RAPPORT de la commission d'enquête sur la diffusion dans les pays de la Communauté de la criminalité organisée liée au trafic de la drogue
Rapporteur : M. Patrick COONEY
SOMMAIRE:
RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION D'ENQUETE
PREAMBULE
PREFACE DU RAPPORT
INTRODUCTION
ETENDUE DU PROBLEME AUQUEL LA COMMUNAUTE SE TROUVE CONFRONTEE
PRECURSEURS, PRODUITS CHIMIQUES ESSENTIELS ET SUBSTANCES
CHIMIQUES.
CONSOMMATION DE DROGUES ILLICITES
RESEAU DES SYNDICATS DU CRIME
- La Mafia
- La Camorra
- La 'Ndrangheta
- Les Yakusas
- Les Triades
- Les clans turcs
- Les autres clans ethniques
- Les groupes de motocyclistes organisés
- Les organisations polonaises
ROUTES COMMERCIALES DES DROGUES ILLICITES
- La route des Balkans
- L'Afrique
- L'Amérique centrale et l'Amérique du Sud
DISPOSITIONS JURIDIQUES
ORGANISATION DES ORGANES DE REPRESSION
- Services nationaux de police et des douanes
- Rôle des agents de liaison anti-drogue
- Interpol
- Conseil de coopération douanière (CCC)
ARGENT DE LA DROGUE ET BLANCHIMENT DE CAPITAUX
INSTITUTIONS POLITIQUES, ORGANISATIONS CRIMINELLES
ET TRAFIC DE LA DROGUE
ENGAGEMENT DE LA COMMUNAUTE EUROPEENNE DANS LA LUTTE
CONTRE LE TRAFIC DE LA DROGUE
- Recommandations pour l'avenir
RECOMMANDATIONS DE LA MINORITE'
PARTIE A : RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION D'ENQUETE
Au cours de sa réunion du 7 novembre 1990, le Bureau élargi du Parlement européen a pris note d'une lettre de M. Colajanni, datée du 15 octobre 1990, et d'une demande de justification, datée du 24 octobre 1990 et signée par plus du quart des membres effectifs du Parlement européen, visant à constituer une commission d'enquête sur la diffusion dans les pays de la Communauté de la criminalité organisée liée au trafic de la drogue, conformément à l'article 109 paragraphe 3 du règlement. Le Parlement européen en a pris note le 19 novembre 1990 et a décidé de donner son accord à la création d'une commission d'enquête, dont il a ratifié la composition le 24 janvier 1991. La commission d'enquête a tenu sa réunion constitutive le 19 février 1991.
La commission d'enquête s'est réunie douze fois entre le 19 février 1991 et le 29 novembre 1991, et a organisé trois auditions.
Au cours de sa réunion des 27 et 28 novembre 1991, elle a adopté les recommandations par 9 voix contre 6.
Ont participé au vote les députés Bowe, président ; Colajanni, premier vice-président ; Stewart-Clark, deuxième vice- président ; Taradash, troisième vice-président ; Cooney, rapporteur ; Avgerinos, Barros Moura, van den Brink, de Donnea, Fernandez Albor, Hadjigeorgiou, Reding, Salisch, Schwartzenberg et Vazquez Fouz.
Le rapport a été déposé le 2 décembre 1991.
PARTIE A : PREAMBULE
Le pouvoir des organisations criminelles qui orchestrent le trafic de la drogue enregistre une croissance inquiétante. Il a des effets de plus en plus graves sur la société et les institutions politiques des Etats membres. Il sape les fondements de l'économie légale et menace la stabilité des Etats de la Communauté européenne. Les gains financiers qu'autorise le trafic de la drogue permet aux organisations criminelles qui le gèrent de contaminer et de corrompre les structures des Etats à tous les niveaux.
Le coût très élevé des drogues sur le marché est cause de délinquance, d'insécurité, de désordre, de discrimination sociale et raciale. La santé des consommateurs de drogues interdites pâtit non seulement des effets des substances consommées, mais aussi de la situation d'illégalité dans laquelle se développe le marché.
Dans certains pays, la diffusion de la criminalité organisée, sa puissance financière, sa capacité de s'infiltrer dans les institutions et d'orienter le consensus électoral, lui donnent un pouvoir de conditionnement et de chantage qui interfère dans les décisions politiques. A plusieurs reprises, comme le démontre le scandale de la BCCI, des collusions sont apparues au grand jour entre des groupes criminels et des services secrets et d'autres échelons de l'Etat dans des activités subversives ou de blanchiment, de financements occultes et d'utilisation des institutions financières elles-mêmes. Tout cela affaiblit la volonté politique de frapper les principales centrales du trafic international de la drogue.
