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Parlamento Europeo - 29 novembre 1991
Criminalité organisée et trafic de la drogue (3)

RAPPORT de la commission d'enquête sur la diffusion dans les pays de la Communauté de la criminalité organisée liée au trafic de la drogue

Rapporteur : M. Patrick COONEY

SOMMAIRE:

RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION D'ENQUETE

PREAMBULE

PREFACE DU RAPPORT

INTRODUCTION

ETENDUE DU PROBLEME AUQUEL LA COMMUNAUTE SE TROUVE CONFRONTEE

PRECURSEURS, PRODUITS CHIMIQUES ESSENTIELS ET SUBSTANCES

CHIMIQUES.

CONSOMMATION DE DROGUES ILLICITES

RESEAU DES SYNDICATS DU CRIME

- La Mafia

- La Camorra

- La 'Ndrangheta

- Les Yakusas

- Les Triades

- Les clans turcs

- Les autres clans ethniques

- Les groupes de motocyclistes organisés

- Les organisations polonaises

ROUTES COMMERCIALES DES DROGUES ILLICITES

- La route des Balkans

- L'Afrique

- L'Amérique centrale et l'Amérique du Sud

DISPOSITIONS JURIDIQUES

ORGANISATION DES ORGANES DE REPRESSION

- Services nationaux de police et des douanes

- Rôle des agents de liaison anti-drogue

- Interpol

- Conseil de coopération douanière (CCC)

ARGENT DE LA DROGUE ET BLANCHIMENT DE CAPITAUX

INSTITUTIONS POLITIQUES, ORGANISATIONS CRIMINELLES

ET TRAFIC DE LA DROGUE

ENGAGEMENT DE LA COMMUNAUTE EUROPEENNE DANS LA LUTTE

CONTRE LE TRAFIC DE LA DROGUE

- Recommandations pour l'avenir

RECOMMANDATIONS DE LA MINORITE'

DISPOSITIONS JURIDIQUES.

Si l'on veut analyser les ripostes juridiques au trafic de drogue, il convient d'abord de désigner les drogues illicites sur lesquelles sont centrées les activités criminelles. Dans les faits, ce sont les substances prohibées par les conventions successives des Nations unies : la convention unique sur les stupéfiants de 1961, telle que modifiée par le protocole de 1972, la convention sur les substances psychotropes de 1971 et la convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988.

Les principaux instruments juridiques utilisés dans la lutte contre la criminalité organisée et le trafic de la drogue se subdivisent en trois grandes catégories.

La première catégorie comporte les conventions internationales qui ont été signées et ratifiées, et sont entrées en application.

La seconde catégorie n'est autre que la législation européenne qui, par le biais des directives communautaires, impose aux Etats membres l'obligation d'adopter certains textes.

La troisième catégorie, qui peut être dérivée des deux précédentes, se compose des législations nationales requises pour permettre aux organes de répression (services des douanes et de la police) de lutter contre la criminalité organisée et le trafic de drogue. Lesdites législations peuvent naturellement être plus restrictives encore que les exigences des conventions de l'ONU ou des directives de la Communauté européenne.

Le groupe Pompidou du Conseil de l'Europe (groupe de coopération en matière de lutte contre l'abus et le trafic illicite des stupéfiants) a (opportunément) effectué un rapport sur les concepts pénaux de base.

Les conclusions du rapport du groupe Pompidou illustrent la diversité des mesures pénales contenues dans les législations existantes des Etats membres du Conseil de l'Europe. Toutes respectent les grandes conventions internationales relatives aux peines prévues pour usage de drogues illicites, bien que dans certains cas "modulées en fonction de la substance", comme par exemple aux Pays-Bas.

Tous les Etats reconnaissent que la répression est insuffisante en elle-même pour venir à bout d'un problème qui est très complexe et nécessite des mesures efficaces d'ordre social, thérapeutique et de bien-être pour les personnes qui tombent sous l'empire de la prise et de l'abus des drogues.

Il règne un consensus général quant au besoin de réprimer sévèrement le trafic de drogue, conformément à la convention unique de 1961 et aux conventions de Vienne de 1972 et 1988. La France et le Portugal admettent des peines plus légères pour le trafic de petites quantités, tandis qu'aux Pays-Bas la pratique est de ne pas poursuivre la vente de cannabis concernant des quantités inférieures ou égales à 3O g (d'où la présence dans Amsterdam de "cafés" où le cannabis - voire l'herbe néerlandaise du cru - sont vendus aux clients dans de petits sachets).

Le blanchiment de l'argent de la drogue a fait l'objet d'une récente directive communautaire sur laquelle nous reviendrons ultérieurement.

La classification des drogues diverge entre les pays et détermine des disparités dans les peines et les traitements appliqués aux contrevenants. Cette classification, base de toute politique en matière de drogue, constituerait donc un événement d'une portée considérable si elle pouvait faire l'objet d'un consensus, ne fût-ce que sur le territoire communautaire.

Tous les Etats opèrent une distinction entre drogues dures et douces, mais il faut bien admettre qu'une classification entre drogues dures et drogues douces sera l'affaire de chaque pays et qu'il s'ensuivra d'importantes divergences d'opinion.

Par exemple, le professeur Schwartzenberg a exprimé devant la commission d'enquête l'avis que les classifications devraient s'échelonner entre ce qu'il qualifie de drogues ultra-dures (héroïne et crack) et de drogues ultra-douces (thé, café, chocolat), avec cinq sous-catégories intermédiaires. Il ne fait aucun doute que l'acceptation d'une telle pratique de classification faciliterait l'établissement de mesures juridiques et thérapeutiques modulées de manière cohérente, mais il faut à nouveau admettre que - tout au moins dans un avenir prévisible - les pays adopteront individuellement une classification et une approche en harmonie avec leurs contextes juridique et culturel spécifiques. En conséquence, la réponse juridique que chaque Etat apportera à son problème de drogue, tout en opérant une distinction entre drogues licites et illicites, variera sans doute dans le détail. Toutefois, la reconnaissance quasiment universelle de la classification des drogues dures établie par l'ONU garantit que la ripost

e juridique sera cohérente au plan international.

Le document du groupe Pompidou du Conseil de l'Europe expose clairement les divergences actuelles. Il déclare que "huit pays (du Conseil de l'Europe) punissent plus sévèrement les infractions concernant les substances considérées comme plus nocives et qui sont, soit énumérées dans des tableaux différents (Royaume-Uni, Chypre, Portugal, Italie), soit définies par exemple par les Pays-Bas comme des "substances présentant un risque inacceptable", soit nommément désignées. Mais l'accord ne se fait même pas sur la nature des drogues les moins nocives, ainsi la Turquie et le Portugal incluent le cannabis dans les drogues les plus dangereuses, alors que l'Irlande et l'Espagne lui réservent au contraire un sort plus clément. Les autres législations n'établissent aucune différence entre substances et les peines sont les mêmes (...)".

La nature et la gravité des peines encourues pour trafic de drogue varient également, dans une certaine mesure. Le Danemark présente probablement les peines les plus légères, bien que dans tous les pays, les dispositions prévoient diverses peines d'emprisonnement et/ou d'amende. Davantage de pays pratiquent aussi la stricte confiscation des biens des condamnés pour trafic de drogue.

Il apparaît clairement que la lutte contre les stupéfiants est une tâche intimidante et tout ce que l'on peut dire, dans l'état actuel des choses, c'est qu'il n'y a pour l'instant ni gagnant ni perdant dans la guerre contre la drogue.

Le problème appelle une attaque sur trois fronts : contre l'offre, contre le trafic et contre la demande. Chacun de ces fronts doit être indépendant des deux autres et faire appel à ses propres techniques. Cependant tous trois sont complémentaires.

La tâche particulière de la commission d'enquête consiste à étudier les moyens pour s'opposer au trafic et à la criminalité qui en découle. L'ampleur et la complexité de cette tâche, de même que son aboutissement ultime, sera influencé - on pourrait même parler de lien de causalité - par l'efficacité avec laquelle l'offre de stupéfiants sera inhibée ou réduite et, parallèlement, la demande ou le marché, affaiblis. De même, les personnes engagées dans la réduction de l'offre verront leur tâche facilitée si les trafiquants subissent de telles pressions qu'ils ont du mal à acheminer leurs stocks et que, en conséquence, leur volonté ou leur besoin de les reconstituer décroissent.

La réussite finale de la guerre contre la drogue se joue sur le front de la demande. Une campagne soutenue et globale visant à réduire cette demande doit être organisée et mise en oeuvre. Des accès propagandistes sporadiques ne sont pas suffisants. Si la demande, ne serait-ce que pour un certain temps, peut être réduite de façon importante, il est inutile de décrire les conséquences dramatiques que cela aurait sur l'offre et sur le trafic.

Les faits et les chiffres énoncés dans la première partie du présent rapport révèlent l'importance du problème. Ils ne sont pas présentés comme étant définitifs en raison des disparités nationales dans la collecte et l'analyse des statistiques de la drogue, mais ils montrent de façon alarmante et décourageante que le problème est vaste et qu'il ne semble pas s'être sensiblement amenuisé.

