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de Bresson Henri, Le Monde - 16 febbraio 1995
La monnaie unique dès 1997 ?

L'EUROPE MONETAIRE S'EST REMISE EN MOUVEMENT

par Henri de Bresson

SOMMAIRE: Les propositions de M. Balladur ont relancé l'hypothèse d'une monnaie unique dès 1997. Mais il faudrait qu'au moins huit membres del'Union européenne soient en conformité avec les dispositions économiques prévues par le traité de Maastricht.

(Le Monde, 16-02-1995)

La volonté désormais affichée par le gouvernement Balladur, à la veille des élections, de voir l'Union européenne parvenir dès 1997 à une monnaie unique a insensiblement remis les pendules à l'heure de Maastricht. La crise économique, les difficultés rencontrées dans presque tous les pays pour ratifier les accords de Maastricht, l'élargissement avaient fait oublier les échéances. L'engouement balladurien, aussi surprenant qu'il ait pu paraître compte tenu de l'état des finances publiques françaises, a réveillé, parmi les plus fermes partisans de l'Union monétaire, l'espoir de voir à nouveau bouger les choses. Le rapport intérimaire du groupe d'experts chargés par la Commission européenne d'examiner les problèmes pratiques que pose le passage à la monnaie unique, rendu public le 20 janvier, a apporté de l'eau à leur moulin, estimant que la première échéance prévue pour passer à la troisième et ultime phase de l'union économique et monétaire, à partir de 1997, n'était plus une impossibilité. Pour cela, il faut

qu'au plus tard le 31 décembre 1996 une majorité des quinze membres de l'Union européenne - donc huit pays en principe - remplissent les critères de convergence nécessaires (1) et décident de faire le saut. Un conseil européen fixerait alors une date, qui ne pourrait pas être postérieure à la date butoir de 1999.

UNE METHODE » OBSCURE

L'offensive européenne du favori de la course élyséenne a pris les partenaires de la France de court. Réagissant à la présentation par M. Balladur, le 13 février à Paris, de son programme électoral, la presse britannique a pris note de sa promesse de faire ce qu'il fallait pour que la France soit prête dès 1997. Elle s'est surtout bornée à relever, comme le Financial Times, que la méthode pour y arriver reste »obscure . Les Allemands, qui s'interrogent depuis le changement de majorité en France, en 1993, sur les intentions réelles du premier ministre et de ses amis, ont un peu de mal à se convaincre, pour le moment, d'un tel retour de flamme européenne. Mais ils se sont bien gardés de démentir.

Les seuls à s'être fait entendre haut et fort ont été les antieuropéens du Parti conservateur britannique, qui ne boudent aucune occasion pour obliger John Major, leur premier ministre, à des contorsions homériques. Le 14 février, devant la Chambre des communes, M. Major a encore catégoriquement affirmé que la question ne se poserait pas pour la Grande-Bretagne avant 1999, date à laquelle, selon le traité de Maastricht, l'union monétaire entrera automatiquement en vigueur pour les Etats qui pourront en remplir les conditions, quel que soit leur nombre. Londres réagira alors, » en fonction de son intérêt national , a-t-il courageusement ajouté. Compte tenu de la paralysie de l'actuel gouvernement, les élections de 1997 semblent disqualifier d'avance la Grande-Bretagne pour participer à toute initiative que pourraient prendre certains de ses partenaires. Le chancelier de l'Echiquier, Kenneth Clarke, violemment attaqué pour avoir défendu, le 9 février dernier, l'intérêt d'une monnaie unique, a lui-même estimé

qu'il n'y avait "pas la moindre chance que l'Europe s'embarque avec succès dans l'Union économique et monétaire en 1997".