Face à cette situation, le Parlement européen propose une série de recommandations destinées à améliorer l'efficacité de la répression, conformément au contenu de la convention de Vienne de 1988. Ces recommandations sont inspirées par les critères suivants.
Les services de police et des douanes, ainsi que le système judiciaire, doivent en tout premier lieu concentrer leurs activités sur la répression du trafic et du délit de blanchiment, tout en garantissant le respect des droits et des libertés fondamentales de la personne.
Les différents services et structures communautaires, nationaux et régionaux, chargés de la répression, doivent être soumis au contrôle parlementaire. Les politiques menées jusqu'à présent n'ont pas atteint l'objectif qu'elles s'étaient fixé : stopper ou à tout le moins réduire la pénétration du trafic de la drogue dans la Communauté européenne. La répression a eu jusqu'à présent un incidence estimée entre 5 et 15 % sur le trafic des stupéfiants et des capitaux qu'il génère. Il convient donc d'évaluer si - en admettant qu'elle soit possible - une augmentation déterminante de l'efficacité de la répression pourra porter un coup significatif, voire fatal, au trafic ou bien si d'autres routes ne doivent pas être envisagées.
La commission d'enquête demande donc de procéder à une évaluation des coûts et des bénéfices de la politique actuelle en matière de drogue, en tenant compte des indicateurs suivants : condition de vie des consommateurs de drogues illicites, diffusion du sida et des risques d'overdose parmi les toxicomanes, influence du trafic de la drogue et pénétration de la criminalité dans le système politique et dans l'administration publique, nombre et typologie des délits violents dans les villes, pourcentage des poursuites pour délits liés aux lois sur la drogue par rapport à l'activité judiciaire et à la population carcérale. L'élaboration de nouvelles politiques doit être envisagée.
Les recommandations suivantes formulées par la commission d'enquête sont inspirées par des questions directement liées à son mandat, à savoir étudier la diffusion dans les Etats membres de la Communauté européenne de la criminalité organisée liée au trafic de la drogue et son incidence sur la démocratie.
La commission d'enquête est d'avis que, mis à part le phénomène du trafic de la drogue seul, il est également nécessaire d'enquêter sur les conséquences de la lutte contre la drogue, notamment sur son incidence sur la démocratie, ainsi que sur la sécurité et la liberté des citoyens.
1. La commission d'enquête estime que des efforts encore plus importants doivent être déployés par les gouvernements et par la Communauté européenne pour agir sur l'aspect de la demande de drogues. Les gouvernements des Etats membres devraient per- mettre aux ministères de la Santé et des Affaires sociales de faire en sorte que davantage de ressources, de main-d'oeuvre et d'efforts pratiques soient consacrés à la réduction des risques liés à l'abus des drogues, pour viser à établir à tout le moins un équilibre entre les ressources financières affectées à la réduction de la demande et celles affectées à la réduction de l'offre. Les mesures thérapeutiques et les programmes de substitution pour aider les toxicomanes ne bénéficient pas de l'attention souhaitée de la part des gouvernements et des pouvoirs locaux. Dans le cadre de ses compétences juridiques, il y va potentiellement de la responsabilité de la Communauté européenne, dans la mesure où la politique sociale en général est concernée, d'affecter davantag
e de ressources financières et humaines. Il n'est pas suffisamment fait appel au système éducatif dans nos Etats membres pour apprendre à nos enfants à faire face aux risques sanitaires, dont l'usage des drogues, à résister à la pression des autres et à prendre leurs propres responsabilités.
2. La consommation et l'abus des stupéfiants devraient avant tout être traités comme un objet de santé et de bien-être public, et non pas de police et de justice. La possession de drogues illicites en petites quantités, pour usage personnel, ne devrait pas être considérée comme un délit. Les lois sur la drogue doivent créer une distance entre le consommateur et le monde criminel, en évitant de transformer le toxicomane en délinquant et de compromettre ainsi toute possibilité d'intégration sociale. L'assistance aux toxicomanes ne doit plus être menacée par le droit pénal. La conséquence en est que les organes du système de procédure pénale sont submergés par des affaires de criminalité liées au trafic de la drogue. De la même façon, l'augmentation de la population carcérale provoquée par cette criminalité aggrave considérablement les conditions de vie dans les prisons, rendant l'application de la législation carcérale encore plus difficile et renforçant les syndicats du crime au sein même des prisons, où ils
fournissent de la drogue aux détenus.