Il s'ensuit qu'un courant d'opinion s'est fait jour pour manifester son scepticisme à l'égard d'une approche préventive de la lutte contre le trafic ou de la réduction de la demande et pour défendre le "concept de normalisation" du problème de la drogue. Certains partisans de ce concept préconisent qu'il remplace toutes les autres politiques actuelles, d'autres souhaitent qu'il coexiste avec elles. Ils postulent néanmoins tous que l'instauration d'un monde débarrassé de la drogue est une utopie impossible et que la société devrait être prête à tolérer et parer à l'usage de drogues illicites, ou, de l'avis de certains, à voir la réalité en face. L'on peut faire remarquer que la recherche de la perfection dans quelque domaine de l'activité humaine que ce soit est forcément utopique, mais que ce n'est pas une raison pour ne pas essayer de s'en rapprocher le plus possible. Dans le cas contraire, la démission deviendrait la règle de la vie en société, ce inévitablement à l'encontre des intérêts de cette der

nière.

La première difficulté qui se présente avec ce concept de normalisation réside dans la définition de ses paramètres. Pour certains, il constitue un euphémisme pour légalisation ou décriminalisation et annonce donc la fin de la prohibition. A l'autre extrême, il signifie simplement que le drogué doit être traité comme une victime et non pas comme un délinquant ; il implique alors que des drogues lui soient fournies dans le cadre d'une thérapie de désintoxication.

Le concept de normalisation concerne probablement davantage le front de la demande que la question du trafic et de la criminalité, préoccupation première de la commission d'enquête. Il touche à tous ces aspects et doit plus particulièrement être rapproché du dernier en tant qu'antithèse de la répression déclenchée par le crime.

Si l'on examine la portée que la normalisation devrait avoir, il convient tout d'abord de rappeler que les Nations unies (à toutes fins utiles le monde) se sont prononcées pour l'illégalité de l'abus et du trafic des drogues parce que les substances concernées sont nocives pour l'esprit et le corps humain et dangereusement perturbatrices pour la famille et la communauté. Il s'agit là d'une position juridique très claire et inflexible que la Communauté européenne se doit d'honorer et de respecter en tant qu'organe fondé en droit. Cette position représente pour votre rapporteur un obstacle constitutionnel insurmontable pour une politique de légalisation.

En dehors de cette considération fondamentale, une politique de légalisation devrait entraîner des problèmes de contrôle des types de substances autorisées, de la quantité et de la fréquence des ventes, de l'âge des acheteurs, de l'interdiction de revente, de la prévention d'un marché noir parallèle, du spectre d'un accroissement de la demande et des sources d'approvisionnement. Le contrôle de ces aspects est à l'évidence indispensable et appellera une réponse policière au moins aussi importante que celle requise par l'application d'un régime de prohibition. L'expérience montre clairement aujourd'hui qu'un tel régime ne serait plébiscité que par très peu de pays, qui deviendraient autant de pôles d'attration pour les toxicomanes venus hors de leurs frontières. En 1989, deux fois plus de toxicomanes étrangers (essentiellement allemands) sont décédés à Amsterdam d'une overdose que de ressortissants hollandais, dans la proportion de 28 contre 14.

La plupart des pays acceptent déjà dans une certaine mesure une normalisation, dans le sens où ils traitent le toxicomane davantage comme une victime et comme un patient nécessitant une thérapie que comme un délinquant. Les Etats membres devraient être encouragés, au moins en ce qui concerne les héroïnomanes, à mettre en oeuvre une législation permettant l'enregistrement des individus pour leur donner un accès plus rapide aux soins thérapeutiques. Une telle politique existe au Royaume-Uni, où elle fonctionne avec un certain succès. Cependant, un très petit nombre d'autres pays ont jugé nécessaire ou souhaitable d'appliquer de telles mesures. Une telle législation a pour objet de réduire la demande d'héroïne et de drogues semblables. Par la même occasion, elle "décriminalise" les toxicomanes qui s'affilient à un tel programme et leur ouvre l'accès à des médicaments et à des seringues, sur ordonnance et sous surveillance médicale complète.

Cet examen des attitudes envers la consommation de drogue est pertinent pour les politiques existantes ou devant être mises en oeuvre pour s'attaquer à la demande. Il a déjà été souligné que la réduction de la demande est peut-être l'élément le plus important de la lutte contre la drogue et il est intéressant de noter que le premier sommet ministériel mondial sur la réduction de la demande ne remonte qu'à avril 1990.

Lorsque l'on met en balance les moyens disponibles pour lutter contre la drogue et le développement constant du problème, il n'est pas surprenant qu'un courant d'opinion soit apparu, regroupant ceux qui ont perdu l'espoir devant les faibles progrès accomplis dans la lutte et se sont tournés alors vers la légalisation ou l'anti-prohibitionnisme comme solutions de "colmatage".

Des sommes énormes ont été dépensées, des milliers d'employés se sont investis, des déclarations politiques ont été faites et des réunions et des sommets ont eu lieu dans le monde entier sans que le problème n'ait été notablement réduit. Le message à retenir est cependant qu'il ne faut pas faire un constat d'échec, mais plutôt élaborer une campagne anti-drogue et déceler les dysfonctionnements et les gaspillages de moyens.

Au cours de notre enquête, nous avons relevé l'existence des organes suivants, dont la tâche est en partie de lutter contre la drogue, soit sous le rapport de son offre, de son trafic ou de sa demande :.

- au sein de la Communauté européenne et/ou des Etats membres : le CELAD, l'Observatoire des drogues, le groupe TREVI, le groupe de Schengen, Mag 92, la Convention de Lomé et autres accords de coopération, le groupe de Dublin (avec la participation des Etats-Unis),.

- au sein du Conseil de l'Europe : le groupe Pompidou,.

- le programme des Nations unies de contrôle de la drogue (UNDCP),.

- au sein du Groupe des pays industrialisés (G7) : le Groupe d'action chimique, le Groupe d'action financière internationale,.

- Interpol,.

- le Conseil de coopération douanière.

Ces organes viennent s'ajouter aux services nationaux de police et des douanes, ainsi qu'aux ministères nationaux de la Santé et des Affaires sociales et à leurs diverses agences spécialisées.

Cette liste déconcerte, car la plupart de ces organes ont été créés pour répondre d'urgence à un impératif social ou politique ponctuel, sans que leur place dans le dispositif général n'ait véritablement été pensée. Tous ces organes recèlent d'immenses réserves de savoir-faire et de dévouement, tout en professant avec force la nécessité de parvenir à des résultats.

Toute entreprise humaine demande à être dirigée à partir d'un programme permettant à la fois de prendre de la hauteur et d'ouvrir des perspectives. Le problème à traiter est planétaire et l'Organisation des Nations unies est à l'évidence l'organe qui doit en être chargé, car elle impose l'adhésion, le respect et la loyauté de toutes les nations du monde. Elle possède une agence spécialisée qui s'intéresse spécifiquement au problème des stupéfiants et dont l'organisation est en cours de refonte, à la demande de l'Assemblée générale des Nations unies, pour en améliorer la capacité à mener la lutte mondiale contre la drogue.

Nous estimons qu'une fois réorganisée, cette agence devrait se voir essentiellement confier la tâche d'introduire une cohérence dans la lutte contre la drogue. Elle devrait donc veiller à ce que l'approche tridimensionnelle contre l'offre, le trafic et la demande soit adoptée, que les organes responsables de la lutte dans les divers domaines et les divers secteurs géographiques ne se chevauchent pas et que des contacts et une coopération totale et volontariste s'établissent entre eux. Sur la base légale des conventions conclues internationalement, les Nations unies seraient en outre le forum approprié à l'examen des politiques engagées et des aspects philosophiques du problème. Cette tâche est énorme du point de vue de sa gestion. Nous pensons qu'elle peut être menée avec succès parce qu'il existe des équipes, tant au sein de l'Organisation des Nations unies qu'à l'extérieur de celle-ci, possédant le dévouement, le savoir-faire et les connaissances, qui disposeront - c'est peut-être là l'aspect détermi

nant - du soutien politique total du monde entier. Nous recommandons que la Communauté européenne, réunie dans le cadre de la CPE et avec le soutien technique du CELAD, lance sans plus tarder une initiative politique auprès des Nations unies pour parvenir au but recherché.

ORGANISATION DES ORGANES DE REPRESSION.

Alors que la stratégie planétaire est en cours de réexamen, la bataille doit cependant continuer et notre rôle particulier consiste à lutter contre le trafic de la drogue dans la Communauté européenne et contre les organisations criminelles qui le sous- tendent. Pour l'instant, cette tâche est essentiellement du ressort des services de police et des douanes des Etats membres. Il convient de noter que dans les douze Etats membres, il n'y a pas moins de 28 services de police et des douanes. Le problème ne se pose donc pas uniquement en termes de coopération entre les services des Etats membres, mais, très souvent, le problème à résoudre est celui de la coopération interne.

Ces difficultés de la coopération sont aggravées par les disparités des systèmes judiciaires et juridiques et des procédures d'instruction pénale. Toutefois, les problèmes posés par ces disparités vont perdurer encore longtemps au sein de la Communauté européenne, car l'évolution vers un système judiciaire et juridique commun va nécessairement être lente. Cela ne signifie en tous cas pas que, lorsque les problèmes liés à ces disparités font obstacle à la lutte contre le crime organisé et contre le trafic de la drogue, ils ne devront pas être traités. Même si les solutions à court terme doivent être ponctuelles et bilatérales, la tâche ne saurait dépasser ni l'imagination ni les capacités des Etats membres.

