par Jacques Julliard et Bernard-Henri Lévy
SOMMAIRE: Les auteurs font remarquer que dans le débat animant la campagne présidentielle, la politique internationale n'a pas l'heur d'être abordée. Or les réponses que les candidats donneront aux questions que soulèvent la Bosnie, la Tchétchénie, le Rwanda, etc... sont dignes d'alimenter le débat public. (Le Monde, 16-03-1995)
La politique internationale est, à ce jour, la grande absente de la campagne présidentielle. Que pensent les candidats de la guerre en Bosnie ? De la montée de l'islamisme ? De la guerre en Tchétchénie ? De la politique africaine de la France ? Nulle réponse à ces questions. Nulle allusion, à ce jour,
dans aucun des grands programmes. Comme si l'élection devait se jouer sur les seuls enjeux nationaux et comme si nos rapports avec le monde se bornaient à la question - au demeurant essentielle - de la monnaie unique et de la construction de l'Union européenne.
Cette carence n'est pas seulement désobligeante pour les électeurs et le pays - elle est également absurde car elle signifierait que les responsables politiques, quels qu'ils soient, auraient consenti, par avance, au déclin et à l'effacement de la France de la scène internationale. Comment accepter que la patrie de Voltaire et des droits de l'homme puisse faire ainsi l'impasse sur les grands problèmes politiques où se joue l'avenir du monde ? Comment accepter que la France ne soit pas au premier plan de la lutte contre la violence et le racisme ? Comment au contraire contribuer à la construction d'un ordre planétaire rompant avec la fatalité de la barbarie intérieure et de la guerre internationale ?
C'est pourquoi les soussignés adressent aux candidats une série de questions précises qui appellent des réponses précises et qu'ils voudraient voir placées au coeur du débat public.
1. Le candidat s'engage-t-il à exiger des instances internationales, conformément aux résolutions de l'ONU, la levée immédiate du siège de Sarajevo, symbole du mépris de l'agresseur pour les droits de l'homme et pour les frontières internationalement reconnues ?
2. Le candidat s'engage-t-il à exiger des instances internationales le maintien de l'intégrité territoriale de la Bosnie-Herzégovine et l'acceptation par les Serbes de Pale, dans un délai défini, du plan du groupe de contact proposé par la France ? En cas d'échec accepte-t-il, à l'instar du Congrès américain, la levée d'un embargo sur les armes qui ne pénalise plus que les victimes et la redéfinition du mandat des » casques bleus , dans le sens de la mise en application des résolutions internationales et du plan des Cinq?
3. S'engage-t-il à redéfinir le mandat des » casques bleus en Croatie, dans le sens du respect des frontières antérieures à la guerre et non, comme actuellement, de la protection du droit de conquête ?
4. S'engage-t-il à subordonner la poursuite de la collaboration politique et économique avec la Russie à l'arrêt des combats en Tchétchénie et à l'évacuation des troupes russes de cette république autonome ?
5. S'engage-t-il à obtenir la mise en place immédiate d'une commission d'enquête internationale sur le Rwanda, destinée à faire la lumière sur toutes les responsabilités intérieures et extérieures, y compris françaises, dans le génocide ?
6. S'engage-t-il à redéfinir la politique de la France à l'égard de l'Algérie sur la base du double refus de la terreur islamiste et de la violence militaire de l'actuel gouvernement ? Est-il prêt à favoriser l'affirmation d'un pôle démocratique en Algérie, sans lequel toute solution de compromis signifierait l'acceptation de la violence et de la dictature ?
7. S'engagera-t-il enfin à provoquer la concertation entre les grandes nations démocratiques afin d'obtenir, par le biais de sanctions concertées contre l'Iran, la levée de la fatwa envers Salman Rushdie et le respect par l'Iran du droit international ?
De la réponse à ces questions dépend l'idée que les Français et les peuples étrangers se feront de la France: ou bien une nation s'enfonçant, par démissions successives, dans un ordre néo-munichois, ou bien une nation qui donne l'exemple du respect des droits de l'homme et de l'esprit de résistance à l'oppression.
Les soussignés s'engagent à faire connaître les réponses des candidats. Ils appelleront les Français à tenir compte dans leur vote des engagements de ceux-ci sur ces questions fondamentales.
Jacques Julliard est président du Comité de réflexion et
d'initiatives (CRI).
Bernard-Henri Lévy est directeur de » La Règle du jeu .
Ont aussi signé ce texte: Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Françoise Giroud, André Glucksmann, Pierre Hassner, Gilles Hertzog, Gilles Martinet, Olivier Mongin, Daniel Rondeau et Alain Touraine.