Usée par le pouvoir, rejetèe par les électeurs, abimée par les affaires, la gauche français serait vouèe à disparaitre. A moins que, une nouvelle fois dans son histoire, elle ne sache renaitre.
(L'Express - Editorial)
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La gauche en Europe ne se porte pas au mieux. Allemagne, RoyaumeUni, France: la gauche ne gouverne aucun des trois grands Etats européens, alors qu'elle a, depuis trente ans, constamment dirigé au moins l'un des trois. Les travaillistes britanniques ont perdu le pouvoir en 1979, les sociaux démocrates allemands en 1982, les socialistes français cette année. Doit on en déduire qu'après la mort du communisme le socialisme est à l'agonie ? C'est aller vite en besogne et ne regarder qu'une partie du tableau. La gauche gouverne encore en Espagne, au Danemark, en Norvège, en Autriche... Elle pourrait revenir au pouvoir, demain en Allemagne, après demain au RoyaumeUni.
La gauchc en France paraît plus mal en point. Le Parti communiste poursuit son déclin, faute d'avoir osé à temps une mutation à l'italienne. Le Parti socialiste, qui espérait s'étendre sur les ruines de son voisin et fixer plus de 30% de l'electorat, est retombé a son niveau d'il y a vingt ans. Les nouveaux venus écologistes s'entre déchirent et ne s'accordellt que sur le refus d`une alliance avec les socialistes. Les jeunes et les classes défavorisées se détournent. Le chapelet des affaires n'en finit pas de s'egrener dans tous les secteurs. La victoire de la droite aurait dû au moins donner à la gauche un refuge salutaire, à savoir l'exercice de la fonction d'opposition. Mais d'autres l'exercent à sa place. La droite se concentre contre l'immigration, ce sont Ies éveques qui alertent. Les plus répressifs s`egarent du côté de l' "appartenance raciale", fût ce dans la dénégation, c'est Simone Veil qui monte au creneau. S' jl faut crier contre Ie chômage, c'est Séguin qui donne de la voix. A l`inverse, lorsq
ue l'opposition se mobilise, sur I'école ou les privatisations, elle suscite au mieux l'indifférence, au pis le reproche de ringardise. Bref, I`heure semble à l`impuissance. N`est ce qu'un mauvais moment à passer '? L'attente du yo yo, qui remonterait tout seul, n'est pas denuèe de tout fondement. La droite s'usera à son tour. Les élecleurs passent, et de plus en plus vite, d'un dépit à l'autre. Les erreurs des adversaires finissent toujours par porter leurs fruits. L'élection présidentielle, par effet mécaniique, remettra la gauche en selle, pourvu qu'elle accède au second tour, c'est à dire que ses concurrents se divisent plus qu`elle, ce qui est probable. Elle rcservera alors des surprises. Les Français aimeraient un second tour Balladur Delors. On leur prepare un affrontement ChiracRocard. Imaginons que le maire de Conflans reste largement distancé par le président de la Commission européenne et qu`il decide de lui laisser la candidature... tout serait alors possible. Cette confiance dans Ie seul jeu pol
itique paraît cependant un peu courte. Les états géneraux des socialistes l'ont admis.
La nécessilé d'une refondation de la gauche ne fait guère de doute, même d'un point de vue strictement electoraliste. Les democrates n`ont repris Ie pouvoir en Amerique qu`e renonçant à l'agregation des minoritès pour reconquèrir la classe moyenne. Les socialistes espagnols ont conservé le pouvoir parce qu`ils avaient accompli leur mue postcollectiviste avant de venir au gouvernment. Les travaillistes britanniques se rapprochent des liberaux. Les sociaux democrates allemands reprennent de l`élan depuis que leur nouveau leader, Rudolf Scharping, vient d`être élu directement par 56% des militants duu SPD (soit près de 500.000 personnes). Les socialistes français doivent cumuler ces mutations: reconstruire une idéologie, une pratique politique, des alliances.
Le ressourcement idéologique est indispensable. Une fois constaté le consensus entre droite et gauche sur les cadres politique et économique fondamentaux, I'acceptation de la démocratie pluraliste et de la prépondérance du marché, il faut redéfinir des »dissensus tant sur les valeurs que sur les choix politiques concrets qui s'y rattachent. L'acceptation du marché laisse ouverts d`utiles désaccords sur la place du service public dans l'éducation, la santé, la culture, la télévision. La reconnaissance d'une égalité entre hommes et femmes ne doit pas empêcher la droite de préférer la mère au foyer et la gauche de refuser toute discrimination en la matière. Le ralliement de tous à un minimum de protection sociale permet de vraies options sur son financement. L'importance du chômage appelle des options tranchées entre diminution des prélèvements, d'un côté et nouvelle répartition du travail, de l'autre. L`acceptation vague de l'Europe cache le clivage entre ceux qui s'en tiennent à la libre circulation et ceux
qui veulent des politiques communes. Sur le plan international, le ressourcement de la gauche implique de rompre avec la raison d'Etat et d'imposer l'aide aux sociétés: Rushdie contre Khomeini, Draskovic contre Milosevic... Nul doute qu'un tel retournement mettrait la droite et la gauche face à face, par exemple sur les conditions de la coopération avec Ies regimes africains.
Bref les voies du reveil ideologique sont nombreuses. Il ne suffira cependant pas de les emprunter si, parallelement, les socialistes ne parviennent pas à invelller de nouvelles formes d'action: non seulement à dépasser les courants ou fermer les ecuries présidentielles, mais aussi à transformer un parti d`élus en parti de militants, à créer, au delà, un mouvement de sympathisants citoyens, à imaginer des ponts qui les relient et leur permettent de penser et d`agir ensemble. La tâche est rude, mais la gauche a au moins une chance pour y parvenir: elle est enfin dans l'opposition.