La clé du succès de la lutte contre le crime réside dans l'obtention et dans l'utilisation efficace de renseignements de première qualité. La collecte et l'utilisation de ces renseignements sont primordiales dans la lutte contre le trafic de la drogue.

Malheureusement, nous ne pouvons pas dire avec certitude que la collecte et l'utilisation des renseignements sont aussi efficaces qu'elles le devraient, au sein des Etats membres, dans leur lutte contre la drogue. La coopération dans les Etats membres entre les services des douanes et de police, et entre les services de police eux-mêmes lorsqu'il en existe plus d'un par Etat membre, n'est souvent pas aussi structurée qu'elle devrait l'être. Sur ce point, nos questions ont invariablement reçu la réponse que la coopération était bonne entre les divers services, mais souvent en procédant à un examen plus approfondi, nous nous sommes rendu compte que les actions entreprises étaient ponctuelles et dépendaient parfois de la bonne volonté de responsables à l'échelon approprié, et la plupart du temps de leur perspicacité personnelle. En l'abence de l'un de ces facteurs, le niveau de coopération était alors résolument inférieur. L'objectif de la coopération étant l'utilisation adéquate des renseignements, ainsi

que nous l'avons indiqué ci-dessus, il est clair qu'une structure officielle doit être créée pour remplir cette fonction.

Dans l'état actuel de la situation, les divers services de police et des douanes existant dans les Etats membres de la Communauté européenne reflètent traditionnellement les formes d'autorité émanant de leur souveraineté nationale. Dans certains cas, cette autorité est décentralisée vers les autorités régionales, bien que toujours sous le contrôle ultime de l'exécutif politique, lequel à son tour est contrôlé, à des degrés divers, par les parlements nationaux.

Dans le même temps, des services de police de nature différente peuvent exister au sein du même Etat et dépendre même de ministères différents, une telle situation pouvant à son tour être source de doubles emplois, voire de concurrence entre les différents services, alors même que les objectifs à atteindre sont peut-être identiques. Cela peut également se traduire par des rivalités et, à terme, par une perte d'efficacité préjudiciable à l'intérêt public. Il peut se produire des chevauchements de compétence conduisant à des confusions tant au niveau de la hiérarchie que des exécutants.

A la lumière de ce qui précède, il n'est pas surprenant que la coopération internationale des services de police ne soit pas aussi efficace qu'elle pourrait l'être, bien que, compte tenu des circonstances, elle soit - en dépit de ces contraintes inhérentes - assez bonne. Mais les activités criminelles internationales, notamment celles liées au trafic de la drogue, ne connaissent pas de telles entraves. Elles n'ont pas non plus à faire face à des limitations budgétaires.

Par ailleurs, les autorités douanières sont habituellement organisées sur une base nationale car, autrefois, leur fonction primaire était la collecte des droits et taxes sur les marchandises importées ou exportées. Elles ont toutes une longue histoire de collaboration avec les organisations douanières voisines. Elles ont également la responsabilité première de vérifier les papiers d'identité des personnes et les pièces justificatives accompagnant les marchandises.

En toute logique, donc, les services de police et des douanes partagent un intérêt légitime à travailler en étroite coopération. Ce point reste encore à examiner par le détail, dans le contexte de la lutte contre la criminalité organisée et le trafic de la drogue.

De nombreux hommes politiques et dirigeants nationaux ne réalisent pas qu'on ne peut simplement reléguer les responsables des douanes et leurs services au rang d'associés en second dans la lutte contre le crime. Il faut accorder beaucoup plus de priorité aux services des douanes - dans tous les Etats membres de la Communauté européenne - en termes à la fois de conditions d'emploi des fonctionnaires et de fourniture d'équipements modernes. Ils sont traités, trop souvent, comme les parents pauvres de la police.

Les divers services de police et des douanes de la Communauté européenne travaillent souvent en liaison avec les organes de répression des pays tiers. Le plus important en est sans aucun doute la Drugs Enforcement Agency (DEA) des Etats-Unis, créée en 1973 par la fusion entre le Bureau des stupéfiants du ministère de la Justice et le service des douanes. La DEA est incontestablement l'agence anti-drogue la plus expérimentée et la mieux organisée. Son rôle s'est accentué dans le milieu des années 1980 par la multiplication d'opérations secrètes, notamment en Amérique latine, mais aussi dans la Communauté européenne, en liaison avec ses Etats membres. Aux Etats-Unis, la DEA coopère plus ou moins avec les services du FBI et les garde-côtes. Une coordination des agences fait toujours l'objet de critiques aux Etats-Unis, notamment de la part du Congrès. Cependant, l'action du Congrès a débouché en 1989 sur la création, au sein du Bureau exécutif du Président des Etats-Unis, d'un Bureau de la politique natio

nale de contrôle de la drogue (Office of National Drug Control Policy). En mars 1991, le gouverneur Robert Martinez a succédé à M. William Bennett au poste de directeur de ce bureau, qui détient des responsabilités spécifiques à la fois en matière de répression et de réduction de la demande. Il coordonne les activités de la DEA, du FBI, des garde-côtes, des douanes et des services de police des Etats et supervise l'ensemble de la stratégie du Président Bush en matière de drogues.

Services nationaux de police et des douanes.

Belgique :.

La police judiciaire est organisée en 22 circonscriptions. Une 23e brigade vient récemment d'être constituée pour lutter contre la grande criminalité. Elle est responsable devant le commissaire général du ministère de la Justice.

La gendarmerie est, quant à elle, organisée en 427 brigades couvrant 52 districts, sous l'autorité d'un lieutenant général. Elle agit, aux fins de maintien de l'ordre public et de prévention du crime, sous l'autorité du ministère de l'Intérieur. En matière d'investigation, elle agit sous l'autorité des autorités judiciaires et du ministère de la Justice.

Une police communale est organisée dans chacune des 589 communes sous l'autorité du bourgmestre (maire), le commissaire de police étant l'administrateur en charge.

L'Administration des douanes et accises, placée sous l'autorité du ministère des Finances, dispose de services spéciaux pour la lutte contre le trafic de drogue.

La coordination est censée être assurée par l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) dont la mise en place opérationnelle est longue. Il centralisera les informations émanant de la police et des douanes, et entretiendra des relations avec Interpol et le Conseil de coopération douanière (CCC).

Danemark :.

Les services de police nationale ont établi des cellules spécifiques de lutte contre la drogue dans chacun des 54 districts.

L'administration douanière et fiscale est organisée en 13 bureaux régionaux.

Un service national de renseignement en matière de drogue a été créé pour collecter, enregistrer, coordonner, analyser et faire circuler toutes les informations pertinentes en relation avec la criminalité associée à la drogue, tant sur un plan national qu'international. Il est constitué de fonctionnaires de la police et également des douanes.

France :.

Il existe, sous l'autorité du ministère de l'Intérieur, trois organes spéciaux distincts : l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS), l'Office central pour la répression de la grande délinquance (OCRGD) et, pour la région parisienne, la Brigade de répression du traffic illicite des stupéfiants et de la toxicomanie (BRTIST), ainsi que les CRS et la police des frontières.

La gendarmerie nationale est organisée, sous l'autorité du ministère de la Défense, en 3.6OO brigades locales, plus 386 unités spéciales de recherche.

Sous l'autorité du ministère de l'Economie, des Finances et du Budget, la Direction nationale des recherches et études douanières (DNRED) est notamment compétente en matière d'activités liées à la drogue et au blanchiment de capitaux aux niveaux national et international. Ce ministère est responsable en général du trafic des stupéfiants et du commerce des précurseurs.

Le TRACFIN a également été mis en place pour la lutte contre le blanchiment de capitaux et les circuits financiers illicites, sous l'autorité du ministère de l'Economie, des Finances et du Budget.

L'administration centrale des douanes est généralement compétente pour les affaires douanières et également le contrôle du commerce des précurseurs.

Allemagne :.

L'office fédéral de police criminelle (Bundeskriminalamt) détient une compétence juridique première dans le contexte du contrôle de la criminalité liée à la drogue pour les cas de trafic organisé internationalement, pour lesquels il est nécessaire de faire la lumière sur des faits et circonstances signalés à l'étranger, ainsi que pour les crimes commis en relation avec un tel trafic. Dans les autres cas, l'office ne peut enquêter que sur la base d'une requête ou d'un ordre adéquats. En l'occurrence, toutefois, c'est généralement la police des Länder qui est investie de la compétence première.

L'administration des douanes est compétente pour tous les cas de prévention et de contrôle de la contrebande des stupéfiants. Il incombe au service des enquêtes douanières et à son office central, l'institut criminologique douanier de Cologne, d'assurer les poursuites afférentes à de tels délits. Le service des enquêtes douanières peut également conduire des recherches sur des faits et circonstances concernant des affaires qui se sont déroulées à l'étranger. La législation allemande n'autorise pas actuellement les livraisons contrôlées.

Grèce :.

Il existe des services spéciaux de police affectés à la lutte contre les stupéfiants à Athènes et à Thessalonique. En outre, des fonctionnaires de police spécifiquement formés à cette lutte sont en service dans divers commissariats répartis sur tout le pays.

Les services des douanes sont placés sous l'autorité du ministère des Finances, au sein duquel un nouveau département, spécifiquement affecté au contrôle de la contrebande des stupéfiants, est actuellement en service.