3. La lutte anti-drogue ne reposant exclusivement que sur le droit pénal et l'obligation de sevrage, l'octroi de crédits gouvernementaux et publics étant conditionné par ce seul sevrage, a échoué. La demande de drogue existe toujours, la détresse sociale et médicale des usagers s'accentue rapidement, de plus en plus de toxicomanes sont infectés par le virus HIV, de plus en plus d'usagers meurent, le trafic illégal de la drogue se développe et génère des profits de plus en plus importants, les craintes des populations urbaines à l'égard du trafic de la drogue et de la criminalité qui en découle sont exacerbées.
4. La commission d'enquête estime qu'il serait dans l'intérêt de la Communauté européenne et de ses Etats membres que les pouvoirs publics diffusent davantage d'informations sur les aspects susmentionnés, afin de fournir à l'opinion publique des informations authentiques et éducatives, qui aient une incidence sur la demande et assistent les toxicomanes pour surmonter leurs difficultés. Les campagnes d'information, la création de banques de données (observatoires) et la généralisation de protocoles médico-sanitaires palliatifs sont, entre autres mesures, des actions indispensables à l'échelle communautaire, dans le respect des libertés démocratiques et de l'obligation de veiller à la santé publique, de la part des autorités. Dans ce contexte, donner aux toxicomanes un libre accès au traitement et à des seringues gratuites, et leur faire prescrire des médicaments (Temalgesic, méthadone) par des cliniques agréées, devraient être prévus par les Etats membres.
5. Les efforts de la lutte anti-drogue doivent se concentrer non pas sur les consommateurs et le bas de la hiérarchie du trafic, mais sur la criminalité internationale organisée et le trafic à leur plus haut niveau. Il convient de développer une attitude pragmatique de réduction des risques (harm reduction) liés à la consommation et à l'abus des drogues par une prise en charge sanitaire et sociale du toxicomane, destinée à garantir et organiser la disponibilité de drogues non frelatées et au dosage déterminé, permettant la réduction des décès et des problèmes sanitaires (notamment la contamination par le virus HIV), de même que la diminution de la criminalité induite. Toutefois, des dépositions de témoins éminents cités devant la commission prouvent que le mode d'appréhension du problème de la drogue dans la Communauté européenne ne produit pas de véritable résultat. Chaque année, le nombre des usagers s'accroît, les cas de décès liés à la drogue se multiplient, de nouvelles formes de drogue, plus puissantes
et plus nocives, apparaissent et la production de stupéfiants augmente. Le blanchiment des capitaux illicites provenant du trafic de la drogue ne peut être combattu malgré tous les efforts déployés.
6. La plupart des toxicomanes vivent dans des villes ou viennent s'installer dans les capitales, parce que c'est là que le marché se trouve, que les toxicomanes évoluent et qu'une assistance aux drogués est disponible. Ainsi, la plupart des grandes villes sont aux prises avec des problèmes de toxicomanie, alors que d'autre part leur influence en matière de politique anti-drogue est limitée et contrariée par le poids des problèmes qui les assaillent.
7. Une distinction claire devrait être établie entre le crime organisé et le crime ordinaire, et le recours à des mesures coercitives devrait être défini. Des travaux indépendants de recherche scientifique sont indispensables dans les domaines où un aperçu général de la situation doit précéder toute prise de mesures et de décisions, dont les conséquences négatives seraient incalculables et dont les résultats seraient désastreux, au regard des faibles succès remportés par les organes d'investigation (par exemple, recevabilité juridique des méthodes utilisées pour lutter contre la drogue). La Communauté européenne devrait également donner une impulsion à des travaux de recherche sur la corrélation qui existe entre le crime organisé et la multiplication des délits économiques, d'une part, et leur incidence néfaste directe sur la situation sociale de la population et de l'environnement, d'autre part, afin d'aviver la prise de conscience du fait que de telles activités criminelles constituent une infraction évide
nte aux droits de l'homme. Ainsi, la tendance à banaliser notamment les délits économiques pourrait être infléchie et les personnes concernées pourraient plus facilement être mises en accusation et condamnées.
8. Si la commission d'enquête ne considère pas les recommandations suivantes comme exhaustives, celles-ci représentent toutefois les aspects les plus importants qui doivent être abordés par la Communauté européenne et par ses Etats membres. Dans certains cas, la lutte contre la criminalité organisée et le trafic de la drogue n'est pas menée complètement ni efficacement. Même dans les cas où les Etats sont signataires des conventions des Nations unies mentionnées dans le présent rapport, la mise en oeuvre et l'adaptation des dispositions de ces conventions ne revêtent parfois pas un caractère de première priorité. La détermination initiale peut donc s'en trouver sapée. Une résolution nouvelle et commune est à présent nécessaire.