La bataille s'est ainsi engagée sur le plan politique, alors qu'on l'attendait davantage, il y a encore peu, sur le terrain économique. Même les plus sévères gardiens de l'orthodoxie monétaire commencent à reconnaître que les conditions techniques d'un passage à la monnaie unique pourraient être réunies plus vite que prévu par un nombre suffisant de pays. Ainsi, l'ancien président de la Bundesbank Helmut Schlesinger, qui n'est jamais passé pour un fanfaron, a-t-il récemment reconnu à Berlin, le mardi 7 février, qu'il ne pouvait exclure qu'il se trouve huit pays européens pour décider dès 1997 le passage à l'union monétaire. Il a cité l'Allemagne, la France, les trois pays du Benelux, le Danemark, l'Autriche et peut-être l'Irlande, comme »zone monétaire optimale . Et, rappelant les réticences élevées en Allemagne avant l'union monétaire interallemande qui a précédé la réunification, il a estimé que »les problèmes techniques ne devaient pas être mis au premier plan . Au pays du roi deutschemark, les paris sont

d'ailleurs déjà ouverts sur le futur nom de la monnaie européenne, pour éviter l'écu, pas assez populaire.

SEVERES MARCHANDAGES

Le coût des turbulences monétaires d'il y a deux ans en Europe, les déboires du peso mexicain, le besoin de consolider le marché intérieur européen ont joué leur rôle en Allemagne pour relancer la réflexion. Après avoir laissé le chef de la majorité au Bundestag, Wolfgang Schäuble, et le député Karl Lamers publier en septembre leur fameux document sur le noyau dur européen pour forcer l'équipe Balladur à découvrir ses intentions, l'administration du chancelier Kohl peut difficilement faire la fine bouche. Le premier ministre français, qui a réaffirmé, mardi à Paris, l'importance de l'axe franco-allemand, s'est engagé à prendre toutes les mesures nécessaires d'ici 1997 pour respecter les critères de Maastricht, et principalement de ramener le déficit budgétaire, dans les deux ans, en dessous de la barre des 3 % du PIB. Les Allemands, malgré le coût énorme de la réunification, ne devraient pas dépasser 2,4 %. Le rattrapage exigera de gros efforts, mais M. Balladur a souligné de mardi que la France, monnaie com

mune ou non, n'avait pas le choix. Tout le monde sait bien que le moindre relâchement d'efforts dans la convergence des politiques économiques aurait des conséquences difficilement supportables. Une économie fragilisée ne permettrait pas d'aborder dans les meilleures conditions la bataille à venir sur les institutions et les grandes politiques européennes, qui modèleront demain le visage de l'Europe et de chacun de ses Etats-nations.

Le temps ne joue par forcément en faveur de Paris, qui peut encore aujourd'hui essayer de profiter de son rôle charnière, au confluent des visions des uns et des autres, pour imprimer sa marque dans cette Europe. Il sera difficile d'éviter que la conférence sur la réforme des institutions, à partir de 1996, et la fixation d'une date pour la monnaie unique, à la fin de cette même année, donnent lieu à des marchandages sévères. Il n'y a pas à douter que Bonn, qui compte sur le moteur franco-allemand pour faire progresser sa propre vision d'une Europe toujours plus intégrée, s'y prépare également avec soin.

Henri de BRESSON

(1) Les cinq critères de convergence de Maastricht

Pour passer à la dernière phase de l'Union économique et monétaire, les Etats membres doivent respecter cinq critères de » convergence précisés dans des protocoles annexés au traité de Maastricht:

1. Un déficit public ne dépassant pas 3 % du PIB ; 2. Une dette publique brute n'excédant pas 60 % du PIB 3. Une inflation (prix à la consommation) ne dépassant pas de plus de 1,5 % celle des trois Etats membres ayant les meilleurs résultats en matière de stabilité des prix ; 4.Des monnaies respectant pendant deux ans au moins les marges normales de fluctuation prévues parle système monétaire européen (SME) sans dévaluation; 5. Des taux d'intérêt à long terme ne dépassant pas de plus de 2 % celui des trois Etats membres ayant les meilleurs résultats en matière de stabilité des prix.

Au début des années 90, le Danemark, la France et le Luxembourg respectaient à peu près tous ces critères ; à la fin de 1994, seul le Luxembourg y parvenait; le déficit public français, en particulier, s'était creusé. Sur les douze Etats membres de l'Union à cette date, huit satisfaisaient au critère de l'inflation, mais trois seulement au critère du déficit public, trois aussi à celui de la dette publique (Le Monde du 28 janvier).

 
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