Irlande :.

La répression est assurée par le Gardai et par les services des douanes et des contributions indirectes. Le Gardai comporte en son sein un service central d'investigation. La mission de coordination est placée sous l'autorité d'un préfet de police qui est le coordinateur national pour la criminalité liée à la drogue.

Italie :.

En Italie, les missions de prévention et de répression sont assurées essentiellement par les trois organes de répression judiciaire, à savoir :.

1. la police d'Etat, entité civile intégrée à l'effectif du ministère de l'Intérieur,.

2. les "Carabinieri", entité militaire intégrée à l'effectif du ministère de la Défense,.

3. la "Guardia di Finanza", entité militaire intégrée à l'effectif du ministère des Finances.

Ces organes, ainsi que les services des douanes, sont coordonnés par le service central anti-drogue (DSCA) (c'est-à-dire le service de répression en matière de stupéfiants). Ce dernier collecte, analyse et traite les données émanant des missions anti- drogue assurées par les trois organes susmentionnés. Pour ce qui est des activités d'enquête, la planification et la coordination en sont placées sous l'autorité du DSCA. Ce service entretient des relations opérationnelles internationales avec ses homologues étrangers par le biais de l'OIPC (Interpol); il établit et développe des relations avec d'autres autorités internationales engagées dans la coopération pour la lutte contre les stupéfiants.

En octobre 1991, le gouvernement a adopté des propositions visant à renforcer encore la lutte contre les activités du crime organisé par la création de la DNA (Direzione Nazionale Antimafia) qui coordonne l'offensive juridique lancée contre les activités des organisations criminelles, sous la houlette d'un "super procureur général". A la même époque, la DIA (Direzione Investigativa Antimafia) a vu le jour sous la responsabilité d'un haut commissaire afin de coordonner les activités d'enquête de la police et des douanes. La création de ces deux organes est censée équivaloir à l'instauration d'un "FBI italien", l'accent ayant été plus particulièrement mis sur les organes de répression dans la lutte contre le crime organisé.

Luxembourg :.

La sûreté publique (police judiciaire) est compétente pour toutes les grandes affaires liées aux stupéfiants dans le Grand-Duché. Dans chaque commissariat, la gendarmerie maintient des personnels spécifiquement formés aux affaires de drogue. Les services des douanes emploient également des agents spécialisés en matière de drogue. La coordination est assurée par le responsable de la gendarmerie luxembourgeoise, le chef de la police. Cependant, très peu d'officiers sont globalement affectés à la répression du trafic de la drogue - ils ne sont que huit aujourd'hui - et le renforcement de ce service est demandé avec insistance.

Pays-Bas :.

Le ministère des Affaires sanitaires, sociales et culturelles coordonne la politique néerlandaise en matière de drogue, bien que la compétence concernant les aspects illicites revienne au ministère de la Justice. Chacune des unités de police municipale a un service spécial d'instruction pénale traitant des délits liés à la drogue (la consommation de drogue n'est pas juridiquement prohibée). A l'instar des services des douanes, les unités de police nationales et municipales travaillent en collaboration avec le service central de répression des stupéfiants de l'office national de renseignement en matière criminelle (CRI).

Les ministres de la Justice et de l'Intérieur ont donné instruction de réorganiser la police néerlandaise, en vue de fusionner les 148 polices municipales et 17 districts nationaux en 25 régions. En outre, une organisation centrale sera instaurée pour accroître l'efficacité de la lutte contre le crime organisé.

Portugal :.

Le principal service de police compétent en matière de délits liés à la drogue est la police judiciaire, qui assure également les tâches de coordination et centralise, par le biais d'un office national de renseignement, les informations relatives au trafic de la drogue. La police de sûreté publique et la garde républicaine nationale peuvent être amenées à opérer dans la détection et le contrôle des stupéfiants. Ni les douanes, ni l'administration fiscale n'ont de service spécifiquement affecté aux questions de drogue.

Espagne :.

Sous l'autorité du ministère de l'Intérieur, le service central des stupéfiants (CSN) coordonne, sur une base opérationnelle et informationnelle, la lutte contre le trafic de drogue. La police et la garde civile agissent sur un plan national, assistées par les services de police municipale. Elles comportent toutes deux des équipes spécialisées en matière de drogue. Le service de surveillance douanier opère en collaboration avec les services de police, sous la coordination du CSN.

Royaume-Uni :.

Le service des douanes et contributions indirectes de sa Majesté (HMCE) détient la compétence première en matière de détection et de prévention des importations illégales de drogue. Le HMCE dispose d'une division d'enquête forte de 45O agents - tous mobilisés sur des enquêtes liés à la drogue -, ainsi que des équipes de renfort, plus une section dans la marine.

En ce qui concerne les services de police, on dénombre neuf équipes régionales d'intervention criminelle en Angleterre et au pays de Galles, plus une équipe d'intervention criminelle en Ecosse, pour s'occuper des affaires importantes. Chaque unité comporte une cellule spécialisée en matière de drogue.

La coordination est assurée par le service national de renseignement en matière de drogue (NDIU), composé de fonctionnaires de police et d'agents des douanes expérimentés. Le NDIU comporte des divisions spécialisées dans le blanchiment de capitaux, la surveillance des précurseurs et la criminalité organisée. Il rend compte de ses activités au groupe directeur ministériel en matière de renseignement sur les stupéfiants, sous la présidence du ministère de l'Intérieur.

Rôle des agents de liaison anti-drogue.

La plupart des pays européens ont accepté de nommer des agents de liaison anti-drogue. Ces fonctionnaires expérimentés doivent être affectés dans des pays où la production ou le trafic de drogue constituent un problème grave. La plupart des grands Etats européens ont donc de tels agents en service en Amérique latine et en Asie du Sud et du Sud-Est, ainsi qu'aux Etats-Unis ou dans certains pays européens limitrophes. D'autres Etats au sein de la Communauté européenne ne sont pas encore en position d'affecter des fonctionnaires à cette mission.

La désignation de tels agents facilite la communication entre tous les organes de répression, les services de police et les services des douanes, et améliore en conséquence les possibilités de coordination des efforts pour la lutte contre le trafic de la drogue.

Interpol.

Interpol (Organisation internationale de police criminelle) a le devoir, conformément à l'article 2 de ses statuts :.

- d'assurer et de promouvoir l'assistance mutuelle la plus large possible entre toutes les autorités de police criminelle, dans les limites des législations en vigueur au sein des Etats membres de l'organisation et dans l'esprit de la Déclaration des droits de l'homme,.

- d'établir et de développer toutes les institutions susceptibles de contribuer efficacement à la prévention et à la suppression des infractions pénales de droit commun.

Interpol joue le rôle de réserve centrale d'information alimentée par les Etats membres de l'organisation. Elle est dotée d'un système puissant et complexe de bases de données et de réseaux de télécommunications.

Sa subdivision "stupéfiants" se compose d'agents expérimentés secondés par leurs services de police nationale. La majeure partie de leur travail est centré sur l'Europe. En outre, la mission d'Interpol, en ce qui concerne la drogue et la criminalité organisée (pour laquelle il existe également une subdivision), se tourne de plus en plus vers l'action, des initiatives étant prises en nombre croissant pour contrecarrer les trafiquants de drogue.

Il ne fait aucun doute que depuis sa réinstallation à Lyon, Interpol se trouve investie du devoir d'assurer une mission plus efficace et plus dynamique. L'organisation a les moyens et l'expérience qui lui permettraient de jouer un rôle plus important, conformément aux propositions actuelles du groupe TREVI visant à créer un service européen de renseignement en matière de drogue.

Conseil de coopération douanière (CCC).

Fort de l'adhésion de 111 Etats, le CCC a été instauré en 1953 pour harmoniser les procédures douanières. Bien qu'à l'instar d'Interpol il ne constitue pas un organe de répression en tant que tel, il permet aux services des douanes d'échanger des informations d'ordre opérationnel sur le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes. Il publie régulièrement des documents en rapport avec cette activité de renseignement, par exemple la mise à jour d'informations relatives aux pratiques de ciblage, etc. Depuis 1977, la convention de Nairobi sur l'assistance administrative mutuelle en matière de prévention, d'enquête et de répression des infractions douanières a présidé à la majeure partie des activités du CCC.

Il collabore étroitement et de façon régulière avec Interpol.

ARGENT DE LA DROGUE ET BLANCHIMENT DE CAPITAUX.

Le contexte dans lequel se déroule le trafic de la drogue est, par nature, un paramètre important qu'il faut conserver à l'esprit. L'impact macro-économique des activités criminelles organisées dans le domaine de la drogue est lui-même considérable, dans la mesure où il s'exerce directement sur le système financier international en raison des sommes fabuleuses qu'il met en jeu. Le blanchiment de capitaux - recyclage de l'argent de la drogue par des voies commerciales et financières légitimes - est un corollaire du problème de la drogue et, en dépit de la directive communautaire récemment adoptée sur le blanchiment de capitaux, ce sujet est intrinsèquement lié aux investigations de notre commission d'enquête.

Dans les locaux de Scotland Yard, une affiche porte ces mots : "Blanchiment de capitaux : activité connexe opérant en soutien du trafic de drogue. Une activité ne peut exister sans l'autre.".

De même, en termes d'économie de marché, le trafic de drogue manipule les lois habituelles de l'économie, dans la mesure où la répression d'une activité criminelle crée un effet multiplicateur sur le coût des drogues illicites vendues dans la rue.