9. Le Parlement européen et la Commission doivent collaborer à la promotion d'une conférence européenne sur la drogue, destinée à étudier en profondeur les résultats des politiques menées jusqu'à présent et à évaluer l'opportunité d'une harmonisation du système légal des Etats membres en vue de l'intégration politique et économique, en tenant compte de la requête des villes européennes au centre du trafic de drogue.
Production de la drogue
10. Malgré les conclusions de la FAO selon lesquelles des mesures sur le front de la demande produiraient de meilleurs résultats que celles prises sur le front de l'offre, la responsabilité générale des Nations unies à l'égard de la coordination de la politique internationale concernant le trafic de la drogue et les questions connexes devrait être confirmée et les Etats membres devraient s'engager à augmenter leur concours financier au profit du programme des Nations unies de contrôle de la drogue et du programme de l'OMS sur l'abus des substances pour faire en sorte que les programmes des Nations unies soient renforcés, dans les pays en développement en particulier. Tous les Etats membres de la Communauté et les futurs candidats à l'adhésion doivent ratifier et mettre en oeuvre les conventions des Nations unies : - de 1971 sur les stupéfiants (tous les pays de la Communauté européenne et de l'AELE l'ont ratifiée), - de 1971 sur les substances psychotropes (8 pays de la Communauté l'ont r
atifiée, mais pas la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas et l'Irlande. Parmi les pays de l'AELE, l'Autriche et la Suisse ne l'ont pas ratifiée), - de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes (la Communauté européenne l'a ratifiée en décembre 1990 ; la Suède, la Hongrie, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie l'ont également ratifiée).
11. La Communauté européenne devrait parvenir à une approche du problème de la drogue plus cohérente en matière de développement, qui tienne compte des priorités économiques globales des régions concernées et ouvre davantage à leurs produits l'accès aux marchés nationaux et internationaux. Cette approche appelle une amélioration des voies de communication et des infrastructures, de même qu'un accroissement des possibilités d'investissement dans des productions agricoles licites et dans des productions non agricoles.
12. Devant une telle situation, la Communauté européenne et les Etats membres sont invités à mener une politique de développement cohérente qui, contrairement à ce qui s'est fait jusqu'à présent, ne vise pas exclusivement le profit économique personnel, mais mette l'accent sur les données politiques, sociales et économiques et des besoins des pays et régions concernés. Cela suppose que la Communauté et les Etats membres préconisent au sein du GATT une politique du commerce mondial conforme au développement, qu'ils réorientent leurs politiques économiques extérieures et usent de l'influence européenne au sein de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international de manière à accroître les chances de mettre les pays de ce que l'on appelle le tiers monde sur la voie d'un développement participatif et orienté sur leurs besoins fondamentaux.
13. La situation concernant la production de la drogue dans des pays comme le Pakistan, l'Afghanistan, la Bolive, le Pérou, la Thaïlande et le Liban n'a pas été examinée à fond par la commission d'enquête, car tel n'était pas son mandat. Cependant, la situation dans les pays producteurs de drogues illicites (la plupart d'entre eux étant des pays en développement) est telle que la Communauté européenne, par le biais de sa politique de développement et de coopération, ainsi que de sa politique étrangère en cours d'évolution, doit agir pour soutenir par des mesures concrètes les gouvernements décidés à donner un coup d'arrêt à la production de drogues illicites. Il convient de noter qu'il existe des preuves de l'implication d'hommes politiques et de dirigeants politiques (parfois tribaux) reconnus dans le crime organisé et le trafic de la drogue dans certains pays, et plus particulièrement au Pakistan, en Birmanie, en Thaïlande, au Panama, au Suriname, en Bolivie et dans d'autres pays encore. Par ailleurs, une
coordination totale doit s'établir entre les activités engagées au niveau des Nations unies, des organisations intergouvernementales, des organisations nationales et des divers gouvernements, des administrations régionales et des organisations alternatives ou non officielles.
14. La quantité de plantes stupéfiantes nécessaire à des fins scientifiques et médicales devrait être étudiée de façon approfondie, au même titre que l'utilisation de ces plantes dans d'autres buts légaux. Seuls les excédents des cultures de plantes stupéfiantes devraient être éliminés, car ils réduisent la fertilité du sol et prennent la place d'autres cultures, légales celles-là, rendant ces dernières plus coûteuses. En ce qui concerne l'élimination des cultures de plantes stupéfiantes illicites, les recherches sur les méthodes les plus sûres du point de vue humain et écologique pour les détruire devraient être poursuivies, les méthodes chimiques actuelles constituant un danger pour l'homme et pour l'environnement.
