Madame le Président, mes chers collègues, dans cette affaire de l'Europe à plusieurs vitesses, il y a deux dimensions: le poids des faits et la question de la norme qui doit être la nôtre.
Le poids des faits, tout d'abord. J'observerai que cette Europe à plusieurs vitesses a toujours existé, car pendant de nombreuses années - et cela reste encore vrai aujourd'hui - la Communauté européenne n'a pas pu prétendre être l'Europe à elle seule. Nous avons eu au moins, en Europe de l'Ouest, un système à double pôle, si je puis dire: d'une part, la Communauté européenne et, d'autre part, l'Association européenne de libre échange. Il y avait donc plusieurs vitesses et ce n'est sans doute pas un hasard. C'est qu'il y avait des raisons historiques à cela. Cette Europe à plusieurs dimensions était enracinée dans l'histoire et dans la logique des différentes nations.
J'observerai également que, à l'intérieur même du cadre du traité sur l'Union européenne, cette Europe à plusieurs vitesses existe déjà, puisque la Grande-Bretagne a été autorisée à ratifier le traité dit de Maastricht avec un régime très particulier, qui lui est propre. On pourrait citer aussi le cas du Luxembourg, qui a obtenu une dérogation sur le droit de vote des étrangers, par exemple. On pourrait citer un autre exemple, qui est le cas du système monétaire européen, auquel ne participent que quelques États membres. Et, là encore, il y a des raisons historiques, il y a une logique à cet état de choses. Cela ne correspond pas, je dirai, au chaos de l'Histoire. Cela correspond au passé des différentes nations, c'est enraciné aussi dans leurs différences d'intérêts et cela n'empêche pas, finalement, la Communauté européenne de fonctionner. Elle fonctionne peut-être tant bien que mal, mais je ne pense pas que ces dérogations soient la cause des véritables difficultés que connaît la Communauté actuellement.
A mon sens, il y a un paradoxe dans cette affaire. Ce paradoxe n'a jamais éclaté autant à mes yeux que tout à l'heure, lorsque j'écoutais notre collègue M. Martens, qui, en tant que premier ministre belge, a réformé la Belgique pour en faire en quelque sorte une Belgique à la carte, où le statut de Bruxelles, par exemple, n'avait vraiment rien à voir pendant très longtemps avec le statut de la Flandre ou de la Wallonie. Alors qu'il considérait la Belgique à la carte comme un progrès, il refuse cette formule dès qu'il s'agit de l'Europe. Nous avons affaire, à mon avis, à une sorte de dogme.
Quelle doit donc être la norme en la matière? Faut-il proposer aux États un menu à plat unique ou un repas à la carte? Telle est la vraie question. Personnellement, je pense que l'invention du repas à la carte a été un grand progrès de la civilisation par rapport au menu à plat unique, qui correspondait au régime de la caserne. Et dans un ville de gastronomie comme Strasbourg, il serait paradoxal de préférer le menu unique au repas à la carte. Ce qu'on appelle l'Europe à plusieurs vitesses, finalement, c'est l'Europe de la diversité et de la liberté, l'Europe des choix. L'Europe uniforme, c'est l'Europe du nivellement et de la contrainte administrative.
Par ailleurs, on peut ajouter que le traité sur l'Union européenne nous offre, d'ailleurs involontairement, sûrement, ce qui pourrait être une base juridique à une Europe diversifiée, à une Europe à la carte. En effet, ce traité contient le principe de subsidiarité, selon lequel seules les affaires qui nécessitent une coordination européenne doivent être évoquées à ce niveau. C'est reconnaître, dans l'esprit en tout cas, la nécessité de se rapprocher des citoyens et de respecter les différences entre les États membres. Actuellement, la volonté d'uniformisation européenne, incarnée par la Commission, va au-delà de ce qui existe dans certains États fédéraux comme les États-Unis. Une Europe des patries, je pense, doit être une Europe à la carte, c'est-à-dire une Europe respectueuse des identités nationales et aussi une Europe respectueuse des libertés.