Même si les produits retirés de la vente de la cocaïne par les cartels de Medellin et de Cali se montent peut-être à 5 ou 6 milliards d'US $ par an, et à peine moins pour les producteurs asiatiques d'opium, l'ensemble de ces profits ne totalise pas plus de 1O% environ de tout l'argent que la drogue fait circuler chaque année. La plus grande partie des bénéfices est engrangée par de grandes multinationales du crime.

Lorsque le Groupe d'action financière internationale (GAFI) a remis son rapport au G7, en avril 199O, il estimait le montant de la vente de toutes les drogues illicites à approximativement 122 milliards d'US $.

Montant des ventes de stupéfiants - 1989

(en milliards d'US $)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -.

USA Europe Total.

Cocaïne 28,8 6,7 35,1

Héroïne 1O,O 2,1 12,1

Cannabis 67,2 7,5 74,7

- - - - - - - -

1O6,O 16,3 121,9.

Les 8O % du total sont blanchis en vue d'une utilisation légale sur les marchés monétaires et financiers du monde entier.

Outre les bénéfices annuels provenant directement du trafic de la drogue, il faut considérer les intérêts acquis par les investissements effectués les années précédentes au moyen de l'argent de la drogue. Ce revenu a été établi à 82O milliards d'US $ sur dix ans ; selon d'autres sources, ce chiffre serait considérablement plus élevé. En tout état de cause, de tels montants sont plus que suffisants pour exercer un impact énorme sur des sociétés multinationales même très importantes, voire - selon certains - sur l'économie mondiale en général.

Des banques, souvent - mais certes pas en exclusivité - domiciliées dans des paradis fiscaux et des territoires insulaires "offshore", réalisent des bénéfices égaux au moins à 1O % des 8O à 1OO milliards d'US $ qui sont blanchis chaque année.

La plupart des profits amassés par les trafiquants de drogue et les syndicats du crime sont recyclés comme capitaux spéculatifs au sein des bourses et des marchés financiers du monde entier.

La combinaison de tous ces facteurs explique l'empressement avec lequel les chefs d'Etat et de gouvernement des démocraties de la planète tentent d'appréhender le phénomène. Se saisissant d'un prétexte approprié - le blanchiment de capitaux induit une concurrence déloyale entre les banques ! -, la Communauté européenne a adopté une directive relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux (COM(91) 182).

Cette nouvelle directive communautaire, qui entrera en application le 1er janvier 1993, suit dans les grandes lignes les dispositions de l'article 5 de la convention de l'ONU de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes. Les deux textes demandent un renversement de la charge de la preuve concernant l'origine des fonds douteux. Les suspects doivent apporter la preuve que les montants qu'ils déposent émanent de sources légales. Les éléments principaux de la nouvelle directive sont : l'assimilation du blanchiment de capitaux à une infraction pénale, l'exigence d'identification des clients et des ayants droit économiques, la diligence requise des établissements de crédit et des institutions financières et la nécessité d'encourager la coopération entre les institutions financières et les organes de répression. Le Parlement européen a joué un rôle déterminant dans le renforcement de certains éléments de la proposition initiale .

Le Comité des gouverneurs de banques centrales de Bâle a élaboré une déclaration de principes sans équivoque, dont l'objectif est de renforcer les pouvoirs de surveillance des systèmes bancaires des pays membres. (Ce comité ne comprend que sept Etats membres de la Communauté européenne.) Cependant, les diverses autorités de tutelle n'ont pas les mêmes responsabilités en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux. Malgré cela, il semble que des efforts soient consentis pour assurer l'application par les institutions bancaires de la déclaration de principes, qui dans quelques cas a été intégrée à la législation nationale.

Il va sans dire que les trafiquants de drogue et autres criminels organisés sont toujours en quête d'autres méthodes pour blanchir et recycler leurs profits. L'or, les pierres précieuses et les transactions immobilières sont autant de solutions courantes. La principale faiblesse du droit international et des législations nationales réside dans le fait que, de manière générale, ils reposent sur l'intégrité du système bancaire. Or, les événements prouvent que cette intégrité ne doit pas être prise pour argent comptant.

En effet, ce ne sont pas seulement des paradis fiscaux tels que les Bahamas ou le Panama qui demeurent accueillants aux "blanchisseurs" de capitaux . Avant l'adoption de la nouvelle législation suisse, les principales banques de ce pays étaient impliquées dans le blanchiment de l'argent de la drogue - comme l'a démontré l'enquête parlementaire suisse, et comme l'a reconnu la Bank of Credit and Commerce International en plaidant coupable face aux charges retenues contre elle par les tribunaux de Floride, lors du célèbre procès de 1988. On a découvert en octobre 1985, suite à une opération menée par les enquêteurs des douanes de sa Majesté, que le général Noriega, qui attend actuellement son procès aux Etats-Unis sous divers chefs d'inculpation liés à la drogue, a été titulaire de comptes suspects auprès de la succursale londonienne de la BCCI. Depuis lors, les agents des douanes ont révélé un vaste réseau de blanchiment d'argent compromettant les cartels colombiens, Manuel Noriega et la succursale londo

nienne de la BCCI. M. Major, qui était alors chancelier de l'Echiquier, y a fait allusion dans une intervention à la Chambre des Communes le 18 janvier 199O.

La sous-commission judiciaire sur la criminalité et la justice pénale du Sénat des Etats-Unis a mené des investigations sur les répercussions du scandale de la BCCI sur le système bancaire américain. Elle a découvert des insuffisances graves au niveau de la coordination entre les divers services spécialisés (douanes, recette des finances, banque centrale (Federal Reserve Board) et DEA). La sous-commission précise que, selon elle, "peu de mécanismes semblent être en place pour assurer soit une utilisation commune des renseignements par l'ensemble des organes de répression au sein des diverses juridictions, soit la circulation des informations vers les niveaux supérieurs de prise de décisions." Il apparaît avec force qu'une telle situation doit être évitée au sein de la Communauté européenne par le déploiement d'efforts importants, d'où les recommandations avancées dans le présent rapport. A l'heure actuelle, il reste cependant encore du chemin à parcourir avant qu'une telle coopération ne soit pleinemen

t instaurée.

Non seulement les organes nationaux de répression sont engagés dans un processus de renforcement de leurs ressources pour lutter contre ce type d'activités criminelles liées directement - mais pas exclusivement - au trafic de la drogue, mais l'organisation Interpol s'est elle-même saisie très sérieusement du problème et prend plus souvent l'initiative de coordonner efficacement les activités des services de police et (avec la coopération directe du CCC) des douanes de ses Etats membres. Avec le CCC, elle met en place d'importants programmes de formation pour renforcer encore davantage les capacités d'intervention des services de police.

Dans le cadre de son intervention devant la commission d'enquête, M. Chapuis, de l'Association suisse des banquiers, a exposé très clairement la position de son association face au blanchiment de capitaux. Il a cependant ajouté - propos qu'il convient de comprendre dans leur sens large - que "pas plus qu'aucun code pénal n'a jamais empêché les meurtres ou les vols, une législation contre le blanchiment, même très répressive, ne parviendra pas à éliminer totalement le phénomène du recyclage des capitaux d'origine criminelle".

En Suisse, au Luxembourg et dans d'autres pays d'Europe, y compris le Royaume-Uni et la France, des mesures législatives plus sévères ont été introduites pour renforcer l'action entreprise contre le blanchiment de capitaux. D'autres Etats, notamment l'Allemagne, prennent plus de temps pour se conformer aux règles plus strictes de la directive européenne sur le blanchiment de capitaux.

Outre cette directive européenne sur le blanchiment de capitaux, le Conseil de l'Europe a, quant à lui, élaboré une Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, invitant tous les Etats membres à assimiler le blanchiment de capitaux à un délit pénal.

Dans certains Etats européens, notamment le Royaume-Uni, la législation reconnaît le caractère international du trafic de drogue et autorise les recherches concernant l'origine des fonds supposés provenir de la drogue. La confiscation est possible s'il existe un "accord de confiscation". De tels accords ont par exemple été conclus entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis, ainsi que plusieurs pays, dont la Suisse, l'Espagne, l'Italie, le Nigéria, les Bahamas, le Mexique et Gibraltar. Il est évident que tous les Etats membres de la Communauté européenne devraient en passer entre eux. Un exemple de cette procédure est fourni par les événements qui ont suivi la perquisition d'une ferme colombienne au cours de laquelle ont été découverts des documents attestant de l'existence de comptes bancaires reliés entre eux à l'échelon planétaire. Il était indispensable d'entreprendre une action immédiate pour geler les actifs d'un certain Rodriguez-Gacha placés au Royaume-Uni. On a donc eu recours à l'accord de confisc

ation, dans la mesure où Rodriguez-Gacha avait été mis en accusation aux Etats-Unis pour des affaires liées au trafic de la drogue.

Le ministère américain de la Justice a d'abord adressé une demande formelle au ministère de l'Intérieur britannique. L'affaire a ensuite été transmise par le service national de renseignement en matière de drogue (NDIU) à un responsable du service des douanes et des contributions indirectes de sa Majesté (HMCE), dont le travail fut coordonné par le service national de renseignement en matière de drogue en collaboration avec le ministère américain de la Justice. Cette procédure a été déterminante et a démontré la valeur de la démarche analytique, dans la mesure où la découverte de comptes reliés s'est poursuivie dans le monde entier. Par une analyse appropriée des documents, il a été possible d'identifier des comptes bancaires préalablement inconnus, détenus à Londres par l'organisation du suspect .