15. La cessation de la production excédentaire de cultures stupéfiantes doit automatiquement être relayée par des cultures de substitution à grande échelle. Il est essentiel que les gouvernements concernés adhèrent à ce projet volontairement. Un chantage international, fondé sur l'octroi d'aides au développement ou de crédits en échange d'une coopération avec les programmes anti-drogue, est inconcevable. La Communauté européenne doit prendre des mesures efficaces pour soutenir la substitution des cultures (par exemple, en présentant des avantages à l'importation), tout en réduisant parallèlement la demande pour les cultures de stupéfiants dans la Communauté européenne et en améliorant le contrôle des précurseurs et des produits chimiques nécessaires à la fabrication de drogues illicites et de substances psychotropes. S'agissant des cultures de substitution, l'ensemble du processus économique et commercial doit être maîtrisé. Le commerce intérieur dans les pays de production et les exportations constituent d
es facteurs indispensables à la réussite du projet de reconversion. L'organisation d'un tel projet de reconversion doit également envisager une aide au développement, des concours financiers et économiques, le développement d'une infrastructure sociale et matérielle, etc.
16. A l'avenir, une différenciation améliorée entre les drogues (de leur origine jusqu'à leurs effets) sera nécessaire, afin de travailler plus efficacement sur des méthodes plus spécifiques du traitement du problème de la drogue dans sa diversité, selon les trois niveaux suivants : offre, trafic et demande. Une telle différenciation entre drogues dures et drogues douces et, en conséquence, entre drogues naturelles cultivées et drogues industrielles fabriquées pourrait s'établir comme suit : - drogues ultra-dures : héroïne, crack, - drogues dures : morphine, cocaïne, phencyclidine, méthadone, péthidine, - drogues intermédiaires dures : amphétamines, barbituriques, LSD, psylocybine, mescaline, solvants chimiques, absinthe, - drogues intermédiaires douces : opium, haschisch, khat, coca, tabac, alcools de distillation, - drogues douces : cannabis, alcools de fermentation, peyotl, champignons hallucinogènes, codéine, tranquillisants, - drogues ultra-douces : thé, café, chocolat.
De cette classification dérive la nécessité d'une seule politique sanitaire, basée sur des facteurs épidémiologiques, toxicologiques et pharmacologiques, pour toutes les drogues, indépendamment de leur statut légal.
Coopération policière et douanière
17. En Europe, les Etats membres de la Communauté européenne devraient créer sans délai un service européen de renseignement en matière de drogue, dont le personnel devrait être recruté parmi les services de police et des douanes des divers Etats membres et comprendre des agents de liaison anti-drogue de pays tiers d'importance cruciale.
18. Ce service de renseignement doit être soumis à un contrôle démocratique visant à délimiter sa responsabilité vis-à-vis des autorités. Un mécanisme chargé de ce contrôle devrait être créé avant l'instauration du service.
19. Chaque Etat membre doit créer, si ce n'est déjà le cas, un service national de renseignement en matière de drogue. Ce service doit comprendre des enquêteurs issus des services de police et des douanes, ainsi que des experts dans le domaine financier, et être directement responsable devant l'autorité politique la plus élevée. Il devra être en contact direct et régulier avec le service européen de renseignement en matière de drogue, ainsi qu'avec les services de renseignement pénal dans son ressort national.
20. Tous les Etats membres de la Communauté européenne et les candidats à l'adhésion devraient rapidement mettre en vigueur des dispositions, dans le cadre de la législation nationale, pour permettre les livraisons contrôlées, selon des procédures semblables et mutuellement convenues, c'est-à-dire permettre aux envois de drogues illicites déjà détectés de parvenir à destination.
21. Les services de police et les services des douanes des Etats membres de la Communauté européenne doivent se voir imposer une nette obligation de faire rapport à leur service national respectif de renseignement en matière de drogue.
22. Les autorités de tutelle des services de police et des douanes sont trop disparates à l'heure actuelle. Dans les Etats membres où il en est ainsi, des mesures devraient être prises pour concentrer le contrôle politique au sein d'un comité interministériel national de coordination disposant de pouvoirs réels, présidé éventuellement par le chef du gouvernement ou par son représentant, responsable in fine devant le Parlement national.
23. Les Etats membres de la Communauté européenne, dans le cadre d'une harmonisation plus générale au niveau communautaire des lois en matière pénale, doivent établir des règles de procédure communes, visant à simplifier la coopération entre les autorités judiciaires des différents pays, mais aussi à améliorer la coordination et l'efficacité des enquêtes des autorités de police.
24. Tous les Etats membres de la Communauté européenne, de même que les candidats à l'adhésion, doivent signer la Convention européenne d'extradition, dans le but de limiter le nombre des "refuges sûrs" pour les organisations criminelles.
