Monsieur le Président, chers collègues, le débat que nous amorçons ce matin sur l'architecture future de l'Europe est sans doute le plus important que nous ayons jamais eu. Il devrait mobiliser notre attention pendant toute la durée de notre législature. Le défi à relever est immense. En cette fin de millénaire, alors qu'ont disparu les causes des conflits qui, pendant des siècles, ont opposé les nations européennes entre elles pour la vaine conquête d'une hégémonie éphémère, alors que la division de l'Europe en deux blocs idéologiquement et militairement hostiles, héritage de la deuxième guerre mondiale, a été emportée par le vent de l'histoire, les peuples européens sauront-ils saisir la chance historique qui s'offre à eux de construire l'Europe unifiée, pacifiée et solidaire à laquelle chacun de nous aspire?
Face à un tel enjeu, la conférence intergouvernementale de 1996 ne saurait se limiter à un simple toilettage des institutions ou des procédures. C'est le pacte fondamental qui lie les Européens entre eux qui doit être redéfini et cela dans la perspective des élargissements à venir. La difficulté de la tâche est grande car la construction européenne doit conserver sa dynamique, son efficacité, ce qui exclut qu'elle se dilue dans une simple zone de libre-échange. Mais elle se doit aussi de ne laisser aucune nation démocratique qui souhaite s'intégrer à l'Europe sur le bord de la route et cela quels que soient les écarts du niveau de développement économique ou social. L'Europe dite "à géométrie variable", ou "à plusieurs vitesses" est-elle la bonne réponse à ce défi? Répondre catégoriquement par oui ou par non à cette question est sans doute prématuré, tant que n'auront pas été définis avec précision - et le débat ne fait que commencer - les objectifs que l'Union européenne se propose d'atteindre et les m
oyens qu'elle entend mobiliser pour y parvenir.
Nous devons tout d'abord, et tous ensemble, réfléchir à trois questions fondamentales: l'Europe, pour quoi faire? avec qui? et comment? L'Europe, pour quoi faire? Le principe de subsidiarité, souvent invoqué et d'application délicate, ne peut apporter une réponse suffisante. Plus fondamentalement, il faut préciser les objectifs susceptibles de mobiliser les citoyens européens en faveur de l'Union européenne, conçue comme une union d'États indépendants ayant des droits égaux.
Si l'on veut que l'Europe retrouve une certaine dynamique mobilisatrice, elle doit répondre à deux besoins fondamentaux: le besoin de sécurité et le besoin de solidarité, qui s'exprimera par une cohésion sociale renforcée. Le besoin de sécurité ne pourra être satisfait que si l'Union parvient à se doter d'une efficace et véritable politique extérieure et de sécurité commune, c'est-à-dire si elle réussit à mettre en place une organisation de défense crédible, prenant appui sur l'Union de l'Europe occidentale dont le rôle devra être redéfini par rapport à l'OTAN. Le besoin de sécurité est celui auquel les peuples des nouvelles démocraties de l'Est européen sont, à juste titre, le plus sensibles. Besoin de sécurité, mais aussi besoin de solidarité. Le besoin de solidarité implique la mobilisation de moyens financiers considérables, afin de combattre à l'intérieur de nos États l'exclusion sociale et de réduire les inégalités de développement entre les différents membres de l'Union. Comment concilier la néc
essité d'accroître très sensiblement notre effort en faveur du développement de l'Est européen, et la nécessité de garantir ce qui est indispensable au renforcement de la cohésion avec les pays du Sud de l'Europe, tout en intensifiant notre coopération avec les pays du pourtour méditerranéen, facteur essentiel de préservation de la paix dans cette partie du monde? A l'évidence, les moyens actuellement disponibles à cette fin ne sont pas à la hauteur de l'enjeu.
L'Europe avec qui? Aucun État européen doté d'institutions démocratiques ne doit être écarté de l'Union, à partir du moment où il manifeste le désir d'y entrer et d'en accepter les obligations. L'Union ne doit pas être un club fermé et élitiste et, de ce point de vue, la notion de noyau dur, limité à cinq Etats seulemen, n'est pas acceptable car elle risque, en dépit de toutes les précautions oratoires ou épistolaires, d'exacerber les susceptibilités nationales et, surtout, de casser la dynamique de l'Union.
De même, la dilution de l'Union européenne dans une simple zone de libre-échange, où serait seulement garantie la libre-circulation des hommes, des marchandises, des services et des capitaux, sans préférence communautaire, serait une régression inacceptable. Il faut donc imaginer des solutions originales, permettant de répondre à la question, la dernière question et sans doute la plus importante: l'Europe, comment? A partir du moment où les objectifs à atteindre en commun sont clairement définis et acceptés par tous, ce qui n'est peut-être pas exactement le cas aujourd'hui, il faut adopter des modalités de fonctionnement souples, qui tiennent compte de la diversité des situations sociales et économiques des États membres, ou des États candidats à l'adhésion. S'agit-il alors de redéfinir les contours d'une Europe à géométrie variable, ou à plusieurs vitesses, selon les objectifs à atteindre? Ne tombons pas dans le piège d'une querelle sémantique, où l'arbre risque de cacher la forêt. Ce qui importe, c'e
st de reconnaître à chaque État membre de l'Union des droits égaux.
Faisons confiance à la sagesse démocratique des peuples européens qui, conscients que la satisfaction des besoins de sécurité et de solidarité passe par la mise en commun de leurs efforts, sauront définir des procédures efficaces mais souples, permettant d'atteindre cet objectif. A nous de les y aider par l'approfondissement de nos réflexions et l'ouverture d'un large débat démocratique au sein de nos pays respectifs, ainsi qu'avec les pays candidats à l'adhésion.
(Applaudissements du groupe RDE)