La nouvelle législation sur le blanchiment de capitaux contraint les responsables de banques à révéler les transactions douteuses. L'exemple du Royaume-Uni et de l'application de la loi de 1986 sur les délits liés au trafic de la drogue illustre encore une fois les problèmes associés à l'identification des "blanchisseurs" de capitaux. Il existe, au Royaume-Uni, 16.OOO succursales bancaires détenant 7O millions de comptes. Même si le nombre de levées du secret bancaire s'est considérablement accru, il n'y en a eu que 1.890 en 199O, soit quatre fois plus qu'en 1987. A la fin du mois d'octobre 1991, le nombre en était de 2.900. La nouvelle loi de 199O sur la justice pénale (coopération internationale), entrée en vigueur le 1er juillet 1991, autorise la confiscation des actifs injustifiés. Des lois similaires existent dans d'autres Etats européens.

Le réinvestissement de capitaux obtenus illégalement constitue l'objectif final des "blanchisseurs" de capitaux. Un certain nombre de secteurs se prêtent à un tel réinvestissement. Les secteurs du jeu et des paris autorisés est souvent celui où les contrôles sont les plus laxistes. Le secteur social est également utilisé, car dans certains pays les contrôles ne sont que superficiels et les situations de monopole prévalent. Parmi les activités de production, le secteur du bâtiment facilite des virements complexes de fonds, dont l'origine ne peut être identifiée en raison de la pratique désormais courante qui consiste à créer un nombre indéfini de sociétés, chacune ayant pour objet la construction et la vente d'un seul immeuble. Les sociétés sont reliées entre elles par leur holding commune et un réseau compliqué de relations économiques et financières est tissé entre elles. Indépendamment de leur objet social, les sociétés au bord de l'insolvabilité représentent un autre objectif attrayant pour de tels

investissements, car elles sont prêtes à accepter des capitaux dont elles ont un besoin criant sans procéder à des contrôles autres que de pure forme. Les marchés publics octroyés par appel d'offres à une seule société posent également des problèmes particuliers, car la société en question peut à son tour sous- traiter auprès d'organisations moins scrupuleuses ayant des liens avec des associations de malfaiteurs telles que la Camorra.

Confrontées aux nouvelles dispositions législatives et à une prise de conscience de plus en plus répandue dans la communauté bancaire quant à la menace que fait peser le blanchiment de capitaux sur l'intégrité des institutions bancaires, les organisations criminelles, notamment celles basées en Asie, se tournent vers le système bancaire informel, également connu sous l'appellation de "Hawala", "Hundi", "Chiti" ou "Chop Shop System". Ces systèmes parallèles sont utilisés depuis de nombreuses années par les communautés indiennes et chinoises pour éviter le contrôle des changes. Au Royaume-Uni, plusieurs poursuites ont été engagées contre des "banquiers" Hawala.

INSTITUTIONS POLITIQUES, ORGANISATIONS CRIMINELLES ET TRAFIC DE LA DROGUE.

Les capitaux considérables retirés du trafic de la drogue et la facilité avec laquelle ils ont jusqu'à présent pu être blanchis indiquent que leurs détenteurs délictueux ont une influence et un pouvoir énormes. Il serait logique d'utiliser un tel pouvoir pour s'efforcer de réduire les aptitudes des organes gouvernementaux de lutte anti-drogue et la méthode évidente consiste à essayer de corrompre les hommes politiques, les administrations et la police.

Il serait vain de croire que cela n'existe pas ou que des manoeuvres dans ce sens ne sont plus tentées. Dans les pays de la Communauté européenne, mise à part l'exception malheureuse de certaines régions de l'Italie, il n'existe aucune preuve d'une infiltration et d'une corruption systématiques des milieux politiques. Cette situation ne doit pas conduire à quelque complaisance que ce soit, car il ne fait aucun doute que le crime organisé est constamment à la recherche de méthodes de corruption.

Il appartient aux responsables d'être continuellement conscients de ce danger et de veiller à la mise en place de mécanismes appropriés pour le combattre. S'il n'existe pas de preuve d'une corruption systématique ou endémique dans les pays de la Communauté européenne, un certain nombre de cas isolés ont été relevés au niveau policier et politique dans plusieurs pays. Les autorités de ces pays, ayant eu connaissance de tels cas, ont pour responsabilité particulière de faire en sorte qu'ils ne se reproduisent pas et, par conséquent, de se protéger contre une infiltration ou une corruption éventuelle à l'avenir.

Même si en France les accusations de financement illégal des partis politiques se fondent sur des techniques comptables illégales faisant appel à des fausses factures, aucun rapport avec des organisations criminelles ou des trafiquants de drogue n'a été suspecté à ce niveau. Cependant, des liens entre certains notables locaux, et d'anciens politiciens nationaux, dans le Midi de la France et notamment à Nice et à Marseille, avec des familles de la Mafia italienne ont été établis. L'ancien maire de Nice est sous le coup de plusieurs chefs d'accusation pénale et vit actuellement en exil volontaire en Uruguay. Le démantèlement des anciennes familles mafieuses de Corse a révélé l'existence d'activités du crime organisé liées au trafic de la drogue. Aujourd'hui, les activités terroristes en Corse et dans le Sud de la France sont considérées comme étant liées au trafic de la drogue, de même que les règlements de compte et les vendettas au sein du milieu local.

D'autre part, en Italie, l'ancien maire de Palerme, M. Leoluca Orlando, a porté des accusations spécifiques contre des politiciens directement liés aux affaires de profits de la drogue concernant la Mafia. Il a aussi demandé directement à savoir pourquoi des affaires comme le scandale du Banco Ambrosiano, l'affaire de la loge P2 et la mort d'Aldo Moro n'ont jamais été totalement élucidées, faisant planer une responsabilité sur certains hommes politiques réputés. En Allemagne, les craintes d'une participation du crime organisé au gouvernement et à l'administration des Länder, notamment dans l'ancienne RDA, se multiplient.

La difficulté qu'il y a à trouver un lien direct entre le trafic de la drogue et la corruption politique est aggravée par le fait que, lorsque d'importantes sommes sont utilisées pour corrompre, ces capitaux sont très vite recyclés au moyen de sociétés-écrans légales, discrètement mais efficacement contrôlées par des représentants du crime organisé. De tels liens politiques clandestins sont malaisés à percer au sein de sociétés extrêmement complexes et en évolution constante. Ce lien est beaucoup plus facile à déceler dans de nombreux pays producteurs de drogue dont les institutions ont été complètement minées par le pouvoir des "barons" locaux de la drogue (cf. cas du Pakistan précité ou Colombie).

Il semblerait qu'un canal évident utilisé pour orienter des fonds vers des pouvoirs locaux ou des hommes politiques fait appel aux institutions bancaires et financières. Le scandale international de la BCCI en témoigne et il ne s'agit probablement pas de la seule banque qui ait recyclé des profits de la drogue et les ait appliqués à une utilisation politique. La Habib Bank du Pakistan s'est également prêtée à de telles pratiques ; en Italie, les actifs du Banco Scilla ont été mis sous séquestre en raison de ses liens connus avec la Camorra.

L'infiltration du crime organisé dans la politique peut emprunter d'autres voies que la corruption. L'intimidation et les menaces envers les hommes politiques ou leurs familles afin de s'attirer leurs faveurs est un autre moyen utilisé dans ce but. Bien évidemment, corruption et intimidation ne s'excluent pas toujours mutuellement. En outre, l'intimidation peut être ciblée ou généralisée. Lorsque l'on considère qu'en 1990, un tiers des 1.692 meurtres commis en Italie était lié directement au crime organisé et que les deux tiers de tous ces meurtres ont été perpétrés dans les trois régions d'origine de la Mafia, de la Camorra et de la 'Ndrangheta, l'on a une idée du climat de pression intense dans lequel se déroule l'activité politique. En Calabre, le taux de meurtres représente cinq fois la moyenne nationale (voir en annexe document de M. Colajanni).

Pendant la campagne électorale de 1990 dans les provinces de Reggio de Calabre et de Naples, huit candidats aux élections locales furent assassinés.

Au cours des récentes élections régionales en Sicile, les activités des clans mafieux catanais à l'appui de certains candidats ont été mises à jour (par écoutes téléphoniques).

Le maire de Reggio de Calabre a récemment déclaré que le retard pris dans la mise en oeuvre de la loi spéciale relative à Reggio (qui fixe les crédits destinés aux sociétés de travaux publics gérées en partie par les collectivités locales) est imputable entre autres choses aux craintes qu'il nourrit de saisir de la question le conseil municipal où environ 10 à 15 % des conseillers ont été élus par la Mafia.

La commission des élections de la Chambre des députés est parvenue à la conclusion que la Camorra a participé aux graves fraudes électorales qui se sont produites dans la région de Naples lors des dernières élections générales.