Précurseurs et produits chimiques essentiels
25. La Communauté européenne et ses Etats membres devraient accepter les propositions du Groupe d'action chimique du G7 et recommander que les Nations unies modifient la convention de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes pour qu'elle reprenne la liste complète des produits chimiques proposée par le G7. Par ailleurs, des dispositions devraient être prévues pour permettre un allongement et une remise à jour permanente de la liste au fur et à mesure de la production de nouvelles substances.
26. La Communauté européenne devrait tendre vers l'adoption de la proposition de directive sur la surveillance de la fabrication des précurseurs et des produits chimiques essentiels dans les plus brefs délais, en prenant dûment compte de la tenir du présent rapport et des amendements proposés par le Parlement européen par le biais du rapport de Sir James Scott-Hopkins.
27. Tout en reconnaissant que nombre de sociétés chimiques et pharmaceutiques de la Communauté européenne s'entourent de mesures considérables pour s'assurer que des substances classifiées ne sont pas détournées de leur utilisation licite, la Communauté européenne doit néanmoins renforcer sa législation et introduire des sanctions pénales sévères contre les sociétés qui la violent. Cette législation doit également être étendue aux transporteurs et aux sociétés de transport qui devraient être gérées et dirigées dans le cadre d'un système normalisé de licences à l'échelle européenne.
28. La Communauté européenne doit exercer des pressions particulières à l'encontre de tous les pays où un nombre croissant de drogues illicites à base de produits chimiques est élaboré.
Routes de la drogue et abolition des contrôles frontaliers
29. La Communauté européenne doit s'assurer que des contrôles sélectifs visant les flux de circulation à haut risque seront maintenus à l'intérieur des Etats membres, lorsque les contrôles aux frontières intérieures auront été abolis au 1er janvier 1993.
30. Les organes de répression doivent avoir le droit d'exercer leurs activités de façon régulière dans des périmètres pouvant être situés hors de leurs frontières nationales, en coopération directe avec les pays voisins, mais seulement après l'établissement d'un régime approprié de responsabilité démocratique qui serait chargé d'établir et de contrôler des lignes directrices bien définies pour ces activités.
31. Les techniques de surveillance terrestre, aérienne et maritime doivent être améliorées aux frontières extérieures de la Communauté européenne, conjointement avec le Conseil de coopération douanière.
32. La Communauté européenne doit envisager le renforcement des services des douanes des Etats membres, ainsi que la réaffectation et la formation des fonctionnaires des douanes, notamment dans les Etats membres les plus pauvres qui devraient bénéficier de concours budgétaires communautaires à des fins de formation et d'achat de nouveaux appareils et équipements.
33. La réaffectation et la formation des fonctionnaires des douanes doivent être accélérées pour améliorer leur aptitude à lutter contre le trafic de la drogue, notamment grâce au programme Mattheus.
34. Les fonctionnaires des douanes et de la police devraient être encouragés à participer à des programmes d'échanges avec leurs collègues d'autres Etats membres, tout en conservant leur compétence et leur rang dans le pays hôte.
35. Des systèmes informatiques compatibles, intégrant les programmes existant dans les Etats membres de la Communauté européenne, doivent être d'urgence mis à la disposition des organes de répression.
36. La Communauté européenne doit se pencher à nouveau sur la proposition de directive sur les bagages qui, dans sa forme actuelle, ne facilite pas la libre circulation des personnes et de leurs effets ni ne s'oppose efficacement aux problèmes soulevés par les trafiquants de drogue.
37. L'octroi de licences aux véhicules de transports internationaux par route et leur accès aux plaques d'immatriculation TIR devraient relever d'un contrôle international plus sévère ; le Conseil de coopération devrait faire des recommandations à cet égard.
Institutions politiques, corruption et organisations criminelles
38. La corruption des gouvernements et des fonctionnaires publics (en particulier dans la magistrature et dans les forces de l'ordre) au bénéfice du trafic de la drogue est en même temps cause et effet de la diffusion du phénomène. Cela rend toute intervention répressive particulièrement difficile, notamment parce que les liens entre hommes politiques et organisations criminelles sont souvent indirects, filtrés par le système complexe de blanchiment de l'argent. Pour garantir que l'action des institutions publiques soit conforme aux lois, non seulement du point de vue de la légitimité formelle des actes, mais soit en mesure, notamment, d'éviter conditionnements et infiltrations de la part de la criminalité organisée, il faut envisager une grande initiative, vis-à-vis des Etats membres, au sujet des "règles de la transparence". La Communauté européenne pourrait envisager et approuver une véritable "charte de la transparence", moyennant des recommandations aux Etats membres, valables pour elle-même, en matière
d'adjudications, de nominations à des charges publiques, de distinction de tâches et de fonctions entre politique et administration. Il faudrait prêter une attention particulière à des recommandations visant à poursuivre constamment la transparence des comportements des partis politiques (financements et budgets, frais pour les campagnes électorales des candidats, candidatures et nominations).
