Monsieur le Président, le droit dont nous débattons pourrait entraîner un progrès réel de la construction européenne. Il ne s'agit pas d'un droit abstrait, lointain, mais d'un droit qui touche les individus dans leur vie quotidienne, dans leurs intérêts immédiats. L'enjeu, ici, est le développement d'une conscience collective et d'une culture politique communes au niveau du quotidien. L'importance de l'enjeu doit conduire à implanter ce droit avec d'infinies précautions pour ne pas brusquer les consciences et les fidélités profondes.
Je voudrais insister sur deux principes dont le respect me semble essentiel: l'équité envers les peuples et les individus, la conscience du temps nécessaire pour toucher aux mentalités. L'équité d'abord. S'il est juste que tout citoyen de l'Union puisse voter en son lieu de résidence choisi, qu'il puisse y être éligible, il est juste aussi qu'il soit traité comme les nationaux. Le droit français impose des contraintes pour voter et être éligible. Oublier ou nier ces contraintes, écarter les traditions politiques serait offensant aux peuples. Le temps, par ailleurs, est indispensable à l'enracinement de ce nouveau droit dans les esprits et à l'enracinement des individus dans une communauté. Cela signifie qu'il ne suffit pas de prendre en considération le seul temps nécessaire à l'information, comme le dit l'article 11. On ne peut, à la veille d'échéances électorales proches, imposer un bouleversement total des habitudes. Mais c'est le temps d'enracinement des individus dans la communauté qui est le plus
important. Les membres d'une communauté ont besoin de temps pour se connaître, pour s'estimer, pour s'adapter. Faute d'admettre cette exigence de durée, on se condamnera à l'indifférence des électeurs potentiels et surtout au refus de les tenir pour éligibles. Quelle communauté voudrait confier ses intérêts à des oiseaux de passage? On ne fonde pas de nouvelles habitudes et une nouvelle culture politique sur le mépris des traditions existantes.
Enfin, laissez-moi conclure en regardant l'avenir, c'est-à-dire l'élargissement. Si l'arrivée de trois ou quatre nouveaux États ne pose guère de problèmes dans ce débat, l'arrivée, un jour, de pays dont le récent passé et tout le patrimoine culturel furent différents du nôtre, annonce des difficultés que l'on ne peut ignorer. Les réponses que nous apporterons aujourd'hui en termes de compréhension des mentalités pourront nous être très utiles demain.