Le "code d'autorégulation des candidatures", proposé par la commission parlementaire antimafia (qui prévoit l'exclusion des listes électorales des candidats ayant été appelés à comparaître en justice pour des infractions dénotant leur appartenance à des organisations criminelles de la Mafia ou leur fréquentation de telles organisations) et approuvé par les secrétaires nationaux de tous les partis politiques, a été largement ignoré dans un certain nombre de cas, dès sa première application, pour la constitution des listes électorales pour les élections administratives dans diverses provinces et pour les élections régionales de Sicile, au printemps de cette année.

L'ancien haut-commissaire chargé de la lutte contre le crime organisé en Italie a indiqué publiquement que 17.000 (soit 15 %) des 124.000 administrateurs locaux italiens font actuellement l'objet d'une instruction.

Dans les régions d'Italie du Sud, les affaires d'association illégale avec les organisations de la Mafia (article 416 bis du code pénal italien) ont augmenté de 37 %. Dans les autres régions d'Italie, et notamment dans les grandes villes du Nord telles que Milan et Turin, le crime organisé est soupçonné d'avoir infiltré profondément les secteurs financiers et industriels.

Le crime organisé en Italie élargit son champ de pénétration au coeur de l'Etat et de la société civile, notamment au niveau de la structure des collectivités locales et régionales qui, entre autres choses, sont souvent responsables des projets de travaux publics.

Les autorités italiennes ont révélé l'ampleur de l'implication de la Mafia dans les projets de travaux publics locaux, en partie pour recycler les profits du trafic de la drogue. Sur 27 chantiers de Campanie, 48 contrats de sous-traitance non autorisés, 28 infractions à la législation antimafia et 305 infractions à la loi interdisant le recours à des intermédiaires sur le marché du travail et à la réglementation de la sécurité ou de l'évasion fiscale ont été dénombrés. Les projets de travaux publics nationaux tels que l'autoute Rome-Naples et la base de l'OTAN à Isola Capo Rizzuto sont d'autres exemples de ce phénomène.

Dans le même temps, le contrôle exercé sur les institutions politiques locales au moyen de méthodes de corruption et d'intimidation permet aux organisations criminelles de poursuivre leurs activités liées au trafic de la drogue avec une relative impunité.

Bien que les lois électorales italiennes aient été légèrement modifiées à la suite d'un référendum destiné à limiter les fraudes électorales commises par les organisations illégales, des cas se sont produits où les clans de la Mafia, la Camorra et la 'Ndrangheta sont parvenus à faire figurer leurs "candidats" sur les listes de certains partis et à les faire élire.

Tous ces éléments nous conduisent à confirmer l'institutionnalisation du crime organisé en Italie et alimentent les craintes que l'internationalisation des activités criminelles doivent inciter d'autres pays européens à la prudence.

Le gouvernement allemand estime que les ventes illicites de drogue atteignent de 2 à 4 milliards de DM par an. Il concède que l'attrait de l'Allemagne pour le crime organisé est renforcé par sa puissance économique et sa position géographique, et considère en conséquence que la vie commerciale, économique et financière de la République fédérale a véritablement été pénétrée par le crime organisé lié au trafic de la drogue. Il se trouve également que les places financières allemandes, notamment Francfort, sont de plus en plus utilisées par les syndicats du crime organisé pour leurs opérations de blanchiment de capitaux.

Les autorités allemandes ont informé la commission d'enquête de cas sporadiques d'implications de fonctionnaires allemands dans le trafic de la drogue, tout en reconnaissant que ce problème prend une ampleur croissante. Toutefois, il est globalement considéré comme étant marginal pour l'instant. Cependant, la subornation et la corruption des employés publics ne sont plus limitées à quelques individus, bien que l'hypothèse selon laquelle les milieux policiers ou politiques seraient infiltrés ou influencés par des organisations criminelles soit considérée comme étant exagérée.

La situation concernant l'ancienne RDA est d'un côté moins claire, tout en étant potentiellement plus inquiétante. Des craintes existent que la dissolution de l'ancienne police secrète d'Allemagne de l'Est, qui était engagée dans le trafic de la drogue, pourrait déboucher sur la pénétration des collectivités locales et des organes officiels actuels par des trafiquants de drogue expérimentés. De tels individus pourraient être particulièrement actifs dans le trafic de la drogue à partir de pays de l'ancien bloc communiste, avec lesquels ils ont eu précédemment des liens très étroits, à destination de l'Europe occidentale.

Les répercussions des activités criminelles menées dans de vastes secteurs d'activité politique, allant de la politique nationale aux pouvoirs locaux, doivent inciter les institutions et les partis politiques de la Communauté européenne à adopter de nouvelles règles et un nouveau comportement, dans le but de rendre plus transparents et plus accessibles à l'examen du public les institutions démocratiques et leur financement. Des mesures telles que le financement public (par exemple par l'Etat) des partis politiques et la vérification publique de la provenance des fonds engagés dans les campagnes électorales devraient être étudiées par les pays n'en disposant pas actuellement. En outre, les hommes politiques élus à quelque niveau que ce soit devraient être tenus de révéler leurs intérêts commerciaux afin d'écarter tout soupçon d'association compromettante. Il existe sans nul doute d'autres mesures qui pourraient également être prises pour lutter efficacement contre la menace de la corruption. Une attenti

on particulière doit être accordée aux dépenses réalisées par les collectivités locales et les agences gouvernementales. Celles-ci ne devraient pas pouvoir être en mesure de nouer des relations d'affaires avec des sociétés ou des individus qui collaborent aux activités du crime organisé.

ENGAGEMENT DE LA COMMUNAUTE EUROPEENNE DANS LA LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE LA DROGUE.

Depuis le rapport Stewart-Clark du Parlement européen en 1986, les Etats européens ont adopté des politiques, que ce soit sur le plan national ou par le biais de la Communauté européenne elle-même, du Conseil de l'Europe ou des Nations unies, qui ont considérablement renforcé leur arsenal législatif et administratif contre la criminalité organisée et le trafic de la drogue. Néanmoins, les risques encourus du fait de l'abus de stupéfiants dangereux sont toujours présents dans notre vie et, comme ce rapport l'a démontré, les quantités mises en cause tendent à augmenter.

Cela prouve qu'en dépit des efforts déployés, la Communauté européenne et ses Etats membres n'ont pas encore pleinement appréhendé toutes les incidences de cet inquiétant phénomène. Cela prouve également que la simple adoption de législations et de conventions internationales produit peu d'effets positifs si elle n'est pas assortie d'autres décisions politiques visant à renforcer les capacités des services de police et des douanes à contrecarrer la menace. Nul ne prétend que les problèmes de drogue se résoudront purement et simplement par le renforcement de l'appareil répressif, qui est au service de nos sociétés démocratiques et dont la raison d'être est le maintien de la liberté, tant collective qu'individuelle. D'énormes efforts restent encore à déployer par le biais de nos services sociaux et de nos établissements d'enseignement pour élever le niveau de vigilance des secteurs vulnérables de notre société et pour s'occuper des personnes qui souffrent de la toxicomanie, ou qui ont besoin de soins ou

de conseils.

La Communauté européenne et ses Etats membres ont, au fil des années, apporté leur modeste contribution financière, en particulier aux pays en voie de développement d'Asie et d'Amérique latine pour encourager les cultures de substitution. Des accords commerciaux spécifiques ont également été mis en place pour faciliter les relations commerciales et encourager les exportations légitimes de ces pays à destination de la Communauté européenne. Les Nations unies ont également lancé un certain nombre de programmes en Amérique latine et dans les Caraïbes, ainsi qu'en Asie, pour détourner les agriculteurs de la production de cannabis, de coca ou d'opium.

Sous la présidence française, en 1989, le Président François Mitterrand a lancé un plan en sept points visant à mobiliser les énergies dans la lutte contre la toxicomanie. Les sept points susmentionnés étaient les suivants :.

- diagnostic de la toxicomanie en Europe et établissement d'un observatoire européen des stupéfiants ;.

- convergence des politiques nationales en matière de drogue ;.

- renforcement des contrôles contre le trafic de drogue aux frontières extérieures de la Communauté européenne ;.

- mise en oeuvre des dispositions de la convention des Nations unies de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes ;.

- coordination des politiques relatives aux pays producteurs ;.

- établissement d'une politique commune au sein de la Communauté européenne en matière de blanchiment de capitaux ;.

- nomination, par chaque Etat membre et par la Commission, d'un coordinateur pour les problèmes de drogue.

Un Comité européen pour la lutte anti-drogue (CELAD), composé des coordinateurs nationaux, a commencé ses travaux au début de l'année 199O.

Les Etats membres ont coordonné leurs actions dans des domaines situés jusque-là hors de la compétence communautaire (ou considérés comme tels par certains) au sein du groupe TREVI et du groupe d'assistance mutuelle. L'accord de Schengen s'est également avéré controversé dans la mesure où il traite des contrôles frontaliers d'un point de vue extérieur à la surveillance institutionnelle de la Communauté européenne.

Au cours de l'année dernière, la Communauté européenne a pris un certain nombre de décisions. En ratifiant la convention de Vienne de 1988, elle est parvenue à établir sa compétence en ce qui concerne notamment le blanchiment de capitaux et le contrôle des produits chimiques précurseurs et essentiels. Elle a élaboré un règlement sur les précurseurs et adopté une directive sur le blanchiment de capitaux. Elle a aussi participé pleinement aux missions des groupes d'action du G7 dans le domaine financier (GAFI) et dans celui des précurseurs et produits chimiques essentiels (Groupe d'action chimique).