39. Dans le but de promouvoir l'intégrité des partis politiques en visant à éradiquer les "facteurs polluants" potentiels, une transparence doit être exigée des partis politiques eu égard à leur structure et à leur bilan financiers. Les partis doivent être encouragés à choisir leurs candidats conformément aux critères les plus stricts et à exclure les candidats ayant des contacts connus, ou soupçonnés d'avoir de tels contacts, avec le crime organisé, ainsi que ceux susceptibles d'être corrompus.
40. Les responsables élus, les hommes politiques ou autres représentants publics condamnés par une peine irréfutable pour avoir eu des liens avec le crime organisé devraient se voir interdire l'exercice de fonctions officielles pour une durée proportionnelle à la gravité du délit commis. Une législation à cet effet devrait être instaurée et appliquée dans tous les Etats membres.
41. Les Etats membres doivent prendre des mesures appropriées pour interdire aux pouvoirs locaux, sous peine de dissolution, d'octroyer des subventions, des licences et des marchés à des personnes convaincues d'avoir blanchi de l'argent dans un Etat membre ou sous le coup d'une enquête sur leurs liens éventuels avec des organisations criminelles.
42. Les pouvoirs locaux et les organes gouvernementaux ne doivent pas être autorisés à octroyer des marchés, des licences, des subventions ou autres avantages à des sociétés ou à des individus convaincus d'entretenir des liens avec des organisations criminelles.
43. Il est recommandé que la Commission des Communautés européennes mette sur pied un service doté du personnel suffisant, et ayant les qualifications requises, pour surveiller le développement du crime organisé dans la Communauté européenne.
44. Il est recommandé que le Parlement européen crée une sous- commission ou un groupe de travail permanents, réellement en mesure de contrôler, de façon démocratique et continue, les agissements du crime organisé, notamment le trafic illégal des armes et de la drogue, et de présenter aux institutions et aux organes pertinents des propositions visant à les enrayer et à les combattre.
45. Les liens entre le crime organisé, l'administration publique, la politique et les affaires devront être étudiés plus en détail. Les éléments obtenus devront être mis à la disposition de tous les organes concernés, y compris les ONG, dans la Communauté européenne, afin qu'une coopération et la coordination de contre-mesures puissent s'établir à grande échelle, notamment aux niveaux local, régional, national et communautaire.
Inflitration des secteurs économiques, utilisation des profits de la drogue et blanchiment des capitaux
46. Le contrôle de l'application de la directive de la Communauté européenne sur la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux doit se voir accorder la priorité par la Communauté européenne et ses Etats membres, lorsqu'elle entrera en vigueur au 1er janvier 1993. La Commission devrait créer un service spécialisé à cet effet. La législation aura pour souci d'assurer la transparence des flux économiques et financiers de façon à pouvoir établir la distinction entre acteurs économiques honnêtes et malhonnêtes, entre marché propre et marché sale. Le blanchiment répondant à la nécessité pour les trafiquants d'injecter dans l'économie légale les énormes profits que permet le caractère illégal du commerce de la drogue, il convient, au-delà du nécessaire contrôle du circuit économique et financier, d'étudier les moyens pour empêcher l'accumulation de ces profits à travers la réglementation du commerce des substances aujourd'hui interdites.
47. A partir de cette orientation, la lutte contre le recyclage doit adopter un système bien plus soutenu que celui que l'on imagine possible aujourd'hui, grâce à un engagement et à une coopération communs (niveaux nationaux et internationaux, rapports entre les instruments habituels de répression et les instruments de contrôle et de surveillance du marché). Cela aura aussi pour conséquence de diminuer la quantité d'actions pénales et d'interventions de type administratif et de surveillance interne, ce qui permettra aux enquêteurs de concentrer leurs efforts et leur énergie sur des cas plus importants. A ce sujet, dans la définition même de l'activité de recyclage, il semble opportun d'introduire, pour augmenter l'efficacité, une limite des valeurs, comme c'est le cas dans la législation américaine.
48. La reconnaissance voulue doit également aller à l'application de la convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et ses principales dispositions devraient être intégrées à la législation communautaire. (Pouvoirs et techniques d'enquête spéciaux, obligation de confiscation et reconnaissance des décisions étrangères). Il faut penser le rapport entre la liberté du marché et le contrôle des flux financiers en termes de corrélation. Le contrôle est inhérent à la liberté et à la sauvegarde du marché.
