A propos du dernier point, je veux parler du Proche-Orient, je souhaite que l'Union européenne prenne les initiatives nécessaires pour faire face aux difficultés que rencontrent les pays du Proche-Orient dans les domaines de l'éducation et de la formation aux techniques informatiques, en concertation avec les responsables politiques, universitaires, financiers et les représentants des entreprises. S'agissant des relations extérieures de l'Union, je ne saurais omettre de mentionner l'Organisation mondiale du commerce. Celle-ci sera le cadre qui nous permettra de défendre les intérêts de l'Europe, en particulier dans les futures négociations sur des secteurs spécifiques comme l'aéronautique, l'acier et les services.
L'Union est donc déjà active sur la scène diplomatique mondiale. Il s'agit maintenant de poser les bases d'une véritable politique étrangère commune. Je n'en dissimule pas la difficulté, il faut la surmonter. Vous en sentez bien l'impérieuse nécessité. Voyez toutes ces crises qui éclatent autour de nous, dramatiques, meurtières: l'Algérie, la Bosnie, le Caucase, et la suite! Vous pouvez bien vous dire, comme je le fais cet après-midi, et la suite! Si vous voulez bien vous remémorer l'histoire de l'Europe, de son environnement immédiat, sans compter la suite qui nous attend, elle nous commande de mettre en commun nos analyses et nos informations, de confronter nos prévisions, de définir nos objectifs et nos formes d'action. Bref, je souhaite que la présidence française, mais aussi, car c'est un programme que les mois prochains ne permettraient pas de remplir, les présidences successives soient particulièrement vigilantes sur le respect des obligations auxquelles nous avons souscrit.
L'autre volet sur lequel il faut aussi avancer est celui de la politique de sécurité. Forger des analyses communes; renforcer le rôle de l'UEO, notamment ses capacités opérationnelles; donner une ampleur croissante au corps européen, ainsi qu'aux autres forces plurinationales européennes; favoriser sans tarder la constitution d'une véritable industrie moderne de l'armement; mettre sur pied l'agence prévue en ce domaine; pousser la coopération dans le domaine de l'observation par satellites, telles sont les tâches auxquelles la France invite ses partenaires à se joindre. Je comprends bien que cela puisse heurter des pays qui ont tenu à préserver tous les aspects propres à leur neutralité. Je demande simplement à chacun de ceux-là, sans vouloir en quoi que ce soit empiéter sur leur droit souverain, de bien comprendre que notre tâche commune est assez exaltante et que les progrès de l'un seront aussi les progrès de l'autre. Un jour viendra où ces efforts, quelque peu dispersés aujourd'hui, s'ordonneront au sein
d'une défense européenne. En tout cas, j'exprime mon souhait, dont l'évidente nécessité, dans le respect des alliances, s'imposera à tous.
Avant de terminer, je veux dire un mot des institutions. Nous aurons, en tant que présidence, à veiller à l'établissement du rapport du Conseil sur l'exécution du traité sur l'Union européenne. Ensuite, les représentants des États membres se réuniront, à partir de juin prochain, pour préparer la conférence intergouvernementale de 1996. Je ne veux pas anticiper sur un rendez-vous de cette importance, mais puisque je n'en serai plus un acteur direct, je souhaite vous faire part de deux idées simples.
La première, c'est qu'il faut, à mon avis, se garder de la fuite en avant. Les potentialités du traité sur l'Union européenne sont considérables. Son équilibre est raisonnable. Faire évoluer la construction, en améliorer le fonctionnement pour permettre les futurs élargissements, la compléter pour continuer de renforcer sa légitimité démocratique, et j'insiste sur ce point, dans son processus de décision. Faisons avancer l'Europe pour faire avancer la démocratie. C'est une maxime aussi forte que celle qui consiste à dire que sans démocratie, il n'y aura pas d'Europe!
(Applaudissements)
Tout çela s'impose et je sais que vous serez très vigilants sur ce point, car je suis vos débats avec assez d'attention pour ne pas ignorer les prises de position de la grande majorité d'entre vous. Après tout, une démocratie suppose un Parlement. Plus elle sera complète, plus les droits du Parlement doivent être eux-mêmes complets. On ne peut pas cantonner un Parlement dans un domaine réservé, selon le goût et les idées du moment des exécutifs qui choisiront toujours la commodité. Et la commodité, je pourrais la résumer en une phrase qui paraîtra peut-être iconoclaste, vu qu'elle n'exprime pas ma pensée: comme ce serait agréable une démocratie sans Parlement! Et mieux encore, sans élections!