Au sommet de Rome, un plan européen contre les drogues a été adopté.

Il est regrettable que des conflits de compétence entre les Etats membres et la Communauté européenne diminuent leur capacité à agir efficacement. De la même façon que le calcul des crédits affectés aux organes de répression en fonction du volume annuel de leurs saisies (ce qui affaiblit les motivations pour organiser des livraisons contrôlées) est une politique à courte vue, les Etats membres et la Communauté européenne font preuve d'aussi peu de clairvoyance en diminuant leur propre capacité à résoudre un problème aussi délicat par des différends quant à la question de savoir si telle ou telle mission relève plutôt de la compétence nationale ou communautaire.

Recommandations pour l'avenir.

L'élimination des barrières douanières entre les Etats membres de la Communauté européenne, conformément à l'établissement du marché unique le 1er janvier 1993, va de toute évidence susciter certaines faiblesses dans la capacité des Etats membres à lutter contre le trafic de la drogue, à moins que l'on parvienne à introduire des mesures compensatoires. En l'occurrence, le renforcement des frontières extérieures ne constitue pas par lui-même une mesure compensatoire adaptée. Ce n'est pas seulement parce que les amphétamines ou autres drogues à base de produits chimiques sont produites dans la Communauté européenne, mais également parce que nous savons que des contrôles même renforcés n'empêcheront pas le passage des produits de contrebande.

Déjà, les services de police et des douanes recourent au ciblage et au profilage sélectifs du trafic à haut risque (mer, air, terre et rail) aux points-clés d'entrée dans les divers pays. Pour que cette mission puisse effectivement se poursuivre, il est primordial que les services de police et des douanes ne soient pas privés d'informations concernant les mouvements de marchandises. L'accès à l'information n'a pas lieu d'entraver - et il ne le doit pas - la libre circulation des marchandises et des personnes. Car aussi longtemps que l'on accordera une priorité à l'arrestation et à la détention des chefs et organisateurs des grands syndicats du crime impliqués dans le trafic de la drogue, la police et les douanes devront recourir aux meilleurs moyens possibles d'information pour être à même de pratiquer des livraisons contrôlées. Il est nécessaire d'améliorer les techniques d'investigation qui respectent, bien sûr, les droits de l'homme, tout en maintenant la pratique des contrôles sélectifs opérés au s

ein du trafic. Il faut également élever au rang de priorité l'amélioration de la coopération entre les Etats membres dans des domaines tels que les livraisons contrôlées, la diffusion de l'information et la surveillance aérienne et maritime. Une meilleure coopération entre les services des douanes, les transitaires et les entrepreneurs de transport, les compagnies maritimes, etc. peut également contribuer au libre écoulement du trafic légitime au sein de la Communauté européenne. Il n'y a pas de raison de ne pas conserver par exemple les manifestes de transport, même si les déclarations formelles en douane sont appelées à disparaître.

En bref, il est nécessaire de faire beaucoup plus encore pour que la réalisation du marché unique européen puisse profiter aux personnes et aux entreprises commerciales tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Communauté européenne, sans bénéficier pour autant aux criminels organisés.

Le sommet de Luxembourg de juillet 1991 a approuvé le principe de l'établissement d'un observatoire européen des drogues, sans toutefois prendre de décision quant à sa dimension ou à sa structure effectives, qui seront débattues lors du sommet de Maastricht.

C'est également lors de la prochaine réunion du Conseil européen à Maastricht que les propositions du gouvernement allemand concernant la lutte contre le trafic international de la drogue et le crime organisé seront examinées, de même que des suggestions émanant d'autres Etats membres. Les propositions allemandes portent notamment sur la création d'une "Europol".

Un service de police a pour rôle premier de faire appliquer la législation du pays en recherchant et en arrêtant les contrevenants et en recueillant les preuves permettant d'engager des poursuites judiciaires. A partir de cette définition, l'idée d'une "Europol" - si l'on entend par là un service de police fédérale européenne - est prématurée parce qu'il n'existe pas encore un corpus de droit pénal européen en vertu duquel un tel service de police pourrait agir au-delà des frontières nationales. Cependant, la perspective d'une Communauté intégrée, tant au plan institutionnel qu'économique, appelle une réponse intégrée à ses besoins de police. Elaborer cette réponse est aussi difficile qu'urgent. La difficulté réside dans la multiplicité des services de police au sein des Etats membres, dans les différentes formes de tutelle politique, dans le manque d'uniformité des procédures opérationnelles et dans les divergences qui existent d'un pays à l'autre quant à leur contrôle.

La coordination de ces différences au niveau opérationnel doit être confiée aux autorités professionnelles de police (avec les organes des douanes le cas échéant). Des progrès importants ont déjà été réalisés dans le cadre des procédures TREVI et de l'expérience acquise en vertu de l'Accord de Schengen. Il faut espérer qu'un accord politique visant à poursuivre une telle coopération pourra être conclu.

La proposition la plus adaptée, qui fait actuellement l'objet d'un examen, concerne la création d'un service européen de renseignement en matière de drogue, dont le personnel devrait être recruté parmi les services de police et des douanes des divers Etats membres et comprendre des agents de liaison anti-drogue de pays tiers d'importance cruciale. Ce service devrait avoir son siège à Lyon et être capable d'intégrer ses activités au sein d'Interpol. De la sorte, la coopération et la liaison avec les pays tiers seraient améliorées, tout en permettant à la Communauté européenne elle-même de renforcer la lutte contre le trafic de la drogue et le crime organisé dans un contexte transnational.

Les fonctions principales du service européen de renseignement en matière de drogue devraient être d'accélérer les échanges d'informations entre les Etats membres de la Communauté européenne et de proposer des initiatives et des actions qui seraient en rapport avec les livraisons contrôlées de drogues illicites et l'arrestation des grands criminels impliqués. En résumé, ce service devrait pouvoir déclencher les actions opérationnelles des services de police et des douanes spécialisés des Etats membres.

Le service européen de renseignement en matière de drogue devrait être politiquement responsable devant le Conseil des ministres de la Communauté européenne ou devant un organe spécifique du Conseil des ministres créé à cet effet. Le Parlement européen doit avoir le droit d'interroger le Conseil des ministres, ou l'organe spécifique susmentionné (de la même façon qu'il interroge les ministres des Affaires étrangères réunis dans le cadre de la Coopération politique européenne), sur les questions concernant la politique anti-drogue européenne et la lutte contre le crime organisé. Le Président et la commission juridique du Parlement européen, ou une commission spécialisée compétente, devraient recevoir un rapport annuel du Conseil des ministres sur ces questions.

Pour fonctionner optimalement, ce service de renseignement en matière de drogue doit être capable de s'appuyer sur des relais efficaces dans les Etats membres. Les recherches menées par la commission d'enquête ont révélé que tous les Etats membres n'ont pas encore atteint le niveau de coopération policière et douanière souhaitable, bien que de nombreux Etats membres se soient engagés dans un renforcement de leurs organes de répression. C'est le cas par exemple de l'Espagne, où le Parlement examine une révision fondamentale de la politique de répression en matière de drogue. De la même façon, la disposition concernant les livraisons contrôlées doit être inscrite dans la législation nationale de tous les Etats membres et des Etats candidats à l'adhésion, y compris de tous les Etats qui sont parties à l'accord de coopération CEE-AELE.

Dans un délai raisonnable, les Etats membres de la Communauté européenne devraient harmoniser leur législation pénale en matière de drogue, afin de faciliter davantage encore la coopération entre les autorités judiciaires.

Lors de l'avènement du marché unique européen en janvier 1993, les Etats membres de la Communauté européenne auront transposé dans leur législation et mis en vigueur la directive communautaire sur le blanchiment de capitaux. Les éléments les plus importants de cette directive concernent la confiscation et le renversement de la charge de la preuve. Elle introduit également de nouvelles obligations pour les banques et les institutions financières, afin que des contrôles plus sévères et des mécanismes de régulation puissent s'appliquer.

Enfin, ainsi que nous l'avons précisé tout au long du présent rapport, la lutte contre le trafic de la drogue et le crime organisé dans la Communauté européenne ne peut être confiée aux seuls organes de répression. Les gouvernements de la Communauté européenne ont pour devoir de s'attaquer à la racine du problème de la drogue, dans les pays producteurs et au sein même de la Communauté européenne pour ce qui est des produits chimiques essentiels et des précurseurs. L'industrie chimique et pharmaceutique nécessite un code de conduite qui s'appliquerait à ses activités commerciales, conformément aux recommandations du G7, dans le but de minimiser le risque que des produits et agents chimiques licites ne soient utilisés à des fins illicites. Des licences spéciales devraient être envisagées pour les transporteurs et les sociétés de transport, dans le but de réduire les possibilités de détournement.

Des campagnes d'information à long terme visant les établissements scolaires et le public en général constituent l'élément essentiel de tout programme de réduction de la demande. Un autre élément tout aussi important réside dans la disponibilité de consultants qualifiés et l'existence d'établissements thérapeutiques.

Il est improbable que le crime organisé disparaisse, que le problème du trafic de la drogue soit maîtrisé ou pas. Il est de la responsabilité des autorités politiques d'assurer que, dans la lutte qu'elles livrent contre le crime organisé, les valeurs fondamentales de nos sociétés démocratiques que sont les droits et les libertés individuels et collectifs ne soient pas ébranlées.

 
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