Monsieur le Président, contre des attitudes moralement inacceptables, contre des fléaux moraux et sociaux, l'attitude répressive peut avoir son efficacité et je ne dirais pas le contraire. Cependant, la sagesse des nations nous dit qu'il vaut mieux prévenir que guérir.
Il me semble que le moment est venu pour nous tous, en Europe, de nous interroger et c'est en tant que membre de la commission de la jeunesse, de la formation, de la culture et des médias que je prends la parole et pour m'adresse à vous. Je crois que le temps est venu pour nous, quelles que soient par ailleurs nos options, qui peuvent être différentes, de nous interroger sur le point suivant: les uns et les autres ont fait allusion à notre culture politique et démocratique, ont fait allusion à la valeur fondamentale de respect de la dignité humaine, de respect de la personne humaine. Eh bien, interrogeons-nous, nous tous qui sommes des adultes, ici, sur ce qui a permis, au moment de la formation de notre personnalité - donc de notre personnalité morale - sur ce qui nous a permis de tenir de tels propos et de faire référence à de telles valeurs. Interrogeons-nous, peut-être, pour savoir si, par la politique aussi bien économique que sociale ou culturelle, etc. que nous menons dans les différents pays de notre
Union, nous favorisons, à l'heure actuelle, les conditions permettant de transmettre à la jeunesse ces valeurs fondamentales auxquelles, les uns et les autres, nous sommes attachés.
Or, de ce point de vue, je m'interroge avec inquiétude quand je parcours le Livre blanc sur la politique sociale. En cette année 1994, proclamée par l'ONU Année internationale de la famille sur le thème "ressources et responsabilités de la famille dans un monde en mutation", il n'est fait allusion, dans le Livre blanc à la question des enfants et des jeunes que sous l'angle des problèmes que ceux-ci posent aux parents pour l'exercice de leur profession. On n'y parle pas véritablement de ce pourquoi, les uns et les autres, nous nous sommes engagés en politique. Pourtant, je crois que c'est par rapport à la jeunesse, au souci de l'éducation de la jeunesse, de la réussite de la vie des jeunes, que nous nous tous engagés, quelles que soient nos options.
Les questions que je pose sont les suivantes: comment faire pour que la jeunesse de nos différents pays puisse avoir accès au patrimoine très riche de nos différents pays d'Europe dans le domaine du respect de la personne humaine, de la dignité humaine? Je ne sais pas si la situation est la même dans les autres pays d'Europe qu'en France - et c'est intéressant pour moi justement d'être engagée à ce niveau européen pour le savoir - mais il y a notamment une crise très profonde de l'enseignement et des valeurs de l'école dans notre pays, et je crois que c'est la même chose ailleurs.
En regardant les choses de près, à travers l'enseignement dans son ensemble, à travers le milieu médiatique tout entier dans lequel baignent la plupart des jeunes d'Europe aujourd'hui, je me demande s'ils ont véritablement accès à ce patrimoine de valeurs. Au contraire, et c'est souvent l'expérience que j'ai en tant que professeur de lettres, en tant que mère de famille de six enfants et en tant qu'engagée dans le mouvement familial depuis de nombreuses années, nos jeunes grandissent bien souvent dans un climat culturel qui érige en valeur, si on peut employer ce terme, la dérision, le scepticisme, qui montre peu d'exemples de la dignité, de la valeur et de l'héroicité dont sont capables les hommes. Au contraire, à travers un certain nombre de programmes des médias que nous aurions intérêt à regarder de plus près dans leur influence sur la jeunesse, est exalté au contraire un culte de la violence tous azimuts. Au niveau même de l'école primaire et indépendamment des questions de racisme et de xénophobie, la
violence des enfants entre eux, à l'intérieur des salles de classe et dans les cours de récréation, est un grave sujet de préoccupation pour tous les éducateurs.
D'autre part, je ne suis pas opposée, bien sûr, à la ratification de toutes sortes de conventions sur les droits, mais il est bien évident que, sauf à être incantatoire et avoir une pensée magique, si personne n'a de devoirs, plus personne ne peut avoir réellement de droits dans les faits. Alors ne serait-il pas temps, là aussi, de promouvoir dans nos écoles, dans tous les milieux éducatifs, une culture des droits et devoirs associés, sans jamais séparer les deux? Car, si je n'ai que des droits à faire valoir sur autrui, cela ne m'aide absolument pas à respecter les droits d'autrui.
Voilà un certain nombre de mes interrogations. Vous m'en permettrez une autre, dont je sais qu'elle est difficile, mais je me sens, en conscience, obligée de la poser. Dans la plupart de nos pays d'Europe la pratique de l'avortement est devenue banale, légalisée et remboursée par la solidarité sociale. Cette pratique consiste - n'ayons pas peur des mots - dans l'élimination de l'autre et du plus faible, parce qu'il gêne autrui. Or, mes contacts fréquents avec les jeunes et avec les adolescents me font m'interroger sur l'effet de telles pratiques sur l'inconscient collectif des jeunes de cette génération car elles font voir autrui comme quelqu'un que l'on peut éliminer quand il vous gêne.
Voilà des interrogations qu'on ne peut pas négliger et qui, certes, nous orientent tous vers des réflexions fondamentales, mais il me semble que la grandeur d'un parlement comme le nôtre serait de réfléchir à tous ces défis à relever sur le plan le plus profond, c'est-à-dire celui du patrimoine spirituel commun de l'ensemble de nos pays d'Europe.
(Applaudissements)