(Rires)
Mais malgré tout, il ne serait pas sage que le sceau des ratifications qui est encore humide soit aussitôt réformé. Il faut préserver les grands équilibres institutionnels et réfléchissez, puisque c'est vous qui le ferez, réfléchissez bien avant d'agir. L'Europe s'est faite pas à pas. On peut élargir les enjambées, mais on ne peut pas prendre une allure qui ne serait pas conforme à notre nature.
La seconde remarque, c'est que nos futurs négociateurs commettraient une erreur - toujours à mon sens - si, par impatience ou lassitude, ils laissaient les élargissements se faire dans des conditions qui affaibliraient la cohésion et les disciplines de l'Union. J'insiste sur ce point: je suis tout à fait partisan de l'élargissement à toute l'Europe démocratique!
(Applaudissements)
Mais, en même temps, je ne voudrais pas qu'au moment où le dernier adhérent arrivera, il adhère à quelque chose qui n'existe déjà plus, parce que ruiné de l'intérieur.
(Applaudissements)
C'est une immense ambition politique qui vous appartient, une immense ambition politique. Réussir ce qui est beaucoup plus qu'un pari, réussir cet enjeu historique, eh bien, à vous de démontrer que vous en êtes capables, et je tiendrai le même discours aux gouvernements européens.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, est-il nécessaire de vous assurer, une fois encore, de la volonté de la présidence française de coopérer pleinement avec votre institution pour le succès de notre entreprise commune, édifier une Europe toujours plus unie et plus proche des citoyens? Je forme vraiment des voeux pour la réussite de vos travaux.
Je vous remercie pour la patience et l'attention avec lesquelles vous avez bien voulu m'écouter, et je terminerai par quelques mots qui seront plus personnels. Il se trouve que les hasards de la vie ont voulu que je naisse pendant la Première Guerre mondiale et que je fasse la Seconde. J'ai donc vécu mon enfance dans l'ambiance de familles déchirées qui, toutes, pleuraient des morts, et qui entretenaient une rancune, parfois même une haine, contre l'ennemi de la veille, l'ennemi traditionnel. Mais, Mesdames et Messieurs, nous en avons changé de siècle en siècle, les traditions ont changé toujours. J'ai déjà eu l'occasion de vous dire que la France avait combattu tous les pays d'Europe, je crois, à l'exception du Danemark. On se demande pourquoi...
(Applaudissements)
Mais ma génération achève son cours, ce sont ses derniers actes publics, et c'est l'un de mes derniers. Il faut donc absolument transmettre. Vous êtes vous-mêmes nombreux à garder l'enseignement de vos pères, à avoir éprouvé des blessures de vos pays, à avoir connu le chagrin, la douleur de la séparation, la présence de la mort, tout simplement par l'inimitié des hommes d'Europe entre eux. Il faut transmettre non pas cette haine, mais au contraire, la chance des réconciliations que nous avons, il faut le dire, à ceux qui, dès 1944-1945, eux-mêmes ensanglantés, déchirés dans leur vie personnelle, ont eu le plus souvent l'audace de concevoir ce que pourrait un être avenir plus radieux qui serait fondé sur la réconciliation et sur la paix. C'est ce que nous avons fait.
(Applaudissements)
Alors, je n'ai pas acquis ma propre conviction comme cela, par hasard; je ne l'ai pas acquise dans les camps allemands où j'étais prisonnier, ou dans un pays qui était lui-même occupé, situation que beaucoup d'entre vous ont connue, mais je me souviens que, dans une famille où l'on pratiquait des vertus d'humanité, de bienveillance, tout de même, lorsque l'on parlait des Allemands, on en parlait avec animosité. Et je me suis rendu compte, lorsque j'étais prisonnier de guerre, évadé, c'est-à-dire en état de m'évader, en cours d'évasion (j'ai rencontré des Allemands, et puis j'ai vécu quelque temps en Bade-Würtemberg, dans une prison, et je parlais avec les gens qui étaient là, des Allemands) je me suis aperçu, disais-je, qu'ils aimaient mieux la France que nous n'aimions l'Allemagne.
Je dis cela sans vouloir accabler mon pays, qui n'est pas le plus nationaliste, loin de là; je le dis pour faire comprendre que chacun a vu le monde de l'endroit où il se trouvait, et ses points de vue étaient généralement déformants. Il faut vaincre ses préjugés. Ce que je vous demande là est presque impossible, car il faut vaincre notre histoire, et pourtant, si on ne la vainc pas, il faut savoir qu'une règle s'imposera, Mesdames et Messieurs: le nationalisme, c'est la guerre!
(Vifs Applaudissements)
La guerre, ce n'est pas seulement le passé, cela peut être notre avenir! Et c'est nous, c'est vous, Mesdames et Messieurs les députés, qui êtes désormais les gardiens de notre paix, de notre sécurité et de cet avenir! Merci.
(Applaudissements prolongés)