49. Des accords de confiscation devraient être conclus par les Etats membres de la Communauté européenne entre eux, et avec autant de pays tiers que possible, afin de menacer la liberté de circulation des "blanchisseurs" de capitaux. Les Etats membres devraient envisager que les délits fiscaux graves, portant sur des sommes égales ou supérieures à 50.000 écus, soient passibles d'extradition.
50. Lorsque les preuves du recours à des paradis fiscaux à des fins de blanchiment de capitaux sont établies, la Communauté européenne devrait imposer les sanctions dont elle dispose contre les autorités et les institutions financières des pays concernés. S'agissant des "paradis fiscaux et financiers" - en majorité des petits pays du tiers monde -, il convient de développer une action internationale pour introduire des règles de transparence et diminuer l'incitation à agir de la sorte, grâce à une politique de coopération et de développement, sur le modèle de celle que l'ONU et la Communauté européenne devraient mener pour garantir les droits de l'homme ; il faudrait également vérifier de façon plus précise l'application de la réglementation adoptée par les paradis fiscaux et bancaires traditionnels.
51. La Communauté européenne doit être pleinement associée au Groupe d'action financière internationale du G7 et à son secrétariat.
52. Il importe d'associer à toute enquête policière relative à des trafics à grande échelle des experts financiers qui auront pour tâche de démonter la structure financière ainsi que des experts fiscaux chargés de calculer la dette fiscale.
53. La Communauté européenne et ses Etats membres doivent introduire de toute urgence des mécanismes de régulation plus contraignants à l'égard des activités des institutions bancaires et financières, dans le but de dissuader ces institutions de participer au blanchiment de capitaux, que ce soit volontairement ou involontairement. Les Etats membres devraient engager des mesures conjointes pour limiter autant que possible le secret bancaire. En plus des moyens juridiques pour réprimer le délit de blanchiment, il convient de se doter des moyens nécessaires pour déterminer le montant des sommes blanchies et les banques impliquées, ainsi que pour démasquer les sociétés écrans.
54. La Communauté européenne et ses Etats membres doivent prendre sur eux d'imposer des sanctions en retirant l'autorisation d'exercer des activités bancaires et financières à toutes les institutions condamnées pour blanchiment de capitaux, où que ce soit dans le monde.
55. L'instauration d'un enregistrement des sociétés de promotion immobilière et autres organes susceptibles de blanchir de l'argent de la drogue devrait être envisagée, étant donné que le blanchiment des capitaux n'est pas entièrement effectué par l'intermédiaire de banques ou d'institutions financières. Une attention particulière doit être apportée au contrôle des secteurs économiques et commerciaux traditionnels tels que l'industrie du tourisme, de la construction et de l'immobilier, le secteur hôtelier et des transports, le marché de l'art, les bons du trésor, de même que tous les secteurs où d'importantes sommes d'argent liquide sont utilisées.
56. S'agissant des secteurs d'investissement "privilégiés", il faut penser à un système de contrôle et de surveillance de type essentiellement informel, en associant les instances et organismes de surveillance des divers secteurs économiques.
57. Une section traitant spécifiquement des délits financiers devrait être créée au sein du futur service européen de renseignement en matière de drogue.
58. Les pays souhaitant faire acte de candidature à l'adhésion aux Communautés européennes devraient satisfaire à la directive et autres mesures communautaires sur le blanchiment de capitaux avant l'examen de leur candidature.
59. Dans le cadre du Comité européen de lutte anti-drogue (CELAD), il convient d'élaborer un programme complet d'information de la population, qui s'adressera aux douze Etats membres en tenant compte de tous les paramètres ainsi que des spécificités et de la mentalité des habitants de chaque pays. Le Parlement européen devrait prendre une initiative pour diffuser, à travers les réseaux radiotélévisuels et la presse, des informations sur la drogue. Au niveau national, les médias devraient participer activement et énergiquement à cette campagne d'information. Un enseignement spécifiquement consacré, non seulement à la drogue, mais au tabac ainsi qu'au sida, qui serait dispensé dans les collèges et lycées, devrait être intégré aux programmes d'éducation des Etats membres. Des séminaires spécifiques devraient être organisés pour informer les parents, les enseignants, les magistrats, les policiers, etc. Les organisations non gouvernementales, les églises et les autorités locales devraient être associées à la camp
agne d'information. La Communauté européenne devrait soutenir financièrement et moralement les programmes de prévention et d'information des Etats membres.
*** (Les recommandations de la minorité constituent la partie D du présent rapport).