- Madame le Président, le monde entier a été horrifié par les images et les témoignages en provenance du Rwanda. Solidaires de ce peuple martyr, les gens veulent savoir ce qui dépend de nous tous pour qu'une telle tragédie ne puisse plus jamais se reproduire. Que répondons-nous à cela? Au nom du groupe de la gauche unie européenne, je voudrais avancer quelques idées à ce propos.
Sans une mobilisation exceptionnelle de la communauté internationale, rien ne garantit aujourd'hui que ce drame atroce ne connaîtra pas de nouveaux et terribles développements au Rwanda et dans la région. Au Zaïre, les milices s'arment, exercent des pressions incessantes sur les réfugiés et rêvent d'en découdre. Au Burundi, des combats viennent également d'éclater. La Tanzanie, l'Uganda peuvent être touchés. Partout, la tension est vive. Il faut désarmer les milices et les anciennes forces armées rwandaises. Ce sont des tueurs.
En outre, rien n'est plus urgent pour sauver la paix dans cette partie du monde que de favoriser le rapatriement volontaire des centaines de milliers de personnes réfugiées ou déplacées et de prévenir tout nouvel exode.
On sait ce que cela suppose. D'abord, une aide massive, de la nourriture, et de toute urgence, avant la récolte de décembre, ainsi qu'une aide à la préparation de la nouvelle campagne agricole, afin d'éviter la famine l'an prochain. Mais également une aide substantielle à la reconstruction des maisons, des routes, des ponts, le rétablissement des services de santé, la fourniture d'eau et d'électricité, la relance de l'activité économique.
Cet effort matériel doit s'accompagner de mesures politiques, on l'a dit, en particulier la reconnaissance du nouveau gouvernement, l'envoi d'observateurs civils susceptibles de rassurer les sceptiques sur le respect des droits des réfugiés qui acceptent de rentrer au pays, la poursuite des instigateurs des massacres devant un tribunal international non suspect de partialité, comme le demandent avec insistance les nouvelles autorités de Kigali, enfin la réaffirmation de l'attachement de la communauté internationale à l'esprit des accords d'Arusha comme base d'une paix équitable et durable dans la région.
Je m'adresse au Conseil. Qu'êtes-vous prêt à faire, particulièrement en matière d'aide à la reconstruction du Rwanda, vous qui venez d'amputer encore les crédits d'aide au développement, déjà insuffisants, proposés par la Commission, vous qui venez de proposer de diviser par 5,5 les crédits prévus pour les dépenses de réhabilitation? J'ajoute que si l'on veut éviter que pareille tragédie se reproduise, il faut également dire la vérité, Monsieur Stasi, sur les responsabilités des grandes puissances dans ce qui s'est passé, y compris la France, la France qui a apporté, plusieurs années durant, son soutien militaire à ce régime et à ses milices, tolérant même la mise en fiches ethniques de ses citoyens, avec les conséquences que l'on sait.
Quant à l'opération turquoise, par-delà les efforts des soldats français, qu'il convient de saluer pour la pénible tâche humanitaire qu'ils ont accomplie, cette opération a eu aussi des effets pervers très graves, comme la protection de responsables de massacres qui, aujourd'hui, rêvent de revanche, ou encore la relégitimation du plus corrompu des dictateurs africains, Mobutu. D'autres pays sont également criticables. Je pense à tous ceux qui ont refusé aux pays africains, qui les demandaient avec insistance bien avant l'opération turquoise, les moyens logistiques et financiers nécessaires à la constitution d'une force interafricaine de protection des populations, et plus généralement, aux pays qui dominent aujourd'hui le Conseil de sécurité de l'ONU et qui se sont honteusement retirés du Rwanda une fois les ressortissants occidentaux évacués, alors que la population civile subissait les premiers massacres.
Ceux qui parlent de diplomatie préventive, voire d'intervention humanitaire, devraient ne pas faire l'économie de la vérité sur ceux qui ont agi avant les massacres, mais n'ont pas agi pour les prévenir. Aujourd'hui, le moment est venu de ne pas commettre une nouvelle faute en estimant tourner la page de la tragédie de cette région. J'attends donc des réponses précises du représentant du gouvernement de l'Union européenne.
(Applaudissements du